En dépêchant une délégation du Parti démocratique sénégalais (Pds) pour exprimer sa solidarité et sa reconnaissance à Cheikh Béthio Thioune, nouveau locataire de la prison de Thiès, comme s’il s’agissait de se démarquer de gens soupçonnés de lui faire payer son soutien à sa candidature, l’ancien président de la République, Me Abdoulaye Wade, montre une fois de plus que ne lui importe que ses propres intérêts. Confronté à l’éclatement de son parti en plusieurs pôles et à l’imminence des élections législatives prévues le 1er juillet, tout à sa stratégie de récupération, il pense pouvoir engranger en retour, comme l’on dit de façon triviale, les bulletins de vote des « 12 millions de Thiantacounes » dont se réclame le guide. Il feint de ne pas comprendre que son interpellation relève plutôt du fait divers macabre et n’entretient par conséquent aucun rapport avec son statut de guide religieux, encore moins son engagement politique.
Ensuite, quelque soit la motivation de l’ancien président Abdoulaye Wade, il y a quelque chose d’indécent à le voir essayer de politiser des actes, en réalité criminels, au moment où précisément la justice est en train de mener ses investigations. C’est ainsi qu’il persiste à vouloir casser le thermomètre pour cacher la maladie. A bien y regarder, sa posture est révélatrice des mœurs qui ont pollué une mandature marquée par la propension à l’arrogance qui, comme on le sait, est fille de l’impunité. Sévèrement sanctionnée au soir du second tour de l’élection présidentielle, cette tendance mérite d’être corrigée en faisant en sorte de réconcilier les citoyens avec l’institution judiciaire. Longtemps tenue en laisse par un exécutif qui l’a mise aux ordres, il lui revient de se rebiffer et de revendiquer son indépendance. A défaut, toute démission fera courir des risques majeurs à la communauté nationale. C’est justement le cas lorsque l’Etat laisse des milices privées prospérer à l’instar de celles de Bethio Thioune et Modou Kara, occupant les rues et se livrant sans autorisation préalable à des activités bruyantes au grand dam de la quiétude d’honnêtes citoyens. L’occasion est donc plus que jamais propice pour ouvrir une nouvelle page de la laïcité et de la démocratie sénégalaises en faisant en sorte que les jeunes ne s’abîment pas dans la séduction du désespoir. Comme c’est le cas, lorsque sous l’emprise du besoin, ils se laissent tenter par la facilité qui consiste au service gratuit de bols de riz garnis de quartiers de viande de bœufs, de cuisses de poulets et de boissons de tous ordres. Tout cela encadré par une ambiance festive débouchant à l’occasion sur la célébration de mariages collectifs, par la seule bénédiction du chef. S’il est vrai que tout vivant est un être de besoin, dans le sens où il lui faut pour vivre, boire, manger, dormir, il lui revient alors de comprendre qu’il est aussi de sa responsabilité de refuser d’être instrumentalisé par des forces obscures puisque, rien ne s’acquiert que dans la peine et l’effort.
Avec l’affaire Bethio Thioune on est confronté, une fois de plus, au décalage entre l’instrumentalisation politicienne et la réprobation citoyenne. A l’image de la défiance qu’il a exprimée à l’endroit des Ndigëls périphériques, le citoyen-électeur a donné la preuve de sa capacité à faire le départ entre ce qui relève ou non des pratiques et des croyances religieuses.
Le statut de guide religieux oblige au contraire à dérouler un comportement irréprochable en s’inscrivant scrupuleusement dans le sillage de la sacralité de ses croyances. En sortir pour s’immiscer dans l’actualité du monde profane expose par conséquent de se voir traiter comme n’importe quel quidam. Il n’est donc nullement souhaitable dans ce cas précis de glisser sur le terrain hasardeux de la lecture politicienne, comme semble vouloir s’y engager Calamity Wade, l’ancien président de la République.
De quoi s’agit-il ? Cheikh Béthio Thioune a été mis sous mandat de dépôt par le juge d’instruction du tribunal régional de Thiès, jeudi 26 avril, après 72 heures de garde à vue à la gendarmerie de la Cité du rail, pour les chefs d’inculpation de complicité d’homicide, détention d’armes sans autorisation , association de malfaiteurs, recel et inhumation de cadavres sans autorisation. Deux morts ont en effet été dénombrés dans sa concession de Madinatoul Salam, dans la banlieue mbouroise, à la suite d’affrontements ayant opposé quelques uns de ses fidèles. Au même titre que tout autre citoyen, il a été entendu, comme il se doit en pareille circonstance, par les autorités habilitées en la matière. Personne ne devrait s’en offusquer.
Il se trouve que, conformément à la Constitution, l’Etat démocratique et laïc du Sénégal qui a l’impérieux devoir de veiller à l’expression de toutes les croyances et pratiques religieuses a aussi l’obligation de garantir les conditions d’exercice d’une justice impartiale. Ce qui implique la neutralité confessionnelle de l’Etat et son souci de mettre en valeur ce qui unit plutôt que ce qui divise.
Vieux SAVANE