« Etre amoureux n’est pas un état mais un devenir », écrivait le psychosociologue italien Francesco Alberoni dans Le Choc amoureux(Pocket). Depuis cet ouvrage de référence, on ne compte plus les études des thérapeutes de couple qui ont insisté sur le mode évolutif de l’état amoureux. Qu’elles mettent à jour trois, quatre ou six étapes, ces recherches s’accordent toutes pour dire que, du coup de foudre au rapprochement en passant par la différenciation, l’amour suit une chronologie.
Il ne s’agit pas de dire que toutes nos histoires de cœur se déroulent suivant un seul et même scénario ; chacun arrive dans le couple avec ses expériences, ses fragilités, ses forces, et c’est de la rencontre entre ces deux histoires que dépendront la nature et l’évolution de l’amour. Puis, selon le temps qu’ils prennent avant de cohabiter ou d’avoir des enfants, selon l’attention qu’ils portent à leur relation, selon leur âge aussi, les partenaires s’attardent plus ou moins longtemps sur l’une ou l’autre des étapes de la relation amoureuse. De même, le passage d’une phase à l’autre n’est pas définitif : il y a des temps de régression, d’accélération, de stagnation…
Il n’empêche : toutes les amours au long cours passent par des stades identiques. En nous appuyant sur les différentes études existantes, nous en avons défini trois. En quoi ces étapes sont-elles la clé d’une relation heureuse et durable ? Comment passer de l’une à l’autre ? Avec quelles conséquences ? Analyse de l’histoire d’amour vu comme un parcours.
La fusion
Les signes : « Tu es celle que j’attendais » ; « Nous sommes d’accord sur tout » ; « Toi et moi ne faisons qu’un »… Aujourd’hui, toute relation, ou presque, commence par une attraction passionnelle. C’est l’amour intense, la « symbiose », d’après les psychologues Ellyn Bader et Peter T. Pearson. Pour les amoureux, chaque éloignement est un déchirement et chaque expérience partagée l’occasion de se découvrir de nouveaux points communs : il semble évident que l’on était faits pour se rencontrer.
Les avantages : cette étape est essentielle à la formation du couple puisqu’elle crée la complicité. La conseillère conjugale Françoise Sand ajoute qu’elle est « l’un des rares moments dans l’existence où l’on peut mûrir sans douleur » : elle permet de sortir de soi, découvrir des aspects de la vie que l’on n’avait pas envisagés seul ou dont on avait peur. L’amour passion donne des ailes.
Les pièges : cet amour passion repose en grande partie sur des leurres. En effet, chacun s’imagine que si cette relation est aussi intense, c’est parce que l’autre correspond parfaitement à l’image du partenaire idéal qu’il porte en lui. Autrement dit, plutôt que de le voir dans ce qu’il est réellement et globalement, il devient le support de nos projections. L’attente à son égard est si forte que nous l’idéalisons : ses défauts sont niés au bénéfice de ses seules qualités.
Les clés : profiter absolument de cette lune de miel, car elle est aussi agréable qu’éphémère. Elle durerait entre deux et trois ans, en moyenne. Après ? Le retour à la réalité s’impose de lui-même et cette fusion si rassurante devient peu à peu étouffante, aliénante. Le besoin d’air se fait sentir.
La différenciation
Les signes : « Tu n’es pas celui que je croyais » ; « Je ne comprends pas que tu puisses aimer cela » ; « Tu ne sais pas ce que je pense vraiment »… Avec la cohabitation, le partage du quotidien et les responsabilités à assumer, le couple descend de son nuage pour se confronter à la réalité. Alors qu’ils ne voyaient que ce qui les unissait, les partenaires découvrent peu à peu leurs différences. L’autre révèle toutes les facettes de sa personnalité. Déception ? Inéluctablement, puisqu’il s’agit de dire adieu à l’image idéalisée que chacun avait de l’autre, mais aussi de soi : la vie à deux nous fait découvrir des aspects de notre propre caractère, que nous n’avions jamais eu l’occasion de cerner et que l’autre nous aide à percevoir.
Les avantages : cette étape est fondamentale puisqu’elle permet de se retrouver soi-même, de reprendre contact avec ses propres intérêts et objectifs de vie. Sans cette étape, la fusion finit par être vécue comme un carcan dans lequel les personnalités de chacun sont niées… jusqu’à la crise. Sur une infidélité ou un départ soudain, plus d’une histoire d’amour se termine avant d’avoir dépassé cette phase.
Les pièges : il n’est pas simple de rompre avec sa vision fantasmée de l’amour et d’accepter de vivre une relation qui ne soit pas tous les jours synonyme de plaisir. Signe de notre attachement à une tradition romantique ou de l’influence d’une société qui fait de l’hédonisme une finalité : nous avons tendance à penser que la fougue des premiers temps est « la » définition de l’amour. L’autre difficulté tient au fait que cette étape du retour à la réalité n’intervient pas simultanément chez les partenaires : celui qui vit encore dans l’idéalisation peut se croire abandonné, moins aimé, tandis que l’autre ne se sentira pas reconnu dans une relation devenue étouffante.
