Le marché sénégalais n’est pas très attractif. Comment faîtes-vous pour écouler vos productions ?
Vous savez avec la nouvelle technologie on essaye de trouver un moyen de contourner ce phénomène de piratage qui n’arrange aucun musicien ou artiste en général. Nous voulons faciliter l’accessibilité de nos produits chez les consommateurs. Du coup, on essaye d’accompagner le consommateur en lui montrant comment faire pour avoir accès à nos produits d’une manière efficace. C’est ce qui nous inspire à distribuer nos produits sur I-tunes et sur d’autres réseaux sociaux.
Vous distribuez vos produits sur I-Tunes. Est-ce une façon de se mettre à dos le marché local tout en sachant qu’il est très rare de voir un jeune de 18 ou 20 ans avoir un compte bancaire pour acheter ces genres de produits ?
Il ne s’agit pas d’avoir juste un compte bancaire ou une carte visa pour commander ou télécharger. Il y a d’autres moyens, un ami m’a contacté pour nous proposer une plateforme de distribution musique où on télécharge nos produits par sms. Il suffit juste d’avoir un portable pour télécharger les titres de l’artiste de son choix.
Un jour, on vous a entendu dire que ce n’est pas la production artistique qui vend, mais plutôt l’histoire de l’artiste. Est-ce que vous pouvez expliquer cela davantage ?
Je me suis rendu compte que malheureusement ou heureusement pour d’autres que c’est l’histoire de l’artiste qui vend. Parce que tout le monde peut se présenter sur scène avec un répertoire pour animer. C’est ce qu’on trouve malheureusement partout dans le monde. Quand un label présente un artiste on voit que des acteurs culturels s’approchent de cette maison de production pour s’intéresser à l’histoire de cet artiste afin de mieux vendre l’artiste. C’est tout un mécanisme qui est derrière pour faire rêver le public et de permettre à l’artiste d’entendre sa scène de distribution. C’est ce qui vend. Moi, c’est ce que j’ai constaté au niveau international. Et cela a commencé en Afrique, mais pas au Sénégal parce que le marché sénégalais n’existe presque pas. Le mbalax marche mais il a dû mal à s’installer sur l’international. Peut-être, il y a un travail à continuer parce que nos aînés on fait un grand effort pour au moyen présenter le style que le public étranger accepte et respecte qui est le mbalax. Maintenant, c’est à nous jeunes artistes sénégalais de continuer à défendre ce style noble et respectueux possible.
En vous écoutant, on a l’impression que vous ne vous considérez pas comme rappeur, mais plutôt comme un mbalaxman. Est-ce le cas ?
J’ai eu toujours du mal à répondre à cette question. Le fait d’avoir été un rappeur est une partie de la vie de l’artiste et cela personne ne peut l’enlever. J’ai été rappeur, je suis rappeur et je resterai rappeur. Parce que sa fait partie de l’histoire de l’artiste. Maintenant, si un rappeur inconnu essaye de se faire un nom en me traitant de tous les noms d’oiseaux, c’est son affaire. Pour ces genres, le silence est la meilleure des réponses. Je pense que l’essentiel est de travailler dans son coin.
Vous parlez de relations. Est-ce que vos relations avec les rappeurs sont-elles au beau fixe ?
Tout est positif ! Le respect est réciproque et moi je les respecte tous autant qu’ils sont que ça soit le rappeur, le mbalaxman ou un autre artiste. Bref, tout musicien dans son style.
Quelle est l’histoire de Carlou-D ?
Carlou-D est un jeune musicien fou amoureux de la musique. J’ai tout donné à mon art parce que c’est ce qui inspire ma vie. C’est ce qui inspire le monde qui bouge autour de ma personne cela devient de plus en plus important.
Et comment s’est passé le coup de foudre avec la musique ?
Depuis tout petit, j’ai commencé à consommer la musique en compagnie de mon père qui a et qui reste un bon mélomane. On écoutait de la musique pendant ses heures de pause dans la maison les 45 tours des années 60 ; 70 jusqu’à nos jours. Je me rappelle qu’il m’a donné le reste de ses vinyles comme cadeau il n’y a même pas 5ans. On a cette complicité à consommer la musique et c’est ce qui est extraordinaire. C’est aussi ce qui m’a permis d’avoir une base musicale diversifiée qui se reflète sur ce que je fais.
Vous l’avez évoquée, votre relation avec votre père. Vous aviez fait un morceau, Gangster, qui n’avait pas été bien perçu par le public où on sentait que ce n’était pas le grand amour entre vous deux. Comment l’expliquez-vous ?
