Au lieu des sommations et de l'approche graduelle promises, les forces de sécurité égyptiennes ont choisi la surprise et un dispositif massif. Vers six heures du matin, mercredi 14 août, elles ont donné l'assaut contre les deux campements installés au Caire par les partisans du président Mohamed Morsi depuis sa destitution, le 3 juillet, par l'armée.
Les premiers bilans provisoires de cette opération d'envergure semblaientconfirmer les craintes d'un bain de sang annoncé. Une heure après le début de l'opération, 43 cadavres étaient alignés dans l'hôpital de campagne du campement de Rabiya Al-Adawiya, dont plusieurs manifestement tués par balles.
A 10 heures, les Frères musulmans qui animent ces sit-in ont annoncé au moins 100 morts et plus de 2 000 blessés. Le ministère de l'intérieur quant à lui, qui a affirmé que les manifestants avaient ouvert le feu sur la police, a annoncé la mort de deux agents. Les trains entrant et sortant du Caire ont été bloqués pour empêcher que les manifestations ne se reforment hors de la capitale.
UNE NORIA D'AMBULANCES ORANGE
Au petit matin, des chars et des troupes ont commencé à sécuriser un périmètre très large autour de la mosquée de Rabiya Al-Adawiya, dans le quartier de Medinat Nasr dans l'est du Caire, et de la place Al-Nahda, près de l'université du Caire.
Les journalistes et photographes ont été empêchés d'accéder aux lieux. A 200 m de la place Al-Nahda, une noria d'ambulances orange donne une idée de l'ampleur de l'opération qui se joue derrière les cordons de sécurité.
Deux hélicoptères survolent le campement plongé dans la fumée des gaz lacrymogènes, dont les manifestants tentent de dissiper les effets en brûlant des pneus.
A 9 HEURES DU MATIN, LE CAMPEMENT ÉTAIT TOTALEMENT DISPERSÉ
Chaque passage d'hélicoptère est applaudi par les habitants du quartier, massés devant le dernier barrage. "L'armée et la police main dans la main et maudits soient les Frères", scandent les habitants du quartier de l'université.
A 9 heures du matin, le campement a été totalement dispersé au moyen de gaz lacrymogènes uniquement, a annoncé le ministère de l'intérieur. Selon un responsable des forces de sécurité, les occupants d'Al-Nahda ont tous été arrêtés et chargés dans des bus de la police. Soudain, un militant pro-Morsi est vu en train de s'enfuir par les jardins du zoo adjacent. Les soldats arment leurs fusils et se mettent à le poursuivre, accompagnés de jeunes habitants du quartier surexcités. D'autres sont affairés à retirer les banderoles marquant l'entrée du camp, désormais jonché de palmiers abattus et de sacs de sable des barricades renversées.
Autour du sit-in de la mosquée de Rabiya Al-Adawiya, des bulldozers ont commencé dès 6 heures du matin à enfoncer les barricades de fortune faites de pavés et de sacs de sable, derrière lesquelles s'étaient retranchés des milliers de partisans du président déchu, avec femmes et enfants.
CRAINTES D'UN VÉRITABLE MASSACRE
"Il y a 60 morts confirmés. Des tireurs embusqués sont postés sur les toits des immeubles. Les blindés roulent sur les gens. Des tirs proviennent des hélicoptères", assure au Monde Abderrahman Daoud, l'un des responsablesmédias du sit-in de Rabiya Al-Adawiya vers 9 h 30 du matin.
La dispersion de ce sit-in attise les craintes d'un véritable massacre. Le 27 juillet, des affrontements entre forces de police et manifestants devant l'une des entrées du site avait déjà causé la mort de 81 personnes, portant le bilan total des affrontements entre manifestants et forces de sécurité à plus de 250 morts depuis le 3 juillet.
La crainte des répercussions, notamment internationales, d'un massacre contre les partisans des Frères musulmans et de leurs alliés islamistes a retardé cette intervention annoncée par les nouvelles autorités de transition depuis plusieurs semaines.
AFFRONTEMENTS ENTRE PRO-MORSI ET RÉSIDENTS
Les heurts qui ont opposé mardi des manifestants pro-Morsi aux anti-Morsi et aux forces de sécurité, faisant un mort, ont précipité l'intervention des forces de sécurité face à de nouvelles craintes de guerre civile. Une marche organisée par les manifestants de la place Al-Nahda en direction du ministère de l'intérieur a dégénéré dans l'après-midi de mardi. Les forces de sécurité ont dû interveniraprès des affrontements qui opposaient manifestants pro-Morsi et résidents, appuyés par des anti-Morsi, les deux camps s'échangeant jets de pierre et tirs de chevrotine.
Dans la soirée, rien ne semblait pourtant annoncer l'opération qui se préparait. Sur le sit-in de Rabiya Al-Adawiya, aux allures de Luna Parc islamique, les familles mangeaient tranquillement. Un match de football était organisé entre des équipes d'Al-Nahda et de Rabiya dans un stade bien construit, avec des planches et des gradins. "Ils ne peuvent pas y aller aux gaz lacrymogènes, à cause des femmes et des enfants. Vous et moi pouvons supporter les gaz, mais les bébés vontmourir, ce serait un crime mondial !", assurait, très confiant un responsable du sit-in.
Par Serge Michel
Par Serge Michel