Cheikh BéthioThioune entre polémique et dénigrement : La face occultée du guide des thiantacones


Depuis le 23 Avril, les évènements sanglants de Madinatoul Salam ne cessent d’apporter leur lot de révélations et de dénigrements. Cheikh Béthio Thioune, le guide spirituel des thiantacones est mêlé par la justice à une affaire de meurtre. D’aucuns disent qu’il en est le commanditaire tandis que pour d’autres cette affaire a des dessous politiques. Mais qu’en est-il vraiment ? En quoi la trajectoire de ce Cheikh le prédestine-t-il au meurtre ? Et en quoi son soutien à Abdoulaye Wade fait-t-il de lui l’agneau du sacrifice ? Maintenant que les vagues se sont un peu tassées et les esprits plus sereins, réétudions cette affaire.
 
Dés le lendemain de cette affaire la sortie du procureur de Thiès pour « retracer le film des évènements » alors que Cheikh Béthio n’était pas encore entendu a fait dire à certains qu’il y avait de l’empressement d’où la thèse du complot. Surtout qu’il est rarissime de voir un procureur tenir un point de presse pour une affaire de meurtre. Mais, le procureur, est-il en droit de tenir une conférence de presse pour informer l’opinion ? Oui. Mais la question ne se situe pas à ce niveau. Car, une chose peut être légale sans pour autant être élégante. Surtout si l’on peut tout aussi s’en passer légalement. 
 
Donc, la question qu’il faut se poser c’est de savoir si c’était vraiment nécessaire et s’il avait vraiment besoin d’entrer dans tous ces détails pour une affaire qui venait à peine de commencer. Si ses enquêteurs lui avait déjà tracé le film de l’implication de Cheikh Béthio, pourquoi l’avoir gardé à vue pendant trois jours, alors ? Ne devait-il pas, par délicatesse (vu la dimension du personnage et pour éviter d’emballer l’opinion—qui ne comprend pas toujours le fonctionnement de la justice—et éviter des manifestations comme celles de Thiès), aborder la question sous un angle moins accusateur ? Parce qu’une fois qu’une autorité comme lui charge une autre comme Cheikh Béthio, il sera très difficile, une fois après, de faire croire à l’opinion que ce Cheikh n’a rien fait. Même déchargé, les gens verront toujours en lui un personnage trouble. Le mal aura déjà été fait. 
 
Alors, erreur de communication ou complot ? Serait-ce intentionnel pour le salir dans tous les cas et annihiler ses velléités politiques ? Même si c’était le cas, qui pourrait démontrer que le procureur était téléguidé par ses supérieurs ? Et qui peut dire que son acte est illégal ? Mais quand on a le choix entre appliquer l’esprit ou la lettre d’une loi, choisir d’appliquer la lettre peut être suspect. Ne dit-on pas qu’en matière de justice le principe est la liberté et l’emprisonnement l’exception ? Mais, bon … ayons bonne opinion de notre prochain. 
 
Cheikh Béthio a-t-il réellement commis ou commandité ce double crime ? L’a-t-on vu tuer ou entendu en donner l’ordre ? Non. En tout cas l’enquête ne le démontre pas et aucun témoignage ne le confirme. Alors peut-on en toute bonne foi affirmer que Cheikh Béthio est l’auteur ou le commanditaire de ce crime ? A-t-il une fois tué ou menacé de mort ? Qu’est-ce qui, dans son comportement de tous les jours, montre qu’il est un homme violent ? Bara Sow et consorts avaient-ils vraiment à se rendre au domicile du Cheikh où ils ont déjà été expulsés à plusieurs reprises ?—cf : l’entretien que Cheikh Béthio a accordé à Pape Ngagne Ndiaye de la TFM. Et leurs parents, avaient-ils pris leurs responsabilités en demandant à leurs fils de ne plus se rendre au domicile ou aux thiants du Cheikh du moment que celui-ci avait déjà porté plainte contre leur leader, Bara Sow ? Il est inutile de dire que personne ne se réjouit de cette tuerie. La vie est sacrée. De toute façon, il est de tradition de dire qu’au Sénégal, on se soucie peu de celui qui provoque, mais plutôt de celui qui réplique (xamuñu ku tooñ, ku fayu lañu xam). 
 
Certes, comparaison n’est toujours pas raison, mais quand des gens ont fait irruption dans la mairie de Barthélémy Dias et qu’il y a eu mort d’homme, le M23 n’a-t-il pas crié au complot pour dire que Barthélémy n’a pas tué, même si on l’a vu avec deux pistolets en train de tirer ? Pourquoi ce M23, aujourd’hui au pouvoir, préfère se taire sur l’affaire Cheikh Béthio (surtout qu’on ne l’a pas vu tuer) sous prétexte qu’il faut laisser la justice faire son travail ? C’est ça le théâtre de la vie, on change de discours chaque fois qu’on change de côté. L’histoire, se répète-t-elle ? 
 
