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Bachir Saleh, les tribulations françaises d’un kadhafiste

Lié à des affaires de financement occulte entre Tripoli et Paris, l’ex-bras droit du Guide a longtemps été protégé par l’Elysée sous Sarkozy. Il est aujourd’hui en fuite.


Deux téléphones étaient disposés de chaque côté de son lit. L’un relié à une ligne ordinaire, recevant les communications de l’extérieur. Et l’autre, un téléphone rouge. D’après d’anciens domestiques de Bachir Saleh, l’ex-numéro deux du colonel Kadhafi, cette seconde ligne était réservée aux appels du «Guide de la révolution». Elle pouvait conduire l’homme de confiance, en plein milieu de la nuit, au palais de Bab el-Azizia, le QG présidentiel à Tripoli. Ou dans un avion. Ou n’importe où, au gré des demandes plus ou moins fantasques de l’Ubu libyen.
Depuis la chute du régime de Kadhafi, fin août, Bachir Saleh n’a plus qu’un seul téléphone. Seuls ses proches et ses avocats ont le numéro. Peu savent avec certitude dans quel pays vit ce petit homme à la moustache noire, dont le visage apparaît rarement sur les photos officielles, le plus souvent dans l’ombre.
Bachir Saleh était arrivé en France l’hiver dernier. Il a vécu tranquillement dans sa maison du pays de Gex, à quelques kilomètres de la Suisse. Pendant l’entre-deux tours de la présidentielle française, le 1er mai, Bachir Saleh a tenu une réunion surréaliste dans les salons du Ritz, à Paris, avec Dominique de Villepin et l’intermédiaire Alexandre Djouhri. Le lendemain, il a fait une brève et non moins surréaliste apparition sur les Champs-Elysées, immortalisée par un journaliste de Paris Match. Deux sorties au grand jour alors qu’un document - mentionnant son nom et la somme de 50 millions d’euros remise par la Libye à Nicolas Sarkozy - venait tout juste d’être divulgué par Mediapart. L’ancien chef de l’Etat, qui a farouchement nié sa véracité, a porté plainte contre le site d’informations.
Puis, brusquement, la France n’a plus entendu parler de lui. Envolé, Bachir Saleh. Disparu sans laisser d’adresse. L’un de ses avocats français, Marcel Ceccaldi, se contente d’indiquer que cet homme recherché par Interpol pour «fraude» depuis mars se trouverait actuellement en situation régulière à l’étranger. Car le Libyen n’est plus le bienvenu dans l’Hexagone depuis que son nom est apparu lié aux affaires de financement par Kadhafi.

Dans les pas du colonel

Il en a pourtant longtemps été le protégé. Après la chute de la dictature, à l’automne 2011, la France a même chouchouté cet ancien président du Libyan African Investment Portfolio (LAP), un fonds d’investissement consacré à l’Afrique, évalué à quelque 7 milliards de dollars (5,6 milliards d’euros). Il faut dire que cet homme, très proche du défunt dirigeant libyen, détient nombre de secrets. Apparaissant comme l’un des piliers du régime, il quittait rarement les pas du colonel. En 1997, Bachir Saleh avait été nommé chef de cabinet par le Guide. C’est lui qui gérait personnellement ses finances. Sa maîtrise parfaite du français en avait fait l’interlocuteur privilégié des délégations de l’Hexagone en visite à Tripoli. Cela crée des liens. Fin 2011, après avoir fui la Libye, Bachir Saleh aurait été accueilli par les Français. Plus précisément par l’ambassadeur de France à Tunis, Boris Boillon. Ce dernier lui aurait ouvert les portes de la résidence diplomatique réservée aux invités de marque. Contacté à ce sujet par Libération, l’ambassadeur n’a pas donné suite à notre appel.
D’après le Canard enchaîné, Bachir Saleh aurait ensuite été exfiltré vers la France via un avion privé, appartenant à Alexandre Djouhri. Une fois arrivé sur le territoire, il a obtenu un permis de séjour valable jusqu’en août. Motif invoqué par Claude Guéant :« Regroupement familial.» L’épouse de l’ancien bras droit de Kadhafi, Kafa Kachour, 56 ans, bénéficie, il est vrai, de la double nationalité - libanaise et française - et vit au moins la moitié de l’année à Prévessin-Moëns, dans le pays de Gex, à quelques kilomètres de Genève.
Dans la famille Saleh, l’épouse a d’ailleurs bénéficié, elle aussi, de la mansuétude de l’Elysée, et ce bien avant la chute du régime de Kadhafi. En 2009, Kafa Kachour s’est en effet trouvée au cœur d’une histoire suivie de près par la présidence française de l’époque. L’affaire débute en avril de cette année-là, quand la Police de l’air et des frontières (PAF) de l’Ain arrête un sans-papiers nigérien et s’apprête à l’expulser. Mais ce dernier leur explique être arrivé légalement sur le territoire français en 2005 avec des dignitaires libyens, avant de rester à leur service. Depuis, dit-il, il aurait été exploité vingt-quatre heures sur vingt-quatre, pour un salaire de misère. L’homme, qui affirme avoir réussi à s’enfuir, assure que d’autres domestiques, des Tanzaniens, sont toujours au service de la famille Saleh.
Une enquête préliminaire est ouverte. L’ancienne patronne de ce témoin est identifiée : il s’agirait de Kafa Kachour. «Dès le début de l’enquête pénale sur Kafa Kachour, magistrats et enquêteurs se sont renseignés sur le statut de la femme du directeur de cabinet de Kadhafi, souligne une source proche du dossier. Cela n’aurait servi à rien de poursuivre une personne bénéficiant de l’immunité.» Sollicité, le ministère français des Affaires étrangères précise que la dame n’est pas connue de leurs services, et qu’elle n’est pas - à sa connaissance - protégée par un quelconque statut diplomatique. Les enquêteurs leur demandent de vérifier. Le Quai d’Orsay confirme.
Le 18 mai 2009, les enquêteurs de la brigade mobile de recherche de la PAF débarquent chez Kafa Kachour pour une perquisition. La maîtresse des lieux étant absente, ils décident de revenir le lendemain. Mais la bombe est lâchée. «A partir ce jour-là, Mme Kachour a prévenu ses contacts en France de l’enquête qui la visait, et ça a été Hiroshima»,révèle un proche de l’enquête. Dès le lendemain, les enquêteurs sur place reçoivent un appel de la cellule diplomatique de l’Elysée. «On ne leur dit pas : "Arrêtez tout!", précise une source judiciaire. Mais un simple coup de fil peut avoir le même effet.»

