C’est un cycle d’investissements structurants pour l’Hydraulique urbaine et périurbaine. Les signatures de conventions se succèdent et la phase de présélections d’entreprises et de paiement des impenses va bientôt s’ouvrir pour Keur Momar Sarr 3 (Kms 3). La même tendance est notée pour la première unité de dessalement qui sera implantée aux Mamelles. L’accès à l’eau potable est une sur-priorité pour l’Etat du Sénégal, souligne le Directeur général de la Société nationale des eaux du Sénégal, M. Charles Fall, dans cet entretien qu’il nous a accordé. Il répond à nos questions sur le transfert d’eau, la diversification des sources, la demande pressante, la politique sociale et l’autonomie énergétique..
Comment appréciez-vous le poids que les usines de Keur Momar Sarr et Ngnith, situées sur le Lac de Guiers, ont sur le système d’approvisionnement en eau potable de Dakar ?
L’alimentation en eau potable d’un centre urbain comme Dakar relève, dans une si grande proportion, du transfert d’eau sur 250 kilomètres et du fonctionnement de deux usines de traitement situées sur le Lac de Guiers, un plan d’eau situé dans le haut Delta du fleuve Sénégal, dans le Nord-Ouest du pays. Mieux, il faut, tout le temps, assurer le fonctionnement correct des deux stations de pompage et de traitement d’eau de Ngnith et de Keur Momar Sarr. L’usine de Ngnith a été mise en service en 1971. Elle a une production de 45.000 m3/jour. Outre Ngnith, il y a l’usine de Keur Momar Sarr qui a une capacité de 135.000 m3/jour. Elle a été construite dans le Programme eau à long terme (Pelt, 1998-2004).
Les deux unités assurent environ 45 % de la production d’eau potable pour Dakar. La capitale consomme, à elle seule, 70% de la production d’eau potable du périmètre affermé. La croissance démographique, combinée aux activités économiques et aux nouveaux aménagements urbains et périurbains, justifie l’anticipation sur l’évolution de la demande. La vision du chef de l’Etat, M. Macky Sall, est claire au sujet de l’amélioration des conditions de vie de nos compatriotes. Le département de l’Hydraulique et de l’Assainissement travaille à trouver des solutions efficaces et durables.
Pour le compte du ministère de l’Hydraulique et de l’Assainissement, vous avez, pour mission, de construire les ouvrages nécessaires à la prise en charge de la demande ?
L’anticipation est la directive fondamentale que nous a donnée Monsieur le ministre de l’Hydraulique et de l’Assainissement, Mansour Faye. Nous nous y attelons sans délai parce que la demande est pressante ! Dans ce cadre, nous avons réalisé un Schéma directeur basé sur les résultats du dernier recensement et des projections.
Ces résultats montrent que si rien n’est fait, le déficit de pointe de production, pour la région de Dakar notamment et les localités traversées par la conduite du Lac de Guiers, atteindra 202.017 m3/jour en 2025 et 390.888 m3/jour en 2035. C’est presque nos besoins actuels ! De cette étude, est née une stratégie de mobilisation des ressources en eau potable à l’horizon 2035. C’est la ligne directrice de notre action : procéder à l’évaluation des besoins et adapter la production à la courbe de la demande. Je signale que notre stratégie prend en charge les Nouveaux Pôles urbains de Diamniadio, du Lac Rose et la Petite Côte incluant l’Aéroport Blaise Diagne de Diass.
Charles Fall DG SonesKeur Momar Sarr 3 (Kms 3) relève encore du modèle de transfert d’eau sur 250 kilomètres. Ce tracé répond-il toujours à un souci de rationalité technique, économique et sociale ?
Les lignes de force du Schéma directeur sont la mobilisation des ressources de surface à partir du Lac de Guiers et la diversification des sources d’eau avec le dessalement d’eau de mer. Malgré le fonctionnement des deux stations de pompage et de traitement de Ngnith et Keur Momar Sarr, il y a un gap qui est comblé par une batterie de forages disposée le long du littoral Nord et, récemment, ceux construits dans le Programme d’urgence 2015 que nous avons confié à la Sde et qui a permis de mobiliser un volume additionnel de 60.000 m3/jour pour des quartiers comme Nord-Foire, Cpi, Conachap... La phase 2016, qui prendra en charge des zones comme Toubab Dialao et Rufisque, est en cours d’exécution. Sur le même modèle de transfert d’eau, l’Etat voit grand. Voilà qui justifie la construction d’une troisième unité, avec une capacité maximale de 200.000 m3/jour supérieure à celle de Ngnith et Keur Momar Sarr (Kms) 1 et 2 réunies, soit 180.000 m3/jour.
