Le plus intéressant dans le changement opéré par le président de la République, lors du dernier remaniement au niveau de la paire chargée d’administrer l’Economie et les Finances, d’une part, et le Budget, de l’autre, c’est que ce sont deux purs produits de l’Ecole sénégalaise qui ont été promus. En effet, aussi bien Amadou Bâ que Makhtar Cissé, qui pilotent ces deux ministères clefs de l’économie nationale, ont été formés au Sénégal où ils ont fait de bonnes études, du primaire jusqu’à l’Université de Dakar. Et s’ils ont pu aller à l’étranger par la suite, c’est sans doute pour y suivre des études complémentaires. Pour le reste, ils sont, comme le président de la République du reste, des produits de l’école publique sénégalaise. Preuve que, malgré les soubresauts qui la traversent ces dernières décennies, les grèves récurrentes qui la secouent et la baisse inquiétante du niveau des apprenants (et de la plupart de leurs enseignants, hélas !), cette école fut de qualité. C’est en effet cette école publique qui a produit la plupart des excellents cadres qui font tourner l’administration sénégalaise, certains parmi eux rayonnant au niveau des organisations internationales. Produits de cette école publique, Amadou Bâ et Makhtar Cissé sont aussi des enfants de l’Indépendance en ce sens qu’ils sont tous nés après l’accession de notre pays à la souveraineté internationale et n’ont donc pas connu la colonisation et son école. Mieux, ils sont tous d’extraction sociale modeste et n’ont donc dû leur réussite qu’à leurs efforts personnels, aux sacrifices de leurs parents mais aussi à l’assistance d’un Etat providence qui a fonctionné parfaitement durant les deux premières décennies de notre indépendance. Jusqu’à ce que, en tout cas, les politiques d’ajustement structurel imposées par les institutions de Bretton Woods à la fin des années 70 et pratiquement jusqu’en 2000, imposent de sérieuses coupes dans les dépenses sociales. De ce point de vue, nos deux grands argentiers procèdent de la méritocratie républicaine sénégalaise celle-là même qui fait que, par la force du poignet, grâce au dur labeur et à l’intelligence, on peut partir du bas au haut de l’échelle. A preuve, encore une fois, par eux deux, mais aussi par le président de la République et d’innombrables autres hommes et femmes qui jouent des rôles de premier plan dans la marche des affaires de notre pays. Le Président qui, plutôt que d’aller chercher dans les institutions financières internationales, a préféré choisir les pilotes de l’Economie, des Finances et du Budget localement, parmi les cadres qui ont toujours préféré servir leur pays.
Têtes d’œufs et forts en thèmes, Amadou Ba et Makhtar Cissé sont aussi des fonctionnaires qui ont blanchi sous le harnais de l’administration sénégalaise, particulièrement de ses régies financières, dont ils maîtrisent tous les rouages. Plus grands pourvoyeurs de recettes de l’Etat en tant que directeurs généraux des Impôts et Domaines, et de la Douane jusqu’à leur nomination au gouvernement, ils ont aussi toujours été en contact avec le monde de l’économie réelle, celle-là même qui se développe en dehors de l’Etat et qui est le fait des entreprises, des commerces, des services, de l’agriculture etc. Ils connaissent les forces et les faiblesses de cette économie en même temps que, pour avoir toujours accompagné leurs prédécesseurs de ces dernières années aux réunions du FMI, de la Banque mondiale, aux assemblées de la BAD etc., ils maîtrisent aussi les rouages des institutions financières internationale, celles-là mêmes qui constituent les principaux bailleurs de notre pays. Bref, ces quinquagénaires sont outillés pour procéder à cette relance de l’économie nationale que tous les acteurs souhaitent de tous leurs vœux. Et ce à la suite du bon travail travail effectué pendant 18 mois par MM. Amadou Kane et Abdoulaye Daouda Diallo, pour ramener les clignotants de cette économie au vert. Avec à la clef une croissance de 3,5 % en 2012 qui devrait atteindre 4 % à la fin de cette année.