Les clés : de l’air et de la communication. Prendre l’air, c’est savoir sortir du couple pour vivre ses loisirs, servir ses ambitions professionnelles… C’est redevenir « un », définir son territoire qui n’est pas le même que celui de son partenaire. Pour faire admettre cette prise de distance, la communication est indispensable : les partenaires doivent oser expliquer leurs envies, leurs besoins, afin d’éviter que cette différenciation soit interprétée comme une fuite ou un déclin de l’amour.
Le rapprochement
Les signes : « J’ai envie de construire mon avenir avec toi » ; « Si on achetait une maison ? » ; « Je suis prête à faire des efforts pour que ça marche entre nous »… L’étape précédente a permis à chacun de se redéfinir, à ses yeux et à ceux de l’autre. Cette phase consiste maintenant à mesurer la compatibilité de ses attentes respectives et à réfléchir aux moyens que chacun est prêt à fournir pour travailler à la fondation de son couple. Ce n’est plus l’amour entendu comme : « un + un = un » (la fusion), ni « un + un = deux » (la distanciation), mais « un + un = trois » : toi, moi et notre couple. Ce troisième élément « couple » va naître de l’élaboration de projets communs sans cesse réactualisés, qui, à l’avenir, donneront à la relation sa dynamique et garantiront sa durabilité. Que veut-on vraiment pour soi et pour la relation ? Qu’attendons-nous de notre vie ensemble ? L’occasion est toute trouvée de parler mariage, enfants, maison à acheter…
Les avantages : dans ce temps du rapprochement, l’amour exprime véritablement son désir d’avenir. Une certaine sérénité amoureuse devient possible. Le « contrat » durable alors établi entre les partenaires n’empêchera pas des disputes ; mais arrivé à cette étape, le sentiment amoureux sait admettre les divergences et donne l’envie de trouver des réglages pour les dépasser.
Les pièges : consolidé par le temps et les épreuves partagées, cet amour tend à virer à l’amitié.
Le risque : sombrer dans une cohabitation heureuse, mais où le désir, les élans passionnés n’auraient plus leur place, et lasser l’un ou l’autre des partenaires en mal d’un état amoureux plus pétillant.
Les clés : pour pérenniser cet amour solide, le défi consiste à sortir de temps en temps du confort qu’il offre. D’abord, en sachant remettre régulièrement en question les projets établis et en élaborant ensemble de nouveaux objectifs. Ensuite, en bousculant parfois la tranquillité de son amour pour y intégrer de la passion : réactualiser ces coups de folie qui sublimaient les premiers mois de la relation et oser la fusion, s’abandonner corps et esprit à son amour… même le temps d’un week-end. C’est dans ce subtil mélange entre raison (construction de projets) et passion que le couple se donnera les chances d’inventer un amour aussi délicieux que durable.
Avec la collaboration de Françoise Sand, conseillère conjugale et auteure du Couple au risque de la durée (Desclée de Brouwer).
Les crises à traverser
Confrontation des goûts en matière de décoration ou de cuisine, questions d’argent soulevées par les loyers et factures à payer, incompatibilité des habitudes ou des rythmes de chacun : la cohabitation donne à l’amour de nombreuses occasions de vivre sa première crise.
Le défi : communiquer. A ce jeune âge de la relation, les partenaires préfèrent souvent taire leurs insatisfactions, par peur de vexer ou de décevoir. Au contraire, c’est en exprimant leurs frustrations et en écoutant celles de l’autre qu’ils trouveront les réglages à faire pour améliorer les conditions de la cohabitation.
Les enfants
Avec l’arrivée d’un enfant, puis deux, puis… l’amour perd son objet exclusif, le partenaire. La crise menace quand l’amour conjugal se voit dénigré au seul profit de l’amour filial.
Le défi : démultiplier son amour et son attention à son partenaire pour ne pas laisser son couple à court d’affection.
La retraite
Plus d’enfants à la maison, plus de travail qui règle l’emploi du temps, les partenaires se retrouvent en tête à tête. Dans ces « retrouvailles obligées », la difficulté sera de réapprendre à un amour bien installé à régler son pas sur celui du quotidien bouleversé.
Le défi : il s’agit, pour chacun, de faire son bilan de vie, de mettre au clair ses attentes à l’égard de son nouvel emploi du temps, puis de les confronter à celles de l’autre. Comment les faire coexister ? Quels sont les objectifs partagés ? A l’issue de ce bilan, de nouveaux projets de couple ne manqueront pas d’apparaître.