Abdou Fall, «Bokk Guis-Guis» : «C’est le père qui a 90 ans qui va au front…»

Premier invité de la rubrique «Sur un air de campagne» du quotidien sénégalais "le Populaire", l’ancien ministre de la Canté de Wade, Abdou Fall, aujourd’hui Directeur de campagne de l'Alliance «Bokk guis-guis», s'est largement confié à nos confrères. Sans détours, l’ex-ministre d'État, dans un entretien étalé sur deux pages, a répondu à toutes les questions du "Populaire". Lesenegalais.net se fait le plaisir de reproduire cette remarquable interview de nos confrères.


Vous faites partie de ceux qui ont dirigé le pays pendant 12 ans. N'avez-vous pas des craintes par rapport aux Législatives, vu que les Sénégalais ont besoin de sang neuf ?

Mais, écoutez, à cette échelle-là, il n’y aura jamais de nouveau dans ce pays. La tête de liste de «Benno bokk yakaar», c’est 40 ans de Senghor et d’Abdou Diouf. L’actuel président de la République, c’est 8 ans d’Abdoulaye Wade sur les 12 ans, etc. Moi, je pense qu’aujourd’hui, si on considère que monter un projet nouveau et le porter, il faut des hommes neufs pour le porter, je dis, dans la classe politique sénégalaise, il n’y a aucun homme nouveau pour l’essentiel ; parmi les principales forces qui se disputent le leadership. Parce que le jeu se structure principalement autour des grandes familles libérale et socialiste au plan de la réalité politique du moment. Si vous analysez les résultats de la dernière élection, ceux qui sont issus de la famille libérale, s'ils étaient unis, ils auraient remporté l’élection au premier tour. Le vote en faveur de Wade, Macky et Idrissa Seck représente près de 66% des suffrages. Le reste, c’est la famille socialiste. 13% de Niasse et 11% de Tanor. Ce qui fait 25%. 25% et 70 %, ça fait 95%. Les autres se partagent le reste. C’est ça la réalité politique. Donc, vu sous ce rapport, Macky Sall n’est pas nouveau. Niasse est encore plus ancien. C’est lui pourtant la tête de file de «Bennoo bokk yakaar». Et sous ce rapport, Tanor et tous les autres ne sont pas nouveaux. La nouveauté, il faut l’attendre dans la capacité à comprendre les mutations, les évolutions et la capacité à pouvoir s’y adapter, à faire des offres politiques qui correspondent aux attentes des citoyens et aux exigences de notre époque.
 
Quel est l'objectif que s'est fixé «Bokk guis-guis» ?

Notre objectif, c’est d’obtenir le vote majoritaire des citoyens au sortir des élections du 1er juillet. Ça nous donnera la possibilité de faire cohabiter une majorité parlementaire avec une majorité présidentielle, et ensemble maintenant, envisager un dialogue qui nous permet de construire les réformes. C’est ça notre ambition.
 

Mais, ça risque d'être compliqué, si l'on sait que «Benno bokk yakaar»est assis sur un matelas de 65% de l'électorat ?
 

Si on s’en tient à une arithmétique strictement électorale, effectivement, «Benno bokk yakaar» représente 65%, mais si on intègre la nature de l’élection, les jeux sont encore très ouverts, parce que la dynamique d’une élection présidentielle n’a absolument rien à voir avec la dynamique d’une élection législative qui, elle-même, n’a rien à voir avec la dynamique d’une élection locale. Les élections locales, c’est ce qu’on appelle les «navétanes» de la politique (rires). Et ça n’a rien à voir avec le championnat national (rires). Disons l’élection présidentielle est la coupe du Sénégal. C’est un peu pour caricaturer la lecture (il ne termine pas la phrase). Une élection législative, on peut la comparer à un championnat national. Ça prend du temps. Lors de la dernière élection présidentielle, il y avait 14 candidats. Donc, ce sont 14 personnes qui, chacune, porte un programme, demandant à ce que le pays lui fasse confiance pour porter son projet à la tête du pays. Ici, ce sont 24 listes dont chaque liste comporte près de 200 acteurs, parce que nous avons sur la liste nationale 60 titulaires et 50 suppléants, ce qui fait 110 candidats. Et sur les listes départementales, on a 45 titulaires et 45 suppléants. Ça fait 90. Et 90 et 110, ça fait 200 candidats. Là-bas, ce sont 14 candidats à la direction du pays, ici, ce sont 24 listes, dont chaque liste est constituée de 200 candidats qui se disputent la direction de l’Assemblée nationale. Donc, ce n'est pas du tout le même type d’élection. Quelqu’un peu bien voter pour un candidat à la Présidentielle, mais les Législatives, pour des raisons qui n’ont absolument rien à voir avec la Présidentielle, décider de voter pour un autre candidat.
 