Demande de naturalisation

Les policiers ne se laissent pas influencer. Ils se contentent d’indiquer sur le PV de perquisition que «Mme Kachour tient alors à nous préciser que son époux Bachir Saleh est une personne importante en Libye et serait le directeur de cabinet du colonel Kadhafi». Puis ils placent «l’épouse de…» en garde à vue. «Nous avons su, par la suite, que les fonctionnaires du Quai d’Orsay qui n’avaient pas alerté du statut particulier de Mme Kachour ont été déplacés, détaille une source proche du dossier. Finalement, en faisant mal leur travail, ces personnes ont permis à l’enquête judiciaire d’avoir lieu.»
Peut-être, mais elle ne s’est pas déroulée dans la sérénité. Les magistrats ont commencé par découvrir que l’épouse de Bachir Saleh avait été naturalisée avec l’aide active de l’Elysée. C’est Boris Boillon - encore lui, mais cette fois dans le rôle de conseiller du Président pour la zone Afrique, Proche et Moyen-Orient - qui a appuyé, en 2008, sa demande de naturalisation. Elle l’a obtenue en trois mois alors que les conditions n’étaient pas pleinement remplies.
Au cours de l’instruction, les juges prennent également conscience que Kafa Kachour a connaissance de certains actes avant eux. Un exemple : le 29 juin 2010, l’un de ses anciens chauffeurs est entendu par le juge d’instruction. Il explique avoir reçu de son ancienne patronne un coup de téléphone peu de temps après avoir été interrogé par les policiers. Cette dernière n’était pas satisfaite de ses réponses… La juge s’étonne. A la date du coup de fil reçu par le chauffeur, son audition ne figure pas encore dans le dossier. En clair, personne, hormis les policiers qui ont procédé à l’audition et leur hiérarchie, ne pouvait y avoir accès. « Pourquoi Mme Kachour vous parle début avril 2010 alors que la commission rogatoire n’est pas encore arrivée ?», questionne la juge. Aucune plainte ne sera déposée pour violation du secret de l’instruction.
Ces péripéties ne sauveront pas Kafa Kachour. « Le 25 avril dernier, le tribunal correctionnel de Bourg-en-Bresse l’a condamnée à deux ans de prison avec sursis et 70 000 euros d’amende», se félicite Mehdi Benbouzid, l’avocat des quatre domestiques, tous tanzaniens.

«Soutien à la campagne»

A cette date, son mari est sur le point de déchoir en France. Trois jours plus tard, le 28 avril, Mediapart publie le document évoquant une remise de 50 millions d’euros de la Libye à Nicolas Sarkozy. Bachir Saleh est le destinataire de la lettre. «Dès le 29 avril, je téléphone à un responsable du renseignement intérieur, se souvient Marcel Ceccaldi. Il m’indique que la fiche rouge émise par Interpol ne signifie pas mandat d’arrêt.» Tombe alors le communiqué de Pierre Haïk qui s’exprime en tant qu’avocat de Bachir Saleh. Ce dernier met en doute l’authenticité de la note, il «affirme n’en avoir jamais été le destinataire et dément catégoriquement avoir participé à une réunion, le 6 octobre 2006, au cours de laquelle un accord aurait été conclu en vue de déterminer les modalités d’un soutien financier à la campagne de 2007 de Nicolas Sarkozy».Mais, confie un de ses proches, «je ne suis pas sûr que Bachir Saleh ait été au courant de ce communiqué».
En d’autres termes, l’ancien chouchou de l’Elysée aurait été utilisé à quelques jours du second tour de la présidentielle pour démentir une note bien encombrante. Sacrifié même. Marcel Ceccaldi ne dément pas, indiquant avoir eu de nouveau un responsable de la DCRI (renseignement intérieur) le 2 mai au téléphone. «Il m’a lancé en guise de justification :"Il fallait bien que quelqu’un démente."»
«C’est n’importe quoi !, s’insurge Pierre Haïk. J’étais l’avocat de Bachir Saleh bien avant que cette histoire n’éclate. J’ai évidemment rédigé ce communiqué avec lui. Ce sont ses propos.» L’ancien homme fort de Kadhafi n’a pas été joignable pour nous le confirmer.

Source: Libération


Vendredi 22 Juin 2012 - 13:26





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