Le Baol est un lieu chargé d’histoires. Il dispose d’un patrimoine matériel et immatériel riche et varié. Mais tous ces sites mythiques et monuments historiques à forte valeur culturelle qui pourraient donner à la région de Diourbel beaucoup de valeur ajoutée, ne sont pas valorisés.
Et si l’histoire du Baol m’était contée ? Tel un livre ouvert, le doyen Alé Niang, communicateur traditionnel de renommée à Bambey, se prête volontiers à cet exercice. Ce spécialiste des contes et légendes maîtrise bien l’histoire de cet ancien royaume qui, comme le Djolof, le Cayor, le Sine, le Saloum et le Walo, a marqué, d’une empreinte indélébile, l’histoire, l’évolution du Sénégal. Des faits historiques, il y en a à foison au Baol. Sans compter un patrimoine matériel et immatériel excessivement riche. Si riche que, pour le doyen El Hadji Alé Niang, il pourrait constituer un véritable moteur de développement. Pour conter l’histoire du Baol, ce communicateur traditionnel est bien dans son élément. Et il n’a pas besoin de creuser pour faire un tour d’horizon du Baol d’autrefois.
Désigné par les puristes comme mémoire du trésor humain de la région de Diourbel, El Hadji Alé Niang estime qu’on ne peut parler de traditions dans le Baol sans pour autant revenir sur la provenance du nom. Selon cet historien, écrivain, par ailleurs spécialiste des contes et légendes, le Baol a eu trois noms traditionnels. « Les sérères Ol qui habitaient le Sine sont venus ici et sont tombés sur la sécheresse. Ils ont pratiqué la danse appelée le « bawnaan ».
Elle était exécutée par les femmes griottes et les esclaves hommes sous un arbre fréquentée par certains dignitaires », explique-t-il. « C’est après avoir dansé qu’une forte pluie est tombée avec beaucoup de ruissellement d’eau. Ils ont dit que « ndokhmi bawnaan na ». C’est la première version orale », fait savoir Alé Niang. Pour la seconde version, dit-il, il n’y avait pas à l’époque de robinets. « Il n’y avait que des puits. Autour de ce puits, il y avait des femmes qui avaient des ustensiles pour puiser l’eau alors que d’autres n’en avaient pas. Celle qui n’en avaient pas disaient aux autres « bawal ma », fait remarquer Alé Niang. S’agissant de la troisième version orale, Alé Niang explique : « lorsque le Teigne est intronisé à Lambaye (18 km de Bambey), ancienne capitale du Baol sur le plan traditionnel, les femmes griottes, esclaves, préparent le couscous pour l’amener à la Linguère parce que, disaient-ils « Linguère bi baayi na wal » (la Linguère ne doit plus piler le mil). Si l’on fait la jonction, vous avez le nom Baol ».
La bataille de Ndiardem
Bataille NdiardeemDifficile également de parler d’un teigne du Baol sans pour autant évoquer la bataille de Ndiardem qui est une déformation de « diaar si dem ga » (passer par le jujubier) qui se trouve dans un village appelé Sindiane, dans l’actuel Ndangalma commune. En 1817, relève l’historien, il y eut une bataille mémorable entre Birima Fatma Thioub Fall, Damel du Cayor et le Teigne Amary Dior Borso Mbissane, fils de Thiéyacine Yayane Dieng et Teigne du Baol. « Birima s’est d’abord battu avec le père d’Amary Dior Borso Mbissane. Thiéyacine a eu raison de lui. Birima préféra alors s’exiler au Sine, mais lorsqu’il a appris que son grand père, Amary Ndella Coumba Diaring, était le père de Thiéyacine Yayane Dieng, on l’a amené pour l’introniser comme Damel du Cayor alors qu’il voulait coûte que coûte devenir Teigne du Baol. Il a alors livré bataille contre Amary Dior Borso Mbissane. Cette mémorable bataille a eu lieu à Sindiane, sous un arbre symbolique appelé « Fande ». Cet arbre est mort, mais un autre a poussé dessus. Cette bataille a été remportée par Birima qui devint, par la suite, Teigne », relate-t-il.
Avant la pénétration française, rappelle-t-il, les Teignes qui étaient là avaient leur propre gouvernement. Parmi eux, Lat Soukabé Ngoné Dièye. « Quand il est né, il était comme Soundiata Keita. Il ne pouvait pas marcher. Il se déplaçait en s’appuyant sur un bâton. Il a réussi cette prouesse grâce à un peul très doué sur le plan mystique qui s’appelait Demba Ngary Pathé », indique Alé Niang. Ce dernier, raconte-t-il, s’est transformé en deux cadavres à sa mort. « L’un était à Ngokoré Sow, l’autre à Ngoote près de Lagnar. Chacun de ses enfants voulait disposer de son corps. Le lendemain, il y avait un corps de Demba Ngary Pathé à Ngokéré Sow, et à Ngoote, il y avait aussi un autre corps. C’est ainsi que les enfants ont chacun enterré leur père qui avait un pouvoir mystique », explique Alé Niang qui rappelle l’omniprésence du mysticisme dans le Baol à l’époque. Le communicateur rappelle, par la même occasion, les hauts faits d’Amary Dia, venu s’installer au village de Teungue, dans le département de Diourbel. Ce dernier, dit-il, était accompagné d’un bouc, qu’il égorgeait le matin pour en faire ses repas et le lendemain, le même bouc était à ses côtés.