A la suite du banquier commercial Amadou Kane dont certains disaient qu’il a une calculette à la place du cœur, ces deux hauts fonctionnaires à la fibre sociale incontestable, vont donc pouvoir introduire une pincée de douceur à la politique de rigueur mise en place durant ces 18 derniers mois. Surtout, tout le monde souhaite qu’ils s’engagent dans la voie du desserrement du carcan de la limitation du déficit budgétaire à 4 % du PIB souscrit par l’ex-chancelier de l’échiquier auprès des institutions de Bretton Woods. Un carcan qui faisait qu’aucune véritable relance de la machine économique n’était possible. Et qui s’est traduit aussi par la cessation d’activité de centaines de Pme-Pmi (plus de 375 officiellement mais ce chiffre n’englobe vraisemblablement que les entreprises formelles) qui ont mis la clef sous le paillasson, la commande publique en particulier ne nourrissant plus son homme du fait des multiples obstacles dressés sur le chemin de l’obtention des marchés de l’Etat. Et encore plus du véritable parcours du combattant qui leur est imposé pour percevoir leur règlement après avoir effectué leur prestation. A ce niveau, on espère qu’Amadou Bâ et Makhtar Cissé feront tout pour supprimer cette exigence inique de présentation d’un quitus fiscal faite aux entreprises ou aux opérateurs qui, après avoir livré leur marchandise ou effectué leur prestation, se voient imposer ce document dont l’obtention relève de la quadrature du cercle. Conséquence : la mort dans l’âme, des milliers de prestataires, après s’être endettés pour exécuter les commandes de l’Etat, sont contraints de renoncer à leur argent car ne voyant pas comment obtenir ce quitus fiscal ! Et là, c’est comme si l’Etat effectuait un hold-up légal à leur endroit car, après avoir consommé leurs produits ou utilisé leurs services, il leur demande un document impossible à produire dans les circonstances actuelles !
Enfin, en faisant appel à Amadou Ba et Makhtar Cissé pour leur confier les ministères de l’Economie et des Finances et du Budget, le président de la République joue surtout gagnant sur le plan… politique. Eh oui ! Bien que ces deux brillants technocrates soient officiellement apolitiques, ils n’en sont pas moins populaires dans leurs terroirs respectifs. Ayant grandi aux Parcelles Assainies où son père, imam de son quartier, a toujours vécu, Amadou Ba est très ancré socialement dans ce plus vaste réservoir électoral de la région de Dakar. Cela fait bientôt 20 ans que, sans tambours ni trompettes, chaque année, il achète des bœufs à l’occasion de la Tamkharite, pour la plupart des mosquées de cette excroissance de Dakar. Mieux, il s’était essayé à la politique du temps du régime socialiste, lorsqu’il avait tenté de déboulonner le docteur tété Diédhiou, qui exerçait alors une forte mainmise sur les Parcelles Assainies. Le président de la République pourra donc compter sur lui pour y remporter les locales et, surtout, la présidentielle de 2017.
Quant à Makhtar Cissé, originaire de Dagana, il est sans doute le seul à pouvoir faire mordre la poussière à Oumar Sarr, l’actuel coordinateur national du Parti démocratique sénégalais (Pds), lequel est présenté comme indéboulonnable dans cette grande ville du Walo où il gagne sans discontinuer depuis 1996 ! Extrêmement populaire à Dagana et dans tout le Walo, le nouveau ministre du Budget est aussi très introduit à Tivaouane où il est une sorte de « moukhadam » dans la Tidjania. Mieux, bien qu’étant un « talibé cheikh », il entretient aussi les meilleurs rapports du monde avec l’actuel khalife général des Mourides, Serigne Cheikh Sidy Makhtar Mbacké, qui le considère comme son propre fils.
Bref, à travers Amadou Bâ et Mouhamadou Makhtar Cissé, le président de la République tient donc deux jokers qui vont lui valoir bien des motifs de satisfaction après avoir, en tant que patrons des Impôts et Domaines et de la Douane, porté les recettes de l’Etat à des niveaux sans précédent !
Mamadou Oumar NDIAYE
« Le Témoin » N° 1136 –Hebdomadaire Sénégalais ( Septembre 2013