La question de l’autonomie énergétique est cruciale. Que faites-vous pour sécuriser la production ?
Les pouvoirs publics ont pris la mesure de l’enjeu de l’autonomie énergétique. Nous fondons notre action sur cette ligne directrice, sous la responsabilité de monsieur le ministre de l’Hydraulique et de l’Assainissement, Mansour Faye. La situation est la suivante : l’usine de Ngnith fonctionne au gasoil tandis que Keur Momar Sarr est sur la moyenne tension. La moyenne tension est soumise aux délestages. La batterie de forages qui complète la production pour Dakar est également sur la moyenne tension. L’Etat veut rompre avec ces fébrilités du système. Il travaille à raccorder les usines de Keur Momar Sarr sur une ligne Haute tension que nous construirons dans le projet Kms 3. Cette ligne nous coûtera 8 milliards de FCfa. De même, le ministère de l’Hydraulique et de l’Assainissement a équipé l’essentiel des forages de Dakar en groupes électrogènes. D’autres villes sont également dans ce schéma d’implantation de groupes de secours.
La diversification des sources d’eau a été agitée avec le dessalement. Le financement a même été confirmé au président Sall par le Premier ministre japonais lors de la dernière Ticad tenue à Nairobi. Quels avantages présente le dessalement?
Nous nous félicitons de l’appui décisif des autorités sans qui la mobilisation des ressources n’aurait pas été possible. La diversification est conforme à la Politique nationale définie par le président de la République, Macky Sall, et aux instructions du ministre de l’Hydraulique et de l’Assainissement, M. Mansour Faye. Le dessalement est justement une alternative au transfert d’eau. Dakar, une presqu’île sur 0,3% de la superficie du Sénégal, accueille 23,2% de la population nationale, soit 3,2 millions d’habitants au dernier recensement réalisé en 2013. La région de Dakar est la plus peuplée et affiche la plus forte densité avec 5.704 habitants au kilomètre carré contre une densité moyenne nationale de 69 habitants au kilomètre carré. Le projet d’usine aux Mamelles répond à cet impératif de rationalité. Nous avons quand même une façade maritime assez importante !
Cette usine de dessalement d’eau de mer des Mamelles aura une capacité de 50.000 m3/jour extensible à 100.000 m3/jour pour des investissements globaux de 135 milliards de FCfa (206 millions d’Euros). Contrairement au transfert d’eau à partir du Lac de Guiers, la particularité de l’unité de dessalement d’eau de mer est d’être proche des zones de consommation. La production est directement injectée dans le réseau existant. Près du site, il y a des réservoirs fonctionnels. Ce projet comporte un volet « Renouvellement » de 460 kilomètres de réseaux de distribution de Dakar 1.
Nous appelons Dakar 1 la capitale sans sa banlieue. C’est un réseau hérité de la colonisation. Son degré de vétusté occasionne un volume d’eau non-facturé de 20 à 27%. Le renouvellement nous permettra de faire une économie d’eau équivalant à l’actuelle usine de Ngnith. Dakar, poumon économique, aura une disponibilité de la ressource 24h/24. Le démarrage des travaux est prévu au mois de janvier 2018 et la fin en 2021.
Le chef de l’Etat a inscrit, dans son agenda, les projets structurants de l’eau potable et en a parlé dans son adresse à la Nation du 31 décembre 2015. Comment avez-vous réagi à cela?
Le département de l’Hydraulique et de l’Assainissement, à travers la Sones, agit par et pour la République. Nos actions sont déterminées par les demandes populaires fortes qui figurent dans l’agenda de la République. M. Mansour Faye, le patron de ce département, ne cesse de nous interpeller sur ce devoir de réactivité et de résultats. L’accès à l’eau potable est une demande très importante. Le président de la République, M. Macky Sall, a parlé de Keur Momar Sarr et de la station de dessalement des Mamelles. Cela doit être pris comme une invite à la performance. Ces projets constituent des lignes d’actions de l’axe 2 (Capital humain, Protection sociale et Développement durable) et de l’axe 3 (Gouvernance, Institution, Paix et sécurité) du Plan Sénégal émergent (Pse), déclinées à travers les objectifs suivants.
La Jica confirme son financement. L’instruction du dossier Kms 3 est très avancée à la Bad. La Bid a signé un accord de financement en février. Elle est suivie par l’Afd le 23 septembre dernier et la Bei le 7 octobre dernier. Vous êtes satisfait ?
