23 JUIN 2011 - EXAMEN DU PROJET DE LOI SUR LE TICKET PRESIDENTIEL : Le jour où le Sénégal a failli basculer…

Jeudi 23 juin 2011. Les députés de l'Assemblée nationale examinent le projet de loi instituant l'élection simultanée, au suffrage universel direct, d'un président et d'un vice-président. Adopté en Conseil des ministres, le texte fait l'objet de vives contestations. L'opposition regroupée dans la coalition Bennoo Siggil Senegaal et des mouvements de la société civile se braquent contre la réforme de la constitution. Tous se retrouvent autour d'un slogan fédérateur: «Touche pas à ma Constitution». Des manifestations spontanées éclatent un peu partout à Dakar. Point d'orgue : la Place Soweto où siège l'Assemblée nationale.


Par un matin calme,  Dakar capitale sort, petit à petit, de sa torpeur nocturne. Le temps clément qui enveloppe la capitale ne laisse en rien augurer de l’âpreté des évènements qui vont marquer  cette journée du 23 juin. Même les observateurs les plus avertis de la scène politique ne pouvaient penser que la tension latente perceptible dans l’air allait déboucher sur un déferlement de passions, en ce jour d’examen par l’Assemblée nationale du fameux projet de loi sur le ticket présidentiel. Adopté en Conseil des ministres, le 16 juin, puis examiné et adopté par la Commission des lois de l’Assemblée nationale, il ne restait plus que l’onction de la plénière pour que le ticket présidentiel et son quart bloquant (voir par ailleurs) fassent autorité de loi.

La société civile, les mouvements citoyens et la classe politique réfractaires à la réforme de la Constitution font bloc. Aux premières lueurs du matin, des centaines voire des milliers d’opposants au projet de loi envahissent la Place Soweto ou siège l’Assemblée nationale. Des manifestations et des sit-in étaient programmés devant l’hémicycle. Initialement interdits, les rassemblements sont autorisés la veille par le ministère de l’Intérieur.

Dans une ville quadrillée par les Forces de l’ordre qui avaient déployé les grands moyens pour parer à toute émeute, les opposants au projet de loi ont utilisé toutes sortes de subterfuges, passant par les voies adjacentes pour rejoindre la Place Soweto. Ils venaient de l’Université, de la banlieue, des différents quartiers de Dakar, voire des villes de l’intérieur. Ils venaient pour dire non au projet de Wade de se faire élire avec 25% des suffrages exprimés et de remorquer, vers le sommet de l’Etat, un dauphin de pacotille, qu’ils soupçonnaient être son fils Karim.

Dès 07 h du matin, bouclée par la police surarmée, la Place Soweto est néanmoins  envahie de monde. Un monde composite d’hommes et de femmes, pour la plupart de jeunes gens, déterminés à donner de leur corps pour que le ticket présidentiel ne soit pas adopté en plénière. La tension est vive, plus menaçante encore lorsque les membres de l’Ujtl et du Pds conduits par la ministre conseillère, Coumba Gaye, se positionnent en face de l’autre camp. Et voilà que des pyromanes pointent le bout de leur nez. Le député libéral ,Abdoulaye Dramé, qui fait un bras d’honneur à la foule ou encore l’ancien ministre, Farba Senghor , qui par un tour d’honneur provocateur autour de la place Soweto, va ddéclencher le début des hostilités.

Combats de gladiateurs

Pierres sorties d’on ne sait où, grenades lacrymogènes qui tonnent, char arrosant la foule d’eau bouillante : un véritable déferlement de violence aveugle s’abat sans sommation sur la Place Soweto. L’espace d’une journée, cet endroit sort de sa langueur monotone pour servir d’exutoire à toute la violence refoulée de la société sénégalaise. Personne n’est épargnée. Les leaders politiques dont d’anciens Premiers ministres et ministres d’Etat, les responsables de la société civile comme le citoyen lambda et les Forces de l’ordre sont de la partie. Alioune Tine, le président de la Raddho est sauvagement agressé lors des échauffourées.

Des policiers se retrouvent la tête fracassée. Et nous revient encore cette image insoutenable d’un jeune élément des Gmi que ses collègues évacuèrent au pas de course à l’intérieur de l’Assemblée, le visage et la tête ensanglantés. Même les journalistes n’ont pas étéépargnés. Une consœur, F.F. pour ne pas la nommer, faillit rendre ses tripes, devant nos yeux. Suffoquant à cause des gaz lacrymogènes qu’elle avait inhalés, elle ne dut son salut qu’à la diligence de ses confrères qui lui firent respirer de la fumée de papier journal brûlé. Devant l’âpreté des affrontements, votre serviteur pénétre dans la première maison à sa portée pour se retrouver nez à nez avec…Mahmoud Saleh. L’ancien théoricien du coup d’Etat rampant, aujourd’hui ministre conseiller du Président Macky, avait les yeux rougis et le visage décomposé par les gaz inhalés.

De telles anecdotes peuvent être multipliées à l’infini pour cette journée du 23 juin 2011.  Journée de violence aveugle, de manifestations irrédentistes et suicidaires. La détermination des Y’en a marristes affrontant à mains nues des forces de l’ordre surarmées en était l’expression la plus significative. Quid de cette petite dame, trapue et dégoulinant de sueur, qui se mettait au devant des protestataires pour affronter les Forces de l’ordre ! Sur les images de la télévision diffusées au lendemain des évènements, elle nous est apparue trempant dans son sang, la tête enturbannée, en train de recevoir des soins dans une ambulance médicalisée. Le 23 juin 2011, c’était un combat de gladiateurs dans la rue.

Source: Sud Quotidien

Moussa Sarr

Vendredi 22 Juin 2012 10:34

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