2000. Alternance au Sénégal. Exit Diouf, place à Wade. Mais l'euphorie née de ce bond en avant démocratique dissimule mal les tensions financières qui s'annoncent : les comptes publics affichent 2570,4 milliards de francs Cfa de dette. Les nouvelles autorités se grattent la tête. Coup de