Adieu, Sirif ! Par Abdou Latif Coulibaly

Cherif El Valide Sèye. Pour nous, c’était Sirif Aïdara. Ta maman, ya Nancy, comme nous l’appelions, aurait affectueusement ajouté Aïdara Karara. Tu vois ce que je veux dire, cher frère. Tu es venu de ton Sine natal avec tes parents, à la fin de cette année 1964, pour t’installer avec eux à Sokone. C’est pour te rappeler que c’est depuis notre tendre enfance -tu avais à peine dix ans et moi neuf tout juste -, que nous cheminons ensemble. A l’image de nos parents, en particulier de nos deux pères qui ne se quittaient jamais.


Eux, les parents, avaient en commun leur abandon à Dieu, leur amour pour le prophète Mouhamad (PSL) et   leur passion  partagée de la lecture du saint Coran. Et nous  jeunes  étions naturellement réunis par les joies de l’enfance. Nous avons vécu ensemble des moments extraordinaires comme l’insouciance de l’enfance, les déceptions, les joies et les peurs de l’adolescence.

Des peurs nous en avons eues, cet après-midi d’un jour d’août 1973, quand Samane, un de nos copains de jeu, a fracturé ta jambe avec un tacle d’une rare violence. Tu en garderas quelques séquelles visibles sur ta façon de marcher et sur ton allure de playboy et de dandy  habité par une joie contagieuse  et une envie insatiable de vivre.
 Nous avons  accompli toutes ces  étapes qui marquent à jamais la vie d’un enfant. Nous avons grandi ensemble et en avons gardé  des souvenirs merveilleux restés comme des braises mal éteintes dans un coin de nos mémoires. Pour l’éternité ! Nos retrouvailles étaient souvent l’occasion de les revivre et de parler de notre passion commune, le journalisme.

 Ce sont les souvenirs de l’enfance tantôt rappelés qui nous ont conduits à te trouver le nom de signature de Samboudian Kanté quand tu m’as proposé d’animer une chronique dans la Gazette. Samboudian Kanté. Il fut  notre frère, notre «grand», notre copain, notre totem, le veilleur mystique et mythique sur notre club de navétane.
Et ce sont ces mêmes souvenirs de gosse qui m’ont donné le nom de plume d’Oumar Barrou Senghor quand je signais des reportages et des enquêtes dans le magazine 52 que tu  publiais  avec notre confrère Ibrahima Gaye, pendant quelques mois.

En vérité, c’est Cheikh, mon aîné, qui était ton ami. Ta maman l’adorait. Le jeune frère vous prenait  comme modèle et admirait à l’émerveillement vos résultats scolaires.  Tu étais toujours d’un pas en avant, par rapport aux jeunes de ton âge.  C’est pour cette raison que tu étais avec Cheikh et ses amis.

Devenu adulte, tu ne feras que confirmer ce trait de caractère qui était en définitive une des marques symboliques  de ton intelligence pétillante. C’est avec plaisir que j’ai pris la place du frère ami auprès de toi à la faveur de mon engagement professionnel. C’est depuis l’école de formation que tu t’es fait le devoir de m’encadrer.

Tu m’ouvris les portes du «Soleil», alors que j’étais en deuxième année au Cesti. Tu étais fier de dire aux autres : «c’est mon jeune frère «et moi tout aussi fier de revendiquer ce statut auprès de toi, l’aîné dans la profession.

Tu te souviens de l’Association les «Kings boys» ?  Les associations de ce type  étaient le symbole achevé  dans les années 60 et 70 du désir  de liberté et d’émancipation des jeunes héritiers d’un passé colonial récent, décidés à  intégrer avec le plus grand  bonheur la modernité. Tu étais le plus jeune membre de «l’assos», mais aussi l’un des plus brillants de la classe.

C’est dans ces associations que continuait pendant les vacances scolaires l’apprentissage de la vie moderne et de la vie tout court. La vôtre était très distinguée et très populaire auprès des jeunes filles. C’est mon frère Cheikh, ton ami qui en assurait la présidence. Vous nous serviez de référence.

La mode en cours à l’époque au sein des associations de jeunes, c’était de se donner le nom d’une des célèbres stars connues à travers le monde. Les noms des musiciens faisaient fureur. Tu avais choisi de porter  celui d’Elvis Presley : le meilleur de sa génération dans la catégorie musique Rock et Pop.

Comme on le voit, tu as toujours visé haut et pris pour référence les meilleurs. Tu étais parmi les meilleurs de ta profession chez toi et ailleurs en Afrique. Un professionnel accompli. Quand vous êtes devenus  journalistes, toi et l’autre grand frère, Abdallah Faye, nous en éprouvions une énorme  fierté à Sokone. Vous avez ainsi affiné davantage mon amour pour ce métier.

Tu étais tout juste stagiaire au journal «le Soleil», après ta première année au Cesti, nous nous passions à Sokone le numéro du journal dans lequel tu publiais l’un de tes premiers reportages : «Dakar comme Chicago», tu l’avais titré.  Tu n’en étais qu’à tes débuts, certes, mais je suis sûr que ton texte de l’époque peut encore aujourd’hui servir de référence pédagogique pour les formateurs en journalisme.

J’ai mesuré, alors que j’assumais à tes côtés le poste de directeur des programmes de la première radio privée du Sénégal, Sud Fm et toi celui de Directeur général de la station, ton volume de travail, ton intelligence et ta subtilité professionnelle. J’ai été heureux d’avoir compris et décidé  avec Babacar Touré et les autres amis de Sud communication qu’il n’y avait pas meilleur choix dans le contexte de naissance de Sud Fm que toi pour diriger la station.
Nous nous devions de rassurer les autorités qui nous avaient fait confiance en nous concédant une fréquence. Tu as été présent et bien présent, pour assurer une admirable direction professionnelle à la radio, en ne cédant rien par rapport aux principes et en rassurant en même temps. Tu as été un homme de synthèse et d’équilibre. C’est l’une de tes qualités qui ont fait ta réputation. Tu as beaucoup apporté à ton pays et à l’Afrique.

Tu as été un pionnier dans la façon de fédérer par la communication et par l’information journalistique les efforts d’intégration et d’harmonisation des politiques régionales de développement, tentées ça et là sur le continent. Tu n’avais pas de frontière. Tu étais partout présent en Afrique.

Tu étais un bon.  Un homme courtois et affable. Tu trouveras debout les portes du paradis pour te conduire dans ta demeure éternelle les membres de ton «Kings  boys», trop vite partis  avant toi: Maj (Mamour Bâ), Michel Delpech (Mbaye Diassé Thionkhéré), Charles Aznavour (Alioune Cissé).

Je te voyais  tenir avec ta maigre silhouette le cercueil de Cissé,  mais aussi t’occuper le jour de ses obsèques  avec soin de certains détails avec sa femme et ses enfants, je me faisais du mauvais sang pour toi. Ta santé m’inquiétait. Tu avais changé et trop maigri.  Tu ne doutais point ce jour que c’est  toi  qui le suivrais. Je me rappelle que quelques semaines avant le décès de votre ami, Alioune Cissé, nous avions pris ensemble un café tôt un samedi matin. Il y a exactement trois ans. Nous étions restés plus de trois mois sans nous voir.

Je t’attendais depuis une dizaine de minutes dans le café. Quand je t’ai vu  arriver  et poser le regard sur toi, je me suis réellement demandé  si c’était vraiment celui que j’ai connu qui s’avançait de ce pas lent et hésitant vers moi. C’était bien toi. Pour  parler avec pudeur, je t’ai dit que tu avais quelque peu maigri. En réalité, tu avais fondu et étais devenu méconnaissable.

Tu as vite compris mon désarroi et tenté de dissiper mes inquiétudes. Tu consentiras avec beaucoup de pudeur à me révéler une partie de la réalité : «A Bruxelles j’ai consulté, les médecins m’ont dit que j’avais quelques ennuis de santé liés aux nerfs. Certes, ils sont gênants, mais parfaitement maîtrisables. Ce n’est pas grave. C’est pour cela que je maigris.»

Ennuis de santé maîtrisables ?  J’eus envie de te demander maîtrisables jusqu’à quand. Ils le furent jusqu’à cet ultime voyage au Kenya. C’est là que  tu as été surpris par la mort. Aujourd’hui, je me demande bien si tu as été réellement surpris. Face à la maladie tu as été d’un courage remarquable.

Tu travaillais comme un forcené, courais dans tous les sens pour le bonheur de ta famille. Que Dieu protège ta veuve : Ndèye Coumba, tes enfants, Pape Moussa, Lolo, Seydina et tous les autres proches à qui tu apportais beaucoup. Ce ne sont pas des mots de circonstance quand nous disons que la profession perd beaucoup avec ta disparition.

Adieu, Sirif, le frère !


Moussa Sarr

Mercredi 20 Juin 2012 10:33

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