"I have a dream" aurait pu rester dans les mémoires sous le nom "Let Freedom Ring" ou "Go back". Il aurait pu ne pas avoir de nom du tout, car aujourd’hui, il serait oublié.
"I have a dream", le discours prononcé par Martin Luther King il y a juste 50 ans, le 28 août 1963, a failli être amputé de la partie du rêve éveillé qui lui a donné son statut de chef d’œuvre de rhétorique aux USA et dans le reste du monde.
Le 27 au soir, le leader du Mouvement des droits civiques est dans un hôtel de Washington, avec ses conseillers. Ils parlent du discours qu’il doit prononcer le lendemain. Le 28, on célèbre les 100 ans de l’abolition de l’esclavage. Ce sera le point d’arrivée de la grande marche "Justice et emploi" qui mobilise des dizaines de milliers de personnes qui réclament l’abolition de la ségrégation encore en vigueur dans les États du sud. 100.000 personnes sont attendues, les télévisions ont fait le déplacement.
"Ne mets pas 'le rêve'"
Les discours, c’est son job. Martin Luther King est pasteur, un de ces prêcheurs du Sud qui changent les messes en kermesses. Il s’est aussi rodé au discours politique à force de meetings. Mais là, c'est différent. Il ne s’adresse pas à ses paroissiens, ni au militants des droits civiques, il s’adresse à toute l’Amérique, il doit lui faire comprendre qu’elle perd son âme en acceptant la ségrégation. Et qu’elle peut encore gagner son ciel.
Les conseillers se disputent pas mal sur le contenu du discours. Wyatt Walker, l’un de ses proches, est sûr d’une chose:
"Ne mets pas 'le rêve'. C’est trop banal, trop cliché."
Il parle de "I have a dream". Ce rêve éveillé d’un monde meilleur, Martin Luther King le place systématiquement dans ses discours depuis quelques temps. Il aime cette idée de décrire une Jérusalem céleste sur Terre. Cela correspond bien à sa double personnalité d’homme d’Église et d’homme d’action.
La semaine précédente, son rêve a eu un beau succès dans son discours à Chicago. Walker insiste :
"Je t’assure, tu l’as trop utilisé."
Martin Luther King travaille toute la nuit à son discours. Il dira plus tard qu’il a aussi beaucoup dialogué avec Dieu, pour l’inspiration. Le lendemain matin, il descend dans le hall muni et donne son texte à un assistant pour impression. Le rêve n’y figure pas.
"Dis-leur ton rêve, Martin !"
Martin Luther King est le dernier intervenant de la journée, juste avant la bénédiction. La foule compte 250.000 personnes, du jamais vu. Mais l’ambiance est un peu molle. Les orateurs se sont succédé toute la journée, l’assistance est un peu fatiguée. Le rabbin Prinz évoque l’Allemagne sous Hitler, "un grand peuple devenu muet, simple spectateur" et exhorte les Américains à "ne plus rester muets". Puis il passe la parole à Martin Luther King.
Orateur aguerri, King est stressé. Il lit son texte, trop. Ceux qui le connaissaient bien diront qu’il n’était pas à son meilleur. Peu à peu, il prend de l’assurance, lève les bras, se met à vibrer à la lecture des mots scandés comme dans les poésies :
"Go back to Mississipi, go back to South Carolina, go back to Georgia, go back to Louisiana…"
La fin du discours approche. Son conseiller Clarence Jones racontera plu tard qu’à ce moment-là, Mahalia Jackson, la chanteuse et amie très chère du pasteur, lui lance depuis l’arrière de l’estrade :
"Dis leur ton rêve, Martin ! Le rêve…"
King poursuit encore son texte puis lève le nez, met son texte de côté et lance :
"Même si nous affrontons des difficultés, je fais un rêve…"
Clarence Jones entendit Walker s’écrier :
"Oh, merde ! Le rêve…"
Son public : toute l'Amérique
Il ne faut pas toujours écouter les conseillers. Ce que Walker n’avait pas compris c’est que jusqu’à présent, seuls les paroissiens et les partisans avaient entendu les discours/prêches de King.
Son public, cette fois, c’était toute l’Amérique. Il pouvait lui décrive avec son éloquence de génie qu’elle était devenue l’enfer sur terre mais qu’elle pouvait, si elle le voulait, devenir le paradis. Pour cela, il fallait lui faire prendre de la hauteur, une hauteur vertigineuse même, là-haut où les peurs s’effacent devant la beauté de la promesse.
Toute la partie précédente, solide, explicative, puissante n’arriverait pas assez haut sans l’offre d’un rêve, d’une utopie partagée. Martin Luther King expliquera plus tard qu’il avait senti qu’il fallait qu’il ajoute "I have a dream". Il ne risquait rien, ce n’était pas vraiment une improvisation. Les témoins parleront d’une foule électrisée. L’année suivante toutes les lois raciales étaient abolies.
Pour le racisme, c’est une autre histoire…
"I have a dream", le discours prononcé par Martin Luther King il y a juste 50 ans, le 28 août 1963, a failli être amputé de la partie du rêve éveillé qui lui a donné son statut de chef d’œuvre de rhétorique aux USA et dans le reste du monde.
Le 27 au soir, le leader du Mouvement des droits civiques est dans un hôtel de Washington, avec ses conseillers. Ils parlent du discours qu’il doit prononcer le lendemain. Le 28, on célèbre les 100 ans de l’abolition de l’esclavage. Ce sera le point d’arrivée de la grande marche "Justice et emploi" qui mobilise des dizaines de milliers de personnes qui réclament l’abolition de la ségrégation encore en vigueur dans les États du sud. 100.000 personnes sont attendues, les télévisions ont fait le déplacement.
"Ne mets pas 'le rêve'"
Les discours, c’est son job. Martin Luther King est pasteur, un de ces prêcheurs du Sud qui changent les messes en kermesses. Il s’est aussi rodé au discours politique à force de meetings. Mais là, c'est différent. Il ne s’adresse pas à ses paroissiens, ni au militants des droits civiques, il s’adresse à toute l’Amérique, il doit lui faire comprendre qu’elle perd son âme en acceptant la ségrégation. Et qu’elle peut encore gagner son ciel.
Les conseillers se disputent pas mal sur le contenu du discours. Wyatt Walker, l’un de ses proches, est sûr d’une chose:
"Ne mets pas 'le rêve'. C’est trop banal, trop cliché."
Il parle de "I have a dream". Ce rêve éveillé d’un monde meilleur, Martin Luther King le place systématiquement dans ses discours depuis quelques temps. Il aime cette idée de décrire une Jérusalem céleste sur Terre. Cela correspond bien à sa double personnalité d’homme d’Église et d’homme d’action.
La semaine précédente, son rêve a eu un beau succès dans son discours à Chicago. Walker insiste :
"Je t’assure, tu l’as trop utilisé."
Martin Luther King travaille toute la nuit à son discours. Il dira plus tard qu’il a aussi beaucoup dialogué avec Dieu, pour l’inspiration. Le lendemain matin, il descend dans le hall muni et donne son texte à un assistant pour impression. Le rêve n’y figure pas.
"Dis-leur ton rêve, Martin !"
Martin Luther King est le dernier intervenant de la journée, juste avant la bénédiction. La foule compte 250.000 personnes, du jamais vu. Mais l’ambiance est un peu molle. Les orateurs se sont succédé toute la journée, l’assistance est un peu fatiguée. Le rabbin Prinz évoque l’Allemagne sous Hitler, "un grand peuple devenu muet, simple spectateur" et exhorte les Américains à "ne plus rester muets". Puis il passe la parole à Martin Luther King.
Orateur aguerri, King est stressé. Il lit son texte, trop. Ceux qui le connaissaient bien diront qu’il n’était pas à son meilleur. Peu à peu, il prend de l’assurance, lève les bras, se met à vibrer à la lecture des mots scandés comme dans les poésies :
"Go back to Mississipi, go back to South Carolina, go back to Georgia, go back to Louisiana…"
La fin du discours approche. Son conseiller Clarence Jones racontera plu tard qu’à ce moment-là, Mahalia Jackson, la chanteuse et amie très chère du pasteur, lui lance depuis l’arrière de l’estrade :
"Dis leur ton rêve, Martin ! Le rêve…"
King poursuit encore son texte puis lève le nez, met son texte de côté et lance :
"Même si nous affrontons des difficultés, je fais un rêve…"
Clarence Jones entendit Walker s’écrier :
"Oh, merde ! Le rêve…"
Son public : toute l'Amérique
Il ne faut pas toujours écouter les conseillers. Ce que Walker n’avait pas compris c’est que jusqu’à présent, seuls les paroissiens et les partisans avaient entendu les discours/prêches de King.
Son public, cette fois, c’était toute l’Amérique. Il pouvait lui décrive avec son éloquence de génie qu’elle était devenue l’enfer sur terre mais qu’elle pouvait, si elle le voulait, devenir le paradis. Pour cela, il fallait lui faire prendre de la hauteur, une hauteur vertigineuse même, là-haut où les peurs s’effacent devant la beauté de la promesse.
Toute la partie précédente, solide, explicative, puissante n’arriverait pas assez haut sans l’offre d’un rêve, d’une utopie partagée. Martin Luther King expliquera plus tard qu’il avait senti qu’il fallait qu’il ajoute "I have a dream". Il ne risquait rien, ce n’était pas vraiment une improvisation. Les témoins parleront d’une foule électrisée. L’année suivante toutes les lois raciales étaient abolies.
Pour le racisme, c’est une autre histoire…