Sous son règne, Lat Soukabé Ngoné Dièye a procédé au découpage traditionnel du royaume, nous dit Alé Niang. « A l’époque, tout ce que nous voyons sur le plan moderne, surtout le découpage administratif, était déjà fait par nos Teignes et Damels. Quand un Teigne était intronisé, il nommait son Diaraf ; c’est comme un président de la République qui, une fois élu, nomme lui aussi son Premier ministre. Le Diaraf avait aussi ses collaborateurs. Dans le Baol, il y avait buur Ngoye, buur Gaal, Sakhsakh Ndol, Lamassas, Lambaye, Mbayar, etc. Tout cela constitue un impact très important pour la bonne marche de notre administration sur le plan traditionnel », note Alé Niang.
« Lat Soukabé Ngoné Dièye s’est battu contre Bourba Djolof Mbaba Compass jusqu’à Kadd Bolodji, il implante un pilon et dit demain quand le Bourba Djolof viendra, il s’arrêtera là. Il s’est battu contre buur Sine Diogoye Gnilane à Ngangaram. Il a tué son fils Lat Moussé Guélém. Il implanta également un pilon. Il élargit le Baol jusqu’au Walo, au Gandiol, à Bako Ndiémé, à Nianing, près de Mbour », précise-t-il.
Sites historiques
BambeyLambaye était l’ancienne capitale du Baol. Dans cette localité, nous dit Alé Niang, se trouvait le « Kad Palukay », l’arbre où était intronisé le Teigne. Il y a également le « Soumpass Ngagne ». Sous cet arbre, se réunissaient les sages qui s’interrogeaient sur la moralité du futur prétendant au trône. Le « Guy ndengué » fait aussi partie des sites historiques. « Lors de la bataille de « dibéri sangay mbol » entre Macoudou Coumba Diaring et son oncle Meïssa Tende Wedji, lorsque le cheval de Meissa Seré Issa Dièye a été atteint en gesticulant, ses sabots ont soulevé la racine du baobab qui s’est incliné », renseigne Alé Niang. Le « kandam diamono », trou où l’on enterrait les dignitaires fait aussi partie du patrimoine historique de la localité.
« Avant l’intronisation d’un Teigne, il y a un puits appelé « mbeundoum déréte ». Ce lieu, découvert grâce à une vache du nom de « ndieuk », s’appelle « diandioum ciss ». Beaucoup d’eau en sortait. Lamane Bassa, propriétaire de cette vache, en informa Lamane Déthié Fou Ndiogou qui quitta le village de Bardial pour venir en faire un puits. Tout Teigne devait, avant son intronisation à Lambaye, se rendre à ce puits. Autour du puits, on mettait une tige de mil sur laquelle il s’asseyait. Puis il devait puiser du puits un des éléments symboliques suivants. S’il sortait du lait, de l’eau, du mil, on disait qu’il serait un bon roi, mais si le sang sortait, on disait qu’il ne sera pas intronisé parce qu’il serait sanguinaire », indique Alé Niang. « Il y a aussi « guy guewel », un baobab qui avait un trou en bas du tronc. On y enterrait les griots avec beaucoup de festivités, la veille. Il y a les mbanars, un cimetière spécifique où l’on enterrait les riches. Si vous allez à Thiakhar, il y a ndébane. Tous les chefs de canton qui étaient nommés devaient faire le tour de ce baobab pour formuler des prières », note-t-il.
Bambey, nid d’histoires
Le département de Bambey peut se targuer d’avoir des potentialités qu’on ne trouve pas ailleurs. « C’est un nid d’histoires », nous dit le doyen El Hadji Alé Niang. « Après le découpage traditionnel, Lat Soukabé Ngoné Dièye fonda, au 14e siècle, le village de Makaye Meïssa Tende Wedji qui se trouve à Keur Madiop Dieumbe. C’est là qu’il s’était installé, entre le Cayor et le Baol, parce qu’il ne voulait pas frustrer les gens du Baol ni ceux du Cayor. Il s’est installé entre le Cayor et le Baol, ayant comme fils, Meïssa Tende Wedji qui régna pendant 33 ans. Il a fait un lotissement de 33 rues et chaque soir, on immolait 33 bœufs et tout enfant qui était né portait le nom de Fall », explique l’historien. Dans ses différentes batailles, poursuit-il, Lat Soukabé Ngoné Dièye s’est battu avec les lébous et est allé jusqu’à Pout.
