Acte 3 de la décentralisation- M. Mamadou Diop, ancien maire de la ville de Dakar en opine du bonnet mais, émet des réserves

Même hors de l’Etat, l’ancien maire de la ville de « Ndakarou » n’entend pas rester un citoyen godillot. Loin s’en faut ! Diop le Maire, come on l’appelle affectueusement, continue de faire partie de ceux qui participent à l’élaboration des grandes décisions qui intéressent notre pays


 L’acte 3 de la décentralisation qui ponctue une bonne part de l’actualité nationale n’en a pas  fait exception. Qui est donc  plus averti, voire avisé que ce Ministre des trois anciens  Présidents de la République du Sénégal, donc grand commis de l’Etat pour aborder de la question ? L’auteur de « Le pouvoir local » donne, à travers cet entretien à bâtons rompus, son appréciation de l’acte 3 de la décentralisation. L’ancien édile de la CA de Yoff qui croit que le sujet est d’une importance capitale pour le devenir du pays a aussi mis le moment à profit pour émettre des réserves.Entretien…  
            M. le maire l’acte3 de la décentralisation continue de susciter débat. Votre avis ?
            M.Diop : Il s’agit d’une question d’importance capitale pour le devenir de notre pays, le Sénégal. Je l’approuve  bien évidemment étant donné que j’ai  eu à formuler, bien avant que la décision soit prise par le Président Macky Sall, dans plusieurs de mes écrits sur le sujet de la décentralisation, l’exigence d’une nouvelle et ultime étape dans le processus de décentralisation afin d’asseoir définitivement la démocratie locale dans notre pays. Le Sénégal a connu plusieurs expériences en matière de décentralisation. On le sait, déjà,  les premières communes ont été crées, dans notre pays, dans la deuxième moitié du 19 ème siècle : Gorée et Saint-Louis en 1872, Rufisque en 1880, Dakar en 1887. Le pays a connu par la suite d’autres expériences en 1895 et 1904 avec la création  des communes mixtes, en 1955 avec l’institution des communes de moyen exercice. L’institution  des communes rurales en 1972 et l’érection des régions en collectivités locales en 1996 ont constitué d’autres étapes non moins importantes dans l’expansion de l’autonomie locale dans notre pays. L’acte 3 qui est annoncé doit représenter l’étape ultime du mouvement de décentralisation avec le transfert réel de pouvoirs et de moyens adéquats aux collectivités territoriales de base. Je marque cependant  quelques inquiétudes quant’ au contenu et à l’opportunité d’un tel projet à l’heure actuelle.
Donc, vous ne croyez pas au développement par  territorialisation  tant clamée par ses concepteurs ?
            Mes réserves ne portent pas sur la nécessité d’une nouvelle étape de la décentralisation dans notre pays. Encore une fois, le projet répond à une exigence d’approfondissement de la décentralisation  et d’encrage définitif de la démocratie locale au Sénégal. Mes observations portent sur deux points :
Premièrement : il est dit que l’acte1 prend effet avec la création en 1972 des communes rurales. Cela ne me parait  pas correct. Si on se reporte aux textes de l’époque, la réforme de 1972 a marqué plutôt  un recul démocratique. C’est, en effet, la même qui a étendu le régime municipal d’exception d Dakar à l’ensemble des chefs lieux de Région avec la suppression de la fonction d’administrateur municipal confiée à des hauts fonctionnaires nommés par le gouvernement. C’est manifestement un recul dans l’exercice de l’autonomie locale. Dans le même esprit, il convient de relever que les communautés rurales créées dans le même temps ont vu leur pouvoir exécutif confié au Sous-préfet d’arrondissement. Ce n’est qu’en 1983 qu’une nouvelle réforme est intervenue pour supprimer les régimes d’exception et d’assurer le retour au droit commun  de la décentralisation : restauration de la fonction de Maire, administrateur de la commune et celle de Président du Conseil Rural, administrateur de la communauté rurale. La réforme de 1972 est donc loin d’être une date de référence pouvant marquer des progrès de la décentralisation au Sénégal.   
Deuxièmement : La réforme de 1996 qui a érigé la région en collectivité locale et élargit les pouvoirs des autorités locales est bien  une réforme  de grande envergure. Ayant  été un des acteurs de cette réforme  sur le plan de la conception comme de la pratique (Maire et Président de la Communauté Urbaine pendant 17 ans), je mesure sa  portée immense dans le développement de la démocratie locale dans notre pays. Cependant, la réforme n’est pas encore achevée. Il reste  à résoudre les questions cruciales relatives à la réforme de la  fiscalité locale et à la dotation des régions en ressources  propres. Ces deux questions étaient renvoyées, à l’époque, à une étude plus approfondie. C’est le provisoire qui dure depuis lors. C’est certainement là où réside la faiblesse des collectivités locales communales  et rurales. L’absence de ressources propres a beaucoup affaibli les régions qui se contentent de dotations de l’Etat qui sont insuffisantes et irrégulièrement versées.
            Mais, pouvez –vous nous faire un bref rappel de l’acte 1 et de l’acte 2 de la décentralisation ?
            Deux périodes  ont marqué réellement l’histoire de la décentralisation au Sénégal :  d’une part ,l’année 1872 qui marque le point de départ de la communalisation avec l’érection de Gorée et de Saint-Louis en commun de plein exercice et, d’autre part,  l’année de l’indépendance 1960-1961 avec la généralisation du statut de commune de plein exercice avec :
-          La transformation des communes mixtes (créées en 1895-1904) et des communes de moyen exercice (créées en 1955) en communes de plein exercice ;
-          L’érection de tous les chefs lieux de cercles (devenus départements) et des chefs lieux de subdivisions (transformés en départements)  en communes de plein exercice).
En tout, 33 communes de plein exercice sont créées. Le Sénégal  indépendant a marqué ainsi sa volonté de s’engager résolument dans la voie de la décentralisation approfondie et effective. Cette période est véritablement le point de départ du mouvement de la décentralisation au Sénégal devenu indépendant.
Monsieur Mamadou Diop, Maire Honoraire de  Dakar, cela vous contente ?
                        J’ai terminé, depuis l’année dernière, la rédaction d’un ouvrage consacré à l’expérience que j’ai assumée à la tête de la municipalité et de la communauté urbaine de Dakar.  Cet ouvrage que j’ai baptisé «  Mon Combat pour Dakar » retrace les péripéties vécues à la tête de ces deux institutions. Un travail immense a été abattu pour la transformation de la cité et pour la réhabilitation de l’image de la capitale nationale. Il est donc évident que je ne peux  que me réjouir de ma nomination en qualité de Maire Honoraire de Dakar. Je partage naturellement cet honneur avec tous mes camarades élus qui m’ont accompagné durant cette longue période avec un engagement résolu et un soutien  jamais démenti malgré les vicissitudes de la vie politique nationale et locale. Je leur adresse mes fraternelles félicitations et leur exprime ma reconnaissance infinie.
                                                           Réalisée par Ibrahima Ngom Damel

Bamba Toure

Vendredi 22 Novembre 2013 05:07

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