Aujourd’hui, j’ai eu raison de sortir ce titre et de le défendre. Pas pour lui le concerné par rapport à ma requête des années passées mais cela a beaucoup aidé le chef de famille sénégalais à prendre davantage le temps d’éduquer, d’assister et côtoyer leurs enfants.
On avait entendu dire que Akon allait vous produire, qu’est-ce qui s’est passé ?
L’histoire de Akon aussi on en a entendu tellement parler. J’ai toujours dit que je n’ai jamais demandé à quelqu’un de me produire. Le jour où Akon disait qu’il allait produire mon album c’était en direct sur l’une de nos télés les mieux suivies à l’époque. J’étais sur la route vers Kaolack on m’a appelé pour me le dire. Depuis lors, il n’arrête pas de m’appeler. Il m’a appelé plusieurs fois entre temps. La dernière fois qu’il m’a appelé, il était à Nantes, en ce moment j’étais en Suède. Il m’a rappelé les promesses qu’il avait faites. C’est par la suite qu’il m’a mis en rapport avec une personne qui doit être la 4ème ou 5ème pour régler cette histoire qui n’a aboutit à rien.
Qu’est-ce qui bloque ?
Ce qui bloque, c’est qu’il n’est pas sur place et les intermédiaires jouent un rôle que je n’apprécie pas. Cette personne veut manager Carlou-D au moment où il sera produit par Akon. Et moi je ne céderai jamais, je ne serai jamais managé par une quelqu’un que je ne connais pas ou avec qui je n’ai pas travaillé.
Vous pouvez affirmer que Akon vous a fait une proposition claire et nette, mais c’est au niveau des intermédiaires que ça bloque...
Effectivement ! Lui-même la dernière fois qu’il est venu au Sénégal, il m’a dit qu’il ne savait pas c’est quoi le problème. Je lui ai dit moi non plus. Il m’a rétorqué qu’il tenait à le faire et moi aussi. Je ne suis pas pressé et je ne lui ai rein demandé.
Vous avez débuté avec le rap, récemment on vous a vu jouer dans un opéra. A quoi devrons-nous s’attendre parce qu’on a vu Carlou-D sur toutes les couleurs pratiquement ?
Le Sss (Sénégal sur scène) est le nouveau concept de Carlou-D. C’est une manière de rappeler à nos fidèles et ceux qui me découvrent que je suis un artiste qui défend les couleurs du Sénégal. Je voulais apprendre la musique, j’ai démarré la musique par amour comme beaucoup d’artistes sénégalais. Par la grâce de Dieu, le public a aimé, c’est cet amour que je ne mérite peut-être pas qui m’a poussé à me surpasser en allant partout à travers le monde pour apprendre. Cela m’a permis de nouer des relations avec des artistes sénégalais très connus sur la scène internationale. Ces derniers m’ont coaché pendant des années. Ils vont s’attendre à un Carlou-D un peu mature musicalement. Afin de montrer ce qu’il a appris pour en faire un mix qui va intéresser tout le monde.
En parlant de maturité, on a remarqué dans vos chansons beaucoup de proverbes wolofs. Pourquoi ce choix ?
J’ai été élevé par ma grand-mère qui maîtrisait très bien le wolof. Ces proverbes wolofs, moi je les utilise tout le temps dans la vie courante parce que je suis Saloum-Saloum et fils du Saloum. Je veux bien savoir de quel rappeur il s’agit parce que beaucoup ont commencé comme ça, ils sont devenus mes amis.
Il me semble que c’était Nit Dof…
Nit Dof je pense que c’est l’un des rares rappeurs qui me respectent le plus actuellement.
Et votre contentieux ?
On n’a jamais eu de contentieux, jamais on a eu de soucis. J’ai écouté le single mais pour moi comme tout début chaque rappeur a besoin de «clasher» quelqu’un et souvent on le fait à celui qui est devant pour prendre place pour une certaine considération, pour attirer l’attention.
Je vais reformuler ma question. Quand Carlou-D a sorti un clip avec Paulette, on vous avait taxé de... Est-ce que cela vous a affecté ?
Déjà je n’étais pas au courant de ça. Dieu sait que non. Je pensais que quand j’avais sorti le Cd où il y avait des guests où lui m’avait traité de quelqu’un qui avait insulté son père, nana nana, truc de ce genre. Pour moi, il voulait juste exister, j’ai respecté cette logique hip-hop.
Qui connaît Carlou-D sait qu’à chaque fois il est en avance sur son temps. Qu’est-ce que les spectateurs vont avoir le 1er janvier (l’interview a eu lieu avant le spectacle) ?
Ils vont pour démarrer avoir de la musique, ils verront un Carlou-D qui a grandi et qui porte aujourd’hui cette volonté de vouloir donner sa participation respectueusement avec tout ce que ça comporte.
A l’instar des Nigérians qui ont une musique qui se vend bien sur l’international, êtes-vous d’accord qu’il faut davantage repenser la musique sénégalaise ?
Cela me fait très très mal de voir certains rappeurs qui malheureusement essayent de faire la musique comme ils l’appellent, parce que ça j’ai été parmi les premiers qui ont démarré cette histoire d’unir les racines avec l’actualité musicale et eux malheureusement ont compris, ils l’ont défendu les premiers, ils marchent. La musique nigériane, sénégalaise, ivoirienne, c’est le même rythme, oui, il n’y a pas de changement. Maintenant les couleurs, les histoires différent mais le rythme est le même. Et ils l’ont compris malheureusement.
Pourquoi vous dites malheureusement ?
Parce que c’est dommage, on les voit devant alors que nous on l’a compris en même temps ou avant eux, c’est dommage, c’est malheureux pour nous. Et je vois qu’ils ne sont toujours pas prêts à sortir de cet esprit cana-cana.
Pour sortir de l’esprit cana-cana, qu’est-ce qu’ils doivent faire ?
Accepter d’où on vient, ce qu’on est et où on va.
Qu’est-ce que les artistes doivent faire pour industrialiser la musique au Sénégal ?
On peut se permettre du moment où on a une notion de... exactement l’industrie musicale, les atouts bénéfiques mais réalisables ou pas. Il reste à savoir, il y a du boulot
Vous dédiez votre dernier album à Cheikh Ahmadou Bamba. Pourquoi ce choix ?
Au fait l’histoire Baye Fall et Carlou-D, c’est une seule histoire. Pourquoi j’ai choisi cela ? Cette atmosphère me colle vraiment bien, je me sens bien dans cette atmosphère Baye Fall. Quand je parle de Baye Fall, je ne parle pas de spiritualité, quand je parle de Baye Fall je ne parle pas de confrérie, quand je parle de Baye Fall je parle d’une culture très riche qui existe dans ce pays qui n’est pas utilisée ou défendue. Il n’y a pas plus riche que la culture Baye Fall. Tout ce qui tourne autour, les couleurs, le rythme et la plus importante philosophie des Baye Fall les Jamaïcains l’ont compris, ils ont passé leur musique à travers le rastafaya, le rastafari marche aujourd’hui, beaucoup de toubabs rêvent d’être des rastas. Je me rappelle un jour un journaliste a posé la question à Bob Marley, qu’est ce qu’il faut pour être rasta, il lui a répondu qu‘il faudrait renaître
Qu’est-ce qu’il faut pour être Baye Fall ?
Il faut renaître et nous on l’est pourquoi pas profiter pour nous défendre.
Dans l’album Muzikr, on avait l’impression que vous aviez un peu copié Bob Marley ?
Je n’aime pas ce mot copier, je me suis inspiré des rastas. Ils m’ont juste aidé à accepter ce que je suis et arrêter de... Par contre. J’ai arrêté de jouer les cana ou les rastas. Parce qu’ils ont accepté leur sort, ils ont plutôt leur racine et tout le monde doit respecter ce concept. Et ce concept vend la Jamaïque partout dans le monde. Et pourquoi pas nous, on a une culture beaucoup plus intéressante, beaucoup plus diversifiée, riche en couleurs.
Pouvez-vous revenir sur le choix de Saint-Louis pour votre single ?
Le choix parce que quand Cheikh Ibrahima Fall a rempli sa mission avec Cheikh Ahmadou Bamba sur terre, quand Cheikh Ahmadou Bamba l’a libéré comme on dit chez nous «yéwi», il est parti à Saint-Louis. C’est là-bas où il a trouvé une femme après sa mission, c’est là où il a commencé sa vie à lui, après tant d’années d’existence. Il venait de commencer son histoire à lui à Ndar là où beaucoup de choses se sont passés concernant l’histoire des mourides, Cheikh Ahmadou Bamba, le saint homme parlait de tout ça. Saint-Louis fait partie des socles du mouridisme.