A l’université Alioune Diop, soutient le communicateur traditionnel, se trouve le marigot de la chance. « A l’époque, c’était un lieu de prières. Tous les villages environnants venaient s’y recueillir pour avoir un hivernage abondant. Lors de la bataille de Ndiarndem, en 1817, les guerriers de Birima Fatma Thioub qui livraient bataille à Teigne Amary Dior Borso Mbissane et leurs chevaux se désaltéraient à ce marigot qui se trouve à l’université », informe Alé Niang. Selon lui, « toute personne qui y formule des prières aura gain de cause ».
Avenir de la tradition orale dans le Baol
El Hadji Alé NiangAujourd’hui, déplore le vieux Alé Niang, la tradition orale du Baol connait une perte de valeurs. Nostalgique, il se souvient des danses comme le « ngomar », qui se pratiquaient à la veille de la circoncision. « C’était une danse sacrée créée et pratiquée par les Sérères. Elle se pratiquait avant la circoncision à Bambey Sérère, Ndol et un peu partout, du lundi jusqu’au vendredi ». Il y a aussi le « reub khodane » qui se pratiquait à l’approche de l’hivernage, la danse du fil extrêmement sacrée pratiquée à Toubatoul et Ndol. C’est une festivité pratiquée par les jeunes filles et garçons. Les coques de Ndol, une danse avec des mortiers dans lesquels on introduisait des coques qui émettent des sons musicaux. « Tout ce patrimoine a presque disparu », regrette El Hadji Alé Niang. « Le « kassak » n’existe plus. Le « dagagne », la danse du « yangape » pratiquée par les Linguères du Cayor suivies de leurs esclaves qui les éventaient n’existent plus parce qu’il n’y a pas eu une politique de valorisation ».
« Qui ne se rappelle pas du « ndiam » qui était une grande cérémonie ? Quand votre fiancée devait se faire tatouer, elle allait voir, le matin de bonne heure, la dame qui pratiquait le tatouage, accompagné de ses batteurs de tam-tam. L’activité se déroulait toute la journée. Le fiancé venait et distribuait beaucoup de billets de banque et la fiancée, pour montrer son courage, se mettait à danser », narre-t-il avec un brin de nostalgie.
Les tresses ne sont pas en reste. « Le « diéré », le « ngouka », le « niar », le « kari khétiakh », les « nodoug », de même que le gris-gris qu’on appelait « téré tékalma » que portaient les Linguère du Baol et du Cayor ont tous disparu », déplore Alé Niang.
A ce rythme, note-t-il, l’histoire traditionnelle du Baol risque de disparaître. « Nous sommes appelés à mourir et si nous partons, l’histoire va disparaître ».
Aujourd’hui, fait-il remarquer, beaucoup de traditionnalistes, à l’image de Mambenda Mboup, Sakhéwar Diop, Mbaye Soudy Samb, Niokhosso Seck de Lambaye sont tous partis sans laisser de traces. La tradition orale, selon Alé Niang, risque de disparaître si rien n’est fait. Alé Niang, auteur de « Si Yéri Niamane était encore là » et de la chanson « Massamba Dièye » savamment reprise par Youssou Ndour, recommande ainsi à tous les communicateurs traditionnels, du moins ceux qui maîtrisent assez bien l’histoire traditionnelle, d’en faire un livre comme l’a si bien fait Assane Ma Rokhaya Coumba Diangane qui a écrit le livre « Kadior Demb ». Et pourtant, affirme Samba Awa Ndiaye, communicateur traditionnel, par ailleurs animateur à radio Diourbel Fm Rts, d’importantes activités sont mises en œuvre à travers le développement culturel, voire la promotion des potentialités culturelles. « La région dispose d’un agenda culturel et d’un riche programme d’inventaire, de protection et de promotion du patrimoine matériel comme immatériel », note-t-il.
A Diourbel, dit-il, les animations, les spectacles, les cérémonies traditionnelles, les expositions, les festivals et de toutes activités ayant un lien avec la culture et les arts se tiennent assez souvent, même si, fait-il remarquer, la religion semble avoir pris le dessus. En atteste les différents « dahiras », les « thiante » sans oublier le phénomène des « zikr » ou chants organisés par les « Baye Fall » en hommage à leur guide, Cheikh Ibra Fall. La conséquence est qu’aujourd’hui, il est difficile d’évoquer l’épanouissement des jeunes à travers des soirées dansantes à Diourbel pourtant riche de son folklore bâti sur le « Takhourane », comme nous le fait savoir le traditionnaliste, Samba Awa Ndiaye. Pour autant, certains spectacles comme le théâtre, les concerts, les soirées folkloriques, sont organisés, même si c’est de façon parcimonieuse. Il s’y ajoute, selon El hadji Bara Ngom, les cérémonies de divination communément appelées « xooy », les séances de danses traditionnelles comme les nguel, le takhourane, etc., qui font encore de la résistance.