Mais quel est le rôle de la presse dans cette fantastique affaire ? Certes, quelqu’un comme Cheikh Béthio ne laisse pas indifférent, mais j’ai l’impression que les médias ont grandement contribué à enflammer les esprits et à favoriser ce tir groupé sur lui. Je suis conforté en cela par des déclarations de journalistes (en cette Journée Internationale de la Presse) qui font état de journalistes qui, pour vendre ou par manque de professionnalisme, versent dans le sensationnel sans pour autant prendre le soin de vérifier et recouper leurs informations. J’ai vu des titres les uns plus accablants que les autres, des interviews ciblées, des articles biaisés. J’ai même vu quelqu’un comme Cheikh Yérim Seck verser dans ces travers en parlant de pouth path. Est-ce de l’analyse ou de la subjectivité ? L’émotion, serait-elle vraiment nègre ? 
 
Cet effet d’entrainement a poussé beaucoup de gens à consommer sans discernement et à être extrêmement virulents avec Cheikh Béthio depuis le début de l’affaire. A les entendre, ils sont tous témoins oculaires et auditifs. A les écouter, Cheikh Béthio n’a jamais rien fait de bon de sa vie. Je pense que c’est cette tendance à consommer sans privilégier l’analyse et la réflexion qui fait dire, à tort ou à raison, au Professeur Amadou Ali Dieng que l’Afrique est un parc zoologique où l’on retrouve principalement deux types d’animaux, des perroquets (qui ne font que répéter) et des singes (qui ne font qu’imiter). 
 
D’ailleurs, il est déplorable de voir que presque tous les articles qui ont été écrits jusqu’ici sur le « phénomène » thiantacone ou Cheikh Béthio ne se limitent généralement qu’à une approche factuelle. Pourtant, ce personnage si influent, qui pose des actes si grandioses et qui fait courir tant les politiques et les jeunes de ce pays, méritait que les journalistes le suivent pendant des jours et qu’ils visitent ses daaras pour savoir qui ils sont en réalité et s’imprégner de leur philosophie. Et présenter un dossier bien analysé. 
 
Que faisons-nous de ces valeurs cardinales que nous enseigne la religion, comme la réserve devant ce qu’on ne sait pas (màndute) et la politesse légale (teggin) ? Ne dites pas : « Et tuer ? » Personne ne le cautionne. Mais quand j’entends toute cette furie de mauvaises paroles qui fusent de partout, j’ai des craintes pour l’avenir de ce pays. Car il y a pire que tuer sous l’emprise de la colère: c’est mentir ou attester de choses dont on a aucune connaissance. Le Prophète (PSL) nous rappelle que durant son voyage nocturne (rañaan), il a vu que la majeure partie de ceux qui peuplent l’enfer y sont à cause de leurs mauvaises langues. D’où sa sentence qui dit que si une bouche ne peut pas dire des paroles justes, son propriétaire ferait mieux de se taire. Même rendre une mauvaise parole est l’un des pires défauts selon Serigne Touba (cf : Nahju). 
 
Alors, Cheikh Béthio, mérite-t-il cette vindicte populaire ? Il est le guide spirituel de milliers de talibés jeunes, éduqués et responsables que l’on retrouve dans tous les corps de métiers, dans toutes les couches sociales. Et un Cheikh de Serigne Touba. Beaucoup de gens n’acceptent pas qu’il soit marabout tout simplement parce qu’il n’est pas issu d’une famille religieuse ou parce qu’il danse lors de ses thiants. Mais, la question n’est pas d’être ou de ne pas être. Il faut se demander comment il a fait pour avoir autant de disciples. Et si dégourdis. Ou bien a-t-il « marabouté » (mystiquement détourné vers lui) tous ces jeunes gens, ces cadres, ces ndongos tarbiya—anciens pensionnaires des daaras de Serigne Saliou ? 
 
Maintenant, il va de soi que dans chaque communauté on peut retrouver des disciples qui pêchent par excès de zèle, mais cela ne doit point nous pousser à généraliser. Ce serait être de très mauvaise foi. Quel forfait, cette communauté de thiantacones, a-t-elle commis de 1987 (année de l’élévation de Serigne Béthio au grade de Cheikh) à 2007 (20 ans)? Ça, c’est remarquable. Qui dit mieux ? 
 
Je cite délibérément 2007 pour évoquer ce clash avec les militants de Idrissa Seck. Qui a provoqué qui ? De toute façon, en période électorale, c’est comme la nuit, tous les chats sont gris. Des gens qui ne sont pas du même bord se frottent souvent quand ils se rencontrent et chacun se jette les responsabilités. Si les thiantacones sont violents, alors que dire des leaders et jeunes du M23 dont les manifestations ont occasionné plus d’une dizaine de morts ? 
 
