La démarche de l’Etat dans l’affaire de l’ancien directeur général de l’Aser, Modibo Diop est lamentable. Elle tente de faire croire et de montrer des autorités décidées à jouer pleinement le jeu de la transparence dans la gestion des comptes de la nation. On peut même croire que l’Ige ou un autre corps de contrôle qui aura l’avantage de fouiner dans la gestion de l’ancien DG de l’Aser, pourrait débusquer des éléments susceptibles, peut-être, de le faire traduire en justice. Il n’est certainement pas le seul parmi tous les responsables de services publics ou gérant des comptes de l’Etat dans cette situation.
Dans le contexte actuel, et au vu de la gouvernance engagée depuis 2000 au Sénégal, on ne peut assumer les charges de directeur général d’une entité publique, sans s’engager au préalable, tacitement ou explicitement, auprès de celui qui détient le pouvoir de nomination, à verser la dîme et à cotiser. Il faut cotiser et consolider la caisse qui alimente et entretient le système de distribution de prébendes et de rentes mis en place depuis la présidence de la république.
Ainsi, pour liquider un camarade qui a eu la chance ou la malchance d’avoir géré des comptes publics, on sait alors où taper pour obtenir sa reddition. Ce serait étonnant que Modibo Diop échappe à la règle générale. Ainsi dit, on peut croire que le juge pourra lui trouver des poux dans la tête, comme il en a déjà trouvé dans celle de Goumalo Seck et dans celles de tant d’autres que le régime a décidé de sacrifier. Il les a sacrifiés sans états d’âme, pour les besoins de sa survie. Pour Goumalo Seck et ses anciens collaborateurs de l’Artp, ils sont poursuivis et pourchassés par la justice à propos de l’affaire Sudatel. Ils le sont, pour avoir procéder à un partage d’argent public, sur la base d’une erreur d’appréciation de la règle de droit applicable, alors que ceux qui ont pris des commissions de l’ordre de vingt (20) milliards, se la coulent douce et narguent même les populations de ce pays, en se montrant présents et agités dans des lieux et endroits qu’ils auraient dû normalement évités. Car l’indignité dont ils se sont rendus coupable devrait les amener à se cacher.
Bref, le Sénégal n’est-il pas devenu la terre des criminels à col blanc et le lieu de célébration par la république de leurs forfaits. Pour avoir refusé de signer un contrat de complaisance en faveur de l’ami du ministre Samuel Sarr, un certain Alé Guèye qui n’a aucune expérience en matière d’électrification rurale, Modibo Diop a « trahi » celui qui avait proposé sa nomination. Il faut qu’il paie cash son audace, même si cette audace n’est que l’expression d’une conduite conforme aux exigences de la loi et des règles minimales de bonne gouvernance. On a ainsi fabriqué de fausses informations, distribuées dans la presse et communiquées de façon lâche au chef de l’Etat, pour faire rendre gorge à une pauvre victime expiatoire. Tout ce qui est fait par cette instrumentalisation de la justice, orchestrée à grand renfort de propagande médiatique n’est qu’un processus de saupoudrage. Un processus tentant de cacher les relents de vengeance et de haine qui sont à la base des procédures engagées, mais surtout de maquiller une volonté de liquidation d’un camarade qui a trop vite fait d’afficher des ambitions et de parler pour les exposer et les défendre.
Modibo sera certainement inculpé et traîné devant une juridiction de jugement. Il peut même être jugé et condamné, si telle est la volonté du chef de l’Etat. Il ne sera que le premier d’une série de jugements qui iront au-delà de l’existence de ce régime. Ce qui sera jugé dans l’affaire Modibo Diop, ce ne seront pas seulement les actes d’un homme. ce sera la conduite d’un Etat, celle de ses premiers responsables, la politique d’un gouvernement concernant un secteur aussi vital comme l’énergie de façon générale et l’électricité de façon particulière. Or, de ce point de vue, le nombre de crimes commis dans ce secteur depuis au moins cinq ans, est incalculable. Le traitement de ces crimes par les juridictions nationales peut occuper les juges de ce pays pendant des mois et des années, sans que tous les cas identifiés et poursuivis ne fassent l’objet de jugement définitif. Ceux qui se rendent coupables de ces crimes sont convaincus qu’ils ne seront pas un jour inquiétés, comme l’ont été tous les complices des anciens dictateurs et tyrans du continent, jusqu’au jour où ils se sont réveillés avec des menottes aux mains. Cette réalité historique, le Sénégal n’est pas très loin du temps où ses populations vont la vivre avec soulagement et fierté. Tous les démocrates y croient. Les ennemis de la démocratie, non. Et tant mieux qu’il en soit ainsi. Ceux-là n’auront ainsi jamais le temps de se mettre à l’abri, ils se feront cueillir comme des fruits pour être punis, comme il se doit.
Quand on a entendu parler de l’affaire Modibo Diop, la propagande de l’Etat aidant, on a envie de pousser un ouf de soulagement, en disant, enfin, le gouvernement se résout à punir les criminels qui détournent les biens de la nation. Rien n’est moins faux qu’une telle approche des poursuites envisagées contre l’ancien DG de l’Aser. Il s’agit d’abord d’une vengeance orchestrée contre un adversaire utile pour le liquider définitivement. C’est cela la vérité. Ne nous laissons pas berner par tout ce qui sera dit et fait par la justice dans cette affaire.
Abdou Latif COULIBALY
La Gazette.sn
20 Aout 2010