Le film « Bois d’ébène » du réalisateur sénégalais Moussa Touré, projeté lundi, dans le cadre des compétitions officielle films documentaires de la 25ème édition du Fespaco, retrace le périple de deux jeunes nés libres dans un village du Golfe de Guinée vendus comme esclaves aux Antilles françaises. Entre fiction et réalité, ce documentaire aux relents historiques fait le point sur une « mémoire noire et blanche » que le continent partage avec l’Europe et l’Amérique.
OUAGADOUGOU : La mémoire historique africaine est fragilement entretenue. L’urgence pour les générations actuelles et futures est d’œuvrer pour la construction d’une mémoire forte et d’une conscience collective de l’histoire du continent. C’est sans doute dans cette logique que s’inscrit le film documentaire de fiction « Bois d’ébène », en compétition à la 25ème édition du Festival panafricain de cinéma et de la télévision de Ouagadougou.
Dans ce film, le réalisateur sénégalais, Moussa Touré, promène sa caméra sur une page aussi sombre de notre historique qu’est l’esclavage. Histoire dont on parle très peu dans les pays africains, qui continuent pourtant de subir soit directement ou indirectement les conséquences du commerce de la honte. Entre fiction et réalité, le film nous plonge dans l’univers tumultueux du trafic des êtres humains entre le XVe et le XIXème siècle. L’histoire que raconte le réalisateur sénégalais est tout simplement celle que 12 millions d’Africains ont vécues pour alimenter les armateurs négriers.
Un jour de 1825 dans le Golfe de Guinée, un voilier blanc débarque avant d’embarquer, quelques mois après, près de 300 esclaves âgés entre 15 et 35 ans. Parmi les hommes capturés, on retrouve le couple Yanka et Toriki, nés libres dans un village de la contrée mais vendus par la suite comme esclaves aux Antilles français. Les témoignages bouleversant des deux amoureux qui n’ont jamais eu l’occasion de vivre leur passion ainsi que les carnets de bord des capitaines du bateau donnent à ce documentaire l’allure d’une tragédie. Souffrance suprême, traitement inhumain, mort cruelle… le film décrit l’horreur dans sa forme la plus parfaite. Yanka raconte, à travers une voix « off », l’expérience de la puanteur dans la cale du bateau, les supplices faits aux personnes qui refusaient de suivre les ordres des Blancs.
Débarqués à la fin de l’année 1825 aux Antilles françaises, ils sont vendus à de nouveaux propriétaires. Sur place, ils changent de nom, de religion. Mais, l’enfer ne vient que commencer. Les esclaves qui essayent de fuir sont exécutés conformément aux lois locales. Parmi les femmes, certaines sont victimes de viol. Mais, elles préfèrent « couler » leur ventre que donner naissance à un négrillon. Accusé sans preuve, avec une autre esclave, d’avoir empoisonné une partie du bétail de son maître, Toriki est condamné à la mort par pendaison quelque temps après, au même titre que sa complice qui venait juste d’accoucher. A sa mort, on lui refuse les cimetières, malgré sa conversion forcée au catholicisme.
Ce film est un hommage, un devoir de mémoire sur la folle aventure de la marchandise humaine. Même s’il l’on peut reprocher à Moussa Touré de poser un sujet déjà connu de tous, sans pour autant y apporter une touche personnelle, son mérite est de ne point se laisser glaner par le silence face à une horreur qui interpelle la mémoire noire et blanche que partagent l’Afrique, l’Europe et l’Amérique.
Présent à la séance de projection, le réalisateur a estimé avoir parlé d’une réalité historique encore présente. Seulement, selon lui, il s’agit d’une chose dont on ne parle pas. « J’ai accepté de faire ce documentaire fiction en y ajoutant le silence que nous gardons presque très souvent dans cette historique page d’esclavage », a-t-il soutenu.