Et pourtant personne n’a mentionné les thiantacones dans ces mouvements de violence. D’ailleurs, il est aujourd’hui connu que Cheikh Béthio interdit même à ses disciples élèves et étudiants de participer aux marches et casses occasionnées lors des grèves. Au deuxième tour, les gens on beaucoup parlé des thiantacones qui se baladaient avec leurs gourdins. Mais ce que personne ne relève c’est que malgré toute la tension de l’époque, aucun thiantacone n’a fait usage de son gourdin. Ça aussi, c’est remarquable. 
 
Il faut donc faire la différence entre ce que les gens sont en temps normal et ce qu’ils peuvent devenir quand ils sont provoqués ou poussés à bout. Je suis persuadé que, tout comme les jeunes du M23 ne sont pas tous de nature violents, les thiantacones qui ont manifesté à Thiès ne le sont pas non plus. Il suffit de les côtoyer dans leurs familles ou leurs quartiers pour s’en rendre compte. 
 
Cheikh Béthio et ses talibés ont beaucoup contribué au rayonnement de la voie mouride. Le Magal qui est l’évènement religieux le plus important de cette communauté en est la preuve. Jamais de mémoire d’homme on n’aura vu une personne consacrer mille bœufs à un quelconque évènement religieux dans ce pays. Lui, l’a fait en l’honneur de Serigne Touba. Et pour ne citer que cela. Car, la liste risque d’être longue. Il est regrettable aujourd’hui de constater que dans cette même communauté des voix s’élèvent pour dire qu’il est une tare dans le mouridisme, que ce qu’il apporte n’en fait pas partie. C’est tout juste s’ils ne disent : « Tout ça c’est la faute de Serigne Saliou. C’est lui qui nous a amené ce Béthio ! ». 
 
Mais, vous savez, des récriminations de ce genre ne datent pas d’aujourd’hui. Il est aujourd’hui facile de croire en Serigne Touba ou tout autre saint parce qu’on nous a raconté leur vie vertueuse et nous avons cru sur la base de ces témoignages. Mais, alors, pourquoi beaucoup des contemporains de Serigne Touba ne l’ont-ils pas cru au point de manigancer contre lui, de dire que ce à quoi il appelle (le jebelu) ne fait pas partie de l’islam ? L’aurions-nous, nous-mêmes, cru ? Demain, les générations futures pourront aussi dire que Cheikh Béthio était dans le vrai mais que ses contemporains l’ont combattu. Qui l’eût cru pour Serigne Touba ? Seuls ses disciples. L’histoire se répète. Dieu « manœuvre » avec nous de la même manière qu’il l’a faite avec nos devanciers et de la même façon il le fera avec ce qui vont venir. Il n’y a vraiment rien de nouveau sous ces cieux. La foi est un dont de Dieu. 
 
Si Serigne Béthio est un mal dans le mouridisme, pourquoi Serigne Touba a-t-il attendu presque trente ans pour intervenir ? Pourquoi Serigne Touba a-t-il laissé ce Cheikh « sacrifier » tous ces jeunes qui l’aiment tant ? Pourquoi le médecin après la mort ? Serigne Saliou serait-il complice de ce « génocide » ? 
 
Et que dire de Cheikh Ibrahima Fall ? Les gens de son époque, l’ont-ils compris ? Aujourd’hui encore, le comprennent-ils ? En vérité, même la voie mouride est jusqu’à présent incomprise et combattue par certains qui y voient des innovations blâmables. « Œuvrer pour Serigne Touba » et non pas Dieu ou son Prophète, « la salutation du soudjod », « ramper devant son marabout », « travailler dans les champs de son marabout » que certains assimilent à de l’exploitation, « faire acte d’allégeance à un marabout » et non pas à Dieu, sont autant de choses que certains rejettent. Tout comme, aujourd’hui, certains mourides rejettent la danse (doukat) des thiantacones ou leur discours qui consiste à dire que Serigne Saliou est Serigne Touba (alors qu’il n’est que son fils pour certains) et, par conséquent, Dieu. 
Mais ce que ces gens semblent occulter c’est que Serigne Touba n’a jamais renié ces choses-là tout comme Serigne Saliou était bien au courant des faits et gestes de Cheikh Béthio sans l’avoir jamais rappelé à l’ordre—leur compagnonnage date de 1946. Ou peut-être que Serigne Saliou avait honte de le faire ou que Cheikh Béthio lui a jeté un sort comme l’affirment certains? 
 
Bien sûr, personne n’équivaut à personne, personne ne peut remplacer personne. Chacun est l’égal de ses œuvres. Mais je veux seulement dire que c’est le même principe qui revient. Il s’agit toujours de personne qui connait une ascension fulgurante dans sa religion ou communauté religieuse, fait de grandes œuvres mais est combattue sous prétexte qu’elle apporte des innovations blâmables. 
 
Puisse Dieu nous donner la clairvoyance car, sans elle, nous allons nous détester et nous faire détester de Dieu. 
 
Baïdy DIA 
Professeur d’Anglais 
CEM Nioro Sud, Nioro du Rip

Source: Cheikhbethiothioune.net

Abdou Khadre Cissé

Vendredi 11 Mai 2012 17:26

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