L’Hydraulique urbaine et périurbaine se trouve dans une tendance favorable à la performance. Elle est portée par une très forte volonté politique incarnée par le Chef de l’Etat et notre ministre de tutelle, M. Mansour Faye. Aussi bien pour le dessalement que pour Kms 3, nous sentons un culte de l’action comme réponse aux demandes populaires. Cette ferme volonté de faire des résultats induit un devoir de résultats du côté de la Sones. D’ailleurs, pour le dessalement, une équipe a fini de séjourner au Japon, dans le renforcement des capacités dans cette technologie innovante. Un expert japonais est venu les familiariser avec les procédures de la Jica. Pour Kms 3, nous avons fini de présélectionner les entreprises. Nous avons également bouclé les études sur le Plan d’actions réinstallation (Par). Il sera mis en œuvre dans les tout prochains mois. L’Etat du Sénégal est bien en train de mettre en œuvre le projet Kms 3. Ce n’est plus un projet à proprement parler, c’est maintenant un chantier ! Vous l’avez souligné : les partenaires techniques et financiers souscrivent aux projets majeurs du gouvernement. La tendance est bonne. A titre d’illustration, depuis 2013, c’est un volume de plus de 449 milliards de FCfa qui est mobilisé par l’Etat contre 266 depuis la Réforme de 1995 : 272 pour Kms 3, 135 pour le dessalement, 25 pour le Peamu, 11 pour l’amélioration de la qualité de l’eau dans le bassin arachidier et la banlieue et 6 pour la sécurisation des ouvrages névralgiques. Je n’ai pas tenu compte du Pepam (41 milliards), des Programmes d’urgence 2015 et 2016 (7 et 2,5 milliards de FCfa) et des autres investissements sur fonds propres.
Comment la Sones compte-t-elle aider les Sénégalais à surmonter les disparités dans l’accès à l’eau potable ?
Aujourd’hui, la démocratisation de l’accès à la ressource est un instrument de gouvernance qui élimine les disparités liées à la zone d’habitation ou au portefeuille. Mettez tous nos projets sur la carte du Sénégal et vous vous rendrez compte que nous sommes en train de redessiner la Carte de l’Hydraulique : Kms3 sur l’axe Louga-Thiès-Dakar, l’Unité de dessalement à Dakar, le Peamu sur l’axe Tassette-Petite Côte, le Pepam à Louga, Ziguinchor, Mbacké, Thiès, Kolda, Sédhiou, Bakel, la Somone, entre autres, la qualité à Fatick, Kaolack et Koungheul, etc. Il y a également une meilleure répartition dans l’espace de l’accès à la ressource grâce à la construction de nouveaux ouvrages dans les villes comme Kaffrine et Kédougou.
Et les branchements sociaux ?
Commençons par le réseau qui est une condition essentielle. Outre la disponibilité de la ressource, Kms3 a une portée sociale à travers la pose de 1.150 kilomètres de conduites d’adduction et de distribution. Les couches vulnérables auront, à leur disposition, 85.000 branchements sociaux. Au total, ce sont 120.000 branchements sociaux qui seront réalisés à partir de cette année 2016: les 85.000 de Kms3, les 20.000 du Peamu et les 15.000 sur fonds propres. Le consommateur est entièrement subventionné par l’Etat du Sénégal à travers la Sones. D’ailleurs, l’Etat va ouvrir, dans les prochains jours, la souscription pour le programme de 35.000 branchements sociaux en faveur de toutes les régions du Sénégal.
Quel bilan faites-vous du Programme eau potable du millénaire (Pepam) clôturé le 30 juin dernier?
Nous avons pu améliorer l’accès à la ressource dans les différents centres urbains. A Ziguinchor, la production passe à 11 484 m3/j contre 5.280 m3/j avant le projet ; à Thiès, la nouvelle station de pompage de 5.000 m3/jour, par l’effet de dilution, améliore de 70% la production et la qualité de l’eau ; à Saint-Louis, la production passe de 15.000 à 18.600 m3/jour, soit une production additionnelle de 3.600 m3/jour. D’autres exemples peuvent être convoqués : Kaolack, Louga, Dahra, Dakar, etc. Les Objectifs du millénaire pour le Développement (Omd) ont donc été atteints avant l’échéance 2015. Pour rappel, le taux préférentiel d’accès à l'eau potable en milieu urbain se situe à 98,5% pour Dakar urbain et 88,2% pour la zone périurbaine et rurale de Dakar. L’Etat a pu réaliser 52.951 branchements sociaux. Si l’on s’en fie à la règle de base de 10 bénéficiaires pour un branchement, la population impactée, au total, sera de 529.510 personnes. Plus d’un demi-million de nouveaux bénéficiaires, c’est quand même important !