Comment comptez-vous convaincre les Sénégalais pour qu’ils votent pour votre Coalition, après que les populations vous ont sanctionnés le 25 mars dernier ?
 

Moi, je pense que ce qui a le plus pesé sur l’élection présidentielle, c’est l’image du candidat. Pendant presque trois ans, le pays s’est focalisé sur la candidature du Président sortant. Et il y a eu beaucoup d’autres facteurs qui sont venus s’y greffer. Ce qu’on a appelé la dévolution monarchique, je pense que ça a pesé de façon déterminante dans le cours de l’élection présidentielle. Honnêtement. Au cours de l’élection présidentielle, ce qui était en jeu, ce n’était pas l’image de Pape Diop, ce n'était pas l’image de Mamadou Seck, ce n'était pas l’image d’Ousmane Masseck Ndiaye, c’était l’image du candidat de la Coalition Sopi, fondamentalement. Il n’en reste pas moins que les autres soutenaient sa campagne. C’est pourquoi, moi, je considère que personne ne peut me faire croire que les cadres actuels qui dirigent notre Coalition ont une image aux yeux des Sénégalais qui peut justifier un rejet à priori. On peut dire : «Écoutez, vous étiez de l’ancien régime». Mais une image si négative qu’elle suscite un rejet de l’opinion, vraiment, j’en ai pas la preuve. Je suis même porté à croire que c’est le contraire. Moi, ce que je constate depuis qu’on a lancé notre Coalition, au niveau de l’électorat Sopi, qui avait décroché, à un moment donné, il y a une bonne frange qui est revenue. Nous avons aussi l’apport des autres acteurs. Plusieurs générations sont représentées chez nous. Nous avons la génération des Pape Diop, des jeunes, Abdoulaye Baldé, Guirassy. Nos alliés aussi, c’est la même chose. Aliou Dia a une bonne image dans le monde rural, de façon générale, et est très lié aux organisations paysannes. Le jeune Abdou Khadre Ndiaye fait partie de la génération des jeunes leaders qui émergent à côté des autres de sa génération. Nous avons aussi Momar Ndao de l’Ascosen. De façon générale, si je m’en réfère aux réactions que je reçois de l’opinion, franchement, «Bokk guis-guis» ne me semble pas porter les tares du défunt régime qui a été défait le 25 mars dernier.

Mais, l'histoire a démontré que les résultats des Législatives ne sont que la confirmation de ceux de la Présidentielle...
 
Effectivement, jusqu’ici c’était la règle. Vous savez, le pays a connu des évolutions. Nous, on ne mesure pas souvent la profondeur des mutations que le pays a connues. Déjà, l’arrivée même de Macky Sall est un indicateur des mutations du pays. À priori, on ne l’attendait pas du tout. Les gens attendaient plutôt qu’au deuxième tour, le jeu se fasse entre les deux grands appareils traditionnels, entre le Pds et peut-être une figure socialiste, surtout qu'il y avait une bonne dynamique «Benno» autour de Moustapha Niasse. Le score des deux leaders socialistes est révélateur d’une évolution extrêmement profonde. Pour la première fois dans l’histoire politique du pays, qu’une force, à peine émergente, dans une première élection, puisse connaître une percée fulgurante, au point même de coiffer au poteau les vieux leaders des appareils traditionnels qui sont jusque-là structurés.
 

Déjà, c’est un indicateur des mutations et des changements. Maintenant, l’autre caractéristique qu’il faut intégrer dans l’analyse, c’est la première fois dans l’histoire politique du Sénégal que vous avez un président de la République qui a été porté au pouvoir avec un apport des alliés de loin supérieur, largement plus important que son score initial. Macky Sall est arrivé au premier tour avec 26%, il s’est retrouvé au second tour avec 65%, donc, 39% d’apport.
 

Ça ne s’est jamais produit au Sénégal. La conséquence qui va en découler, de façon évidente, nous aurons un président de la République qui ne sera pas assis au sein de l’Assemblée sur une majorité propre à son parti. Même si sa Coalition gagne, c’est sa Coalition qui sera majoritaire. Le nombre de députés de son parti ne va pas constituer une majorité simple qui lui donne le moyen de gouverner seul. Voilà l’évolution qualitative sur laquelle on tend. Et ça sera une première dans l’histoire institutionnelle du Sénégal. C’est dire qu’on est dans un processus de changement et de mutation extrêmement profond. Et, dans un tel contexte, je ne vois pas pourquoi, nous, en tant que nouvelle force porteuse d’une offre nouvelle, nous ne nourririons pas l’ambition, à défaut, au moins d’être la première Coalition, la première force politique au sein de l’Hémicycle. C’est à notre portée. C’est pourquoi on va aller vers des Législatives très intéressantes qui vont conduire à des recompositions politiques majeures. On va aller, pour la première fois, dans une Assemblée plurielle où les acteurs seront condamnés à négocier des compromis pour pouvoir gouverner. Macky Sall sera condamné, soit à trouver un compromis avec ses alliés actuels pour pouvoir gouverner, soit à trouver un compromis avec la prochaine opposition ou une fraction de cette opposition pour pouvoir gouverner. Mais, il ne pourra pas disposer seul d’une majorité telle que Senghor, Diouf et Wade l’ont eue.

Comment comptez-vous procéder, au cas où vous obtiendrez la majorité parlementaire ?
 
Si on arrive à obtenir une majorité parlementaire, nous aurons deux majorités qui vont cohabiter à l’Assemblée, une cohabitation à la sénégalaise. La particularité de ce type de cohabitation va être aussi très intéressante. Nous, on a déjà dit et annoncé que nous ne sommes pas pour un blocage des institutions, au cas où on arriverait à une situation de cohabitation. Si Dieu faisait qu’au sortir des élections du 1er juillet, on arrive en tête, au lieu de dire : «On attend le Premier ministre que Macky Sall va nous présenter pour le destituer et peut-être même faire constater un blocage pour nous demander qu’on fasse de nouvelles élections présidentielles», nous disons non. Nous disons que, si une majorité nouvelle émerge à côté de l’actuelle majorité parlementaire, nous allons nous retrouver, et à travers un dialogue franc, constructif, nous allons voir comment réaménager les institutions pour que ces deux majorités, au lieu de s’entredéchirer, se mettent ensemble pour conduire les réformes et faire face, de façon consensuelle, aux défis de développement du pays. Voilà notre option. On n’est pas dans une logique de blocage, on n’est pas dans une logique de négation d’une majorité. Nous sommes dans une logique d’un dialogue constructif, pour construire ensemble de nouvelles institutions et faire face ensemble aux défis du développement.
 

L'audition du leader de votre Coalition à la Gendarmerie, dans le cadre de l'enquête ouverte sur les biens mal acquis, ne risque-t-elle pas de vous désavantager ?
 

Nous sommes dans un État de droit, nous sommes dans un régime de liberté, où la règle de base, c’est le principe de la présomption d’innocence. Le chef de notre Coalition a été interpellé, il a donné des réponses. J’ai été très gêné, d’ailleurs, par cette convocation. Je pense que l’actuelle majorité a manqué, quand même, d’élégance sur cette question-là. Ce n’est pas sur la question de l’interpellation, parce que je pense que tout le monde qui a géré devra rendre compte, mais je pense que, dans la circonstance, la République a ses règles. Parce que, jusqu’à ce que les prochaines élections se tiennent, les institutions qui se partagent la gouvernance du pays, ce sont le président de la République, Macky Sall, le président du Sénat, Pape Diop, le président de l’Assemblée nationale, Mamadou Seck, le président du Conseil économique et social, Ousmane Masseck Ndiaye, le Premier ministre Abdoul Mbaye et le président du Conseil constitutionnel, Cheikh Tidiane Diakhaté. Et je pense que, chaque institution doit donner à l’autre les égards dus à son rang. C’est ça qui est républicain. C’est de ce point de vue que je considère que la convocation du président Pape Diop dans la forme n’était pas du tout élégante. Maintenant, le fait qu’il y réponde, cela ne m’a pas gêné, parce que, lui aussi, il a le souci de montrer à l’opinion et à la majorité qu’il est à l’aise. Il aurait parfaitement pu s’abstenir de le faire. Ce n’est pas correct. À leur place, je n’aurais pas travaillé de la sorte. Pape Diop est son collègue d’institution. Normalement, ce n’est pas la Police qui aurait dû le saisir, mais c’est le chef de l’État qui devrait l’appeler pour lui dire, en tant que chef d’institution, qu'il a des choses qu’il voudrait discuter avec lui. C’est comme ça que ça se passe en toute démocratie. Sur le fond, tout le monde est d’accord. On ne peut pas se payer le luxe de gouverner un pays et de dire que : «Je ne dois pas être soumis à une obligation de contrôle».
 

Lorsqu’on nous donne la responsabilité de gérer des biens publics et que, en contrepartie, on te met dans des conditions optimales de travail, je pense qu’en retour, la même société qui t’a mis dans ces conditions et qui t’a fait l’honneur de te confier cette responsabilité, doit s’attribuer aussi le droit de veiller à ce que ce qu’on t’a confié a été géré de la façon la plus claire, la plus honnête. Donc, ça ce n’est pas le débat. Personne ne le remet en cause. Mais, dans la gestion de ce dossier, on peut en faire une gestion républicaine comme on peut en faire une gestion politicienne.
 

Est-ce à dire que vous pensez que la gestion de ce dossier est plus politicienne que républicaine ?
 

En l’état, au regard de la manière dont le dossier est géré, la gestion est plus politicienne que républicaine. Honnêtement. Et c’est dommage, parce que, ça peut même amener l’opinion à croire qu’en vérité ces audits sont plus utilisés comme un moyen de harcèlement sur des adversaires. Maintenant, comme on est sur ce dossier des audits et de contrôle, je vous donne aussi ma doctrine sur les questions de bonne gouvernance, d’économie financière ou d’éthique de gestion. Moi, en matière de gouvernance et d’éthique, je refuse de faire dans les jugements de valeur. Je ne vois pas, au nom de quoi, moi, Abdou Fall, je peux me réveiller et décréter que moi, je suis un homme honnête, pur et que, par contre, un autre ne l’est pas. Moi, je crois à des règles. Pour moi, un dirigeant, une société, une entreprise, doivent s’aménager des règles qui leur permettent de garantir, de mettre en place des méthodes de contrôle, à priori, qui feront que, pour peu que les gens fassent des efforts, ils peuvent se mettre totalement en dehors de tout travers ou dérapage qui peuvent leur causer du tort dans l’évaluation de leur gestion. Je préfère mettre en place un dispositif qui me met en dehors de ces questions, plutôt que de prouver aux gens que je suis plus honnête qu’eux. Moi, je crois à des règles de contre-pouvoir et de contrôle permanent, d’évaluation. Pour que, même si tu es tenté d’en abuser, qu’il y ait des mécanismes mis en place qui t’empêchent de le faire. Pour que les dérives ou la bonne conduite ne soient pas dépendants de la seule bonne volonté de celui qui est en situation. C’est de ce point de vue que les audits sont intéressants. Ce qui est important, c’est de tester les règles de gouvernance et de voir comment les perfectionner, de façon à ce que même la personne, qui veut faire des choses, rencontre des difficultés pour le faire. On ne peut pas calculer le degré d’honnêteté d’une personne. Par exemple, le débat sur la loi sur l’enrichissement illicite, pour moi, du point de vue du droit, c’est une mauvaise loi, mais, du point de vue politique, c’est une loi dissuasive. Pour moi, c’est une loi qui n’est bonne que, parce qu’elle te permet de dissuader. Mais, dès lors qu’on commence à la mettre en oeuvre, on sort du terrain du droit. Comment on peut demander à une personne de nous prouver comment il a fait pour s’enrichir ? Soyons sérieux ! Dans quel pays sommes-nous ? Ça, c’est de l’inquisition.
 

Lors de sa dernière sortie, Me Wade a menacé de perturber les Législatives, si jamais on ne lui rendait pas ses véhicules. Prenez-vous ces menaces au sérieux ?
 

Bon ! (il respire profondément), honnêtement, (rires), je suis toujours gêné de répondre à des questions sur Wade. Je trouve que c’est une sortie assez malheureuse. Menacer de perturber le vote pour un leader de sa stature, de son rang, ça ne me paraît pas indiqué. Je pense qu’il est temps, quand même, que les cadres du Pds, ceux qui sont restés avec Wade et ceux qui se prévalent de son amitié, de parler avec lui et d’oser aller au front maintenant. C’est trop facile de se retirer derrière un leader de cet âge pour attendre qu’il mène le combat à leur place. D’ailleurs, de ce point de vue, je pense que Karim ne doit pas du tout être fier de soi. Dans notre société, c’est le fils qui va au front pour défendre son père. Ici, c’est curieux, c’est le père qui a 90 ans qui va au front pour défendre un garçon de 40 ans (il éclate de rire). En tout cas, moi, à sa place, je ne serais pas du tout fier. Et, tous ces gens qui sont derrière Wade, les Ousmane Ngom, Omar Sarr, qui croisent les bras et qui rient pendant que Wade se bat pour eux, doivent avoir honte pour eux. C’est ça, honnêtement, mon sentiment. Quand je vois le spectacle de Wade qui, à cet âge, continue encore d’aller au front pour son fils et pour ses compagnons, et qu'eux se mettent derrière, pour attendre que le vieux se bagarre et qu’ils profitent encore des fruits des luttes qu’il mène à cet âge-là, je trouve que ce n’est pas gratifiant pour eux. Voilà, moi, le seul commentaire que je fais sur cette affaire-là. Maintenant, il faut dire que le Président, il doit s’en vouloir à lui-même. S’il considère que ce sont des véhicules de son parti, pourquoi les avoir parqués à la Présidence ? Si les véhicules en question étaient, effectivement, des véhicules du parti, affectés au parti, ils ne seraient pas à la Présidence, à ma connaissance. Ils seraient à la permanence du parti. Personne n’oserait trouver à la permanence du parti des véhicules du parti, portant la carte grise du parti, pour les saisir. S’il y a confusion, au point que, des véhicules du parti, puissent être saisis par l’État, mais c’est parce qu’il y a eu, à un moment donné, un mélange de genre tel que cela a été possible. Et je pense que c’est à lui-même qu’il doit s’en vouloir. Et vraiment, prendre prétexte de ça, pour dire qu’on va perturber le vote, ça ne me paraît pas du tout gratifiant pour un leader politique de son rang.
 

Les sorties médiatiques de Me Wade rompent avec la tradition qui veut qu'un Président sortant prenne de la hauteur...
 

Ça me fait de la peine. Moi, je me suis toujours battu, et j’ai toujours dit, et depuis deux ans, avant les élections, que le président Wade méritait de réussir la sortie du président Senghor. Et, peut-être, ça fait partie des raisons pour lesquelles j’ai été marginalisé, à un moment donné. Il n’avait pas le droit de faire moins que Senghor et Diouf. Le président Senghor a réussi sa sortie et a sauvé sa majorité. Le président Diouf n’a pu sauver sa majorité, mais il a réussi sa sortie avec tellement de panache que cela a masqué presque sa défaite. Aujourd’hui, le président Wade n’a pu sauver sa majorité, et il est en train de rater littéralement sa sortie. Je ne lui souhaite pas ça. C’est pourquoi, je dis qu’au fond de moi, moi qui étais, quand même, parmi les proches collaborateurs du Président, qui l’ai accompagné dans une étape aussi importante que son parcours et qui a partagé avec lui l’expérience du pouvoir. J’avoue que ça me fait de la peine de le voir rater autant sa sortie. Vous savez, la politique, c’est trois temps. Il y a le temps de la conquête du pouvoir, le temps de l’exécution du pouvoir et le temps de la transmission du pouvoir. Et chaque temps a ses contraintes et ses exigences. Tu peux réussir la conquête, rater l’exercice et la sortie. Tu peux réussir la conquête, réussir l’exercice et rater la sortie. Mais, en général, celui qui réussit l’exercice, réussira sa sortie. Parce que, rater sa sortie, c’est ne pas être capable de pouvoir s’arrêter à temps. Or, le pouvoir, plus on le domine, plus on se prépare à la sortie. C’est le jour où on prend le pouvoir qu’on doit se préparer à le quitter. Et c’est celui qui est mieux préparé à le quitter qui, en général, le gère avec élégance, en gentleman, et aussi le quitte en gentleman.
 
Quel jugement portez-vous sur l'exercice du pouvoir par Me Wade ?

Je pense que, autant Wade a été bon sur son bilan, en termes de réalisations, autant il a été faible en matière de gouvernance. Il a été plus sanctionné sur sa gouvernance que sur son bilan, en termes de réalisations. Or, nous vivons un monde où la gouvernance est aussi importante, parce que la gouvernance conditionne même le succès des politiques. La manière de gérer les hommes est un des moyens les plus importants pour réussir l’efficacité dans la gouvernance. Celui qui gère les hommes avec recul, avec respect, en leur reconnaissant une bonne part de responsabilité, en leur faisant confiance, en les mettant dans des conditions optimales pour donner le meilleur d’eux-mêmes, ce sont ceux-là mêmes qui font les meilleurs résultats. Moi, je pense qu’avec une bonne gouvernance, le président Wade aurait pu multiplier par 10 ses performances économiques. Malgré tout, il a fait de bons résultats. Mais sa gouvernance n’a pas été bonne. Comment on peut remanier tout le temps ? (rires). On ne peut pas changer de ministre toutes les semaines.
 

Quel avenir pour «Bokk guis-guis», après que certains membres de cette alliance ont assimilé les Législatives à des primaires ?
 

Vous savez, aujourd’hui, en politique, il ne faut pas se faire d’illusions. Il y a deux mouvements contradictoires qui se gèrent, qui ont un souci d’autonomie et un souci de Coalition. Les gens ont besoin d’autonomie pour affirmer leur identité. Ils ont besoin de Coalition pour être efficaces. Dans une Coalition, on ne peut pas reprocher à des composantes de vouloir s'exprimer, de façon autonome, de porter un discours autonome et de s’organiser conséquemment. Il faut savoir concilier les deux. Le souci d’autonomie et le souci d’alliance doivent aller ensemble. Chacun aurait pu avoir sa propre liste, mais c’est de loin moins efficace, si on était dispersé.
 
De quels moyens disposez-vous pour battre campagne, convenablement ?

En vérité, aujourd’hui, c’est le pouvoir qui a les moyens du pouvoir, c’est évident. Nous, maintenant, nous ne sommes plus du pouvoir, et il ne faut pas que nous nous fassions d’illusions (rires). Et je crois que c’est un des grands problèmes de nos amis du Pds. Parce que, quand je vois leur comportement, j’ai l’impression qu’ils ne sont pas encore conscients qu’ils ne sont plus du pouvoir. Lorsqu’on n’est plus au pouvoir, on n’est plus au pouvoir. Pour l’instant, on va aux élections sans être au pouvoir. C’est pourquoi d’ailleurs, on s’est ajustés. Heureusement, pour nous tous, notre chance, c’est qu’on a une très longue expérience. Le temps qu’on a mis dans l’opposition a été de loin plus long que le temps qu’on a mis au pouvoir, de sorte qu’il nous est facile de nous adapter. Moi, je bats campagne à Thiès, et au moment où on parle (jeudi dernier), notre Comité électoral est en train de se réunir pour définir notre stratégie. Nous tous, on est préparés à travailler avec les moyens du bord, mais en développant beaucoup de proximité. Nous pensons que la qualité de nos idées, de nos propositions, la crédibilité des hommes qui les portent, plus un bon travail de sensibilisation, nous permettra d'avoir de bons résultats et d’avoir une majorité à l’Assemblée. On a toutes les raisons d’être optimistes, surtout que, maintenant, le peuple sénégalais est un peuple mûr. En termes financiers, il sera toujours difficile de le dire, à priori. Mais, en tout cas, le plus important pour nous, en ce moment, c’est la logistique et la maintenance. Aujourd’hui, au moins, d’ici à demain, (l’entretien a été réalisé jeudi 7 juin 2012), on va boucler la logistique qui permettra à nos candidats et à nos mandataires d’être opérationnels sur le terrain. On va surtout mener une campagne de proximité.
 
Le mot de la fin…

Il y a deux projets sur lesquels je souhaiterais partager avec vous. Le premier problème, c’est celui du climat dans lequel on vit, et le deuxième, c’est ce qu’on pourrait appeler les chantiers institutionnels. Et je vais commencer par là. On va vers une nouvelle Assemblée, et dans cette Assemblée, il faut qu’on essaie de comprendre ce qu’on en attend. Qu’est-ce qu’il faut pour que cette Assemblée puisse jouer le rôle que les citoyens en attendent ? Aujourd’hui, les Sénégalais revendiquent un rééquilibrage des députés qui remplissent davantage leur rôle et leur mission de défense des intérêts du peuple, et non des intérêts d’un parti ou d’un clan. Pour que ces conditions soient réunis, nous ne nous faisons aucune illusion. La seule matière de redonner à l’Assemblée son lustre d’antan, c’est de réajuster, rééquilibrer les institutions, de manière à ce que le président de la République, ne puisse plus disposer d’un pouvoir d’influence aussi important. Tant que le président de la République sera chef de parti, il pourra, par le biais du parti, exercer une influence directe sur l’Assemblée. C’est pourquoi, nous avions demandé qu’il y ait une incompatibilité entre le président de la République et le chef de parti. Je pense que les changements institutionnels doivent aller vers un rééquilibrage du pouvoir qui permettra que l’Assemblée dispose de pouvoirs plus étendus et soit moins dépendante de l’Exécutif. C’est une condition qui fait partie de nos ambitions. Notre contrat de législature va indiquer le type de propositions que nous comptons faire pour que ce rééquilibrage entre les institutions permette aux députés d’être plus indépendants par rapport à l’Exécutif. La deuxième chose, c’est un peu le climat. Il ne faut pas qu’on ait la mémoire courte. Il ne faut pas oublier que nous sommes sortis d’une période préélectorale qui a été particulièrement tendue. Le pays a traversé des moments qui ont impacté sur la vie politique, sociale et économique du Sénégal. J’avoue que j’attendais, au sortir de la Présidentielle, la pacification de l’espace politique, pour qu’on aille vers une démocratie vraiment apaisée. Malheureusement, on constate qu’on est en train, de façon consciente ou inconsciente, de reproduire le même environnement de tensions, de rapports conflictuels et frontaux entre opposition et majorité, de restauration d’une crise ou de prolongement d’une crise qui fait que, personne n’a confiance en l’autre, et personne ne sent le besoin de parler à l’autre. Je pense que c’est une atmosphère extrêmement négative. Et il faut que les acteurs politiques essaient de faire un sursaut qui nous permette de gérer nos divergences, tout en maintenant le rang d’une démocratie majeure et d’une démocratie apaisée. Le Sénégal et les Sénégalais méritent qu’un environnement plus apaisé puisse encadrer et accompagner nos compétitions politiques et électorales. N’oublions pas que les tensions que nous avons vécues ont occasionné des morts d’hommes. Or, en démocratie, chaque cas de décès est un cas de trop. On est en train de recréer la même ambiance, le même climat de tension, qui risque encore d’engendrer des conflits qui peuvent encore avoir des coûts humains, économiques et sociaux dont on n’a pas besoin. Il est temps, quand même, qu’on pacifie le pays. On ne peut pas être systématiquement enfermé dans cette dialectique infernale de dénonciations, d’accusations, de méfiance. Il faut qu’on sorte de là, qu’on se fasse un minimum de confiance, qu’on fasse confiance aux populations et qu’on puisse organiser des compétitions civilisées, et qu’au terme de nos échanges, le peuple, en toute souveraineté, puisse faire son choix.
 

Source : le Populaire (Lundi 11 Juin 2012)


Bamba Toure

Mercredi 13 Juin 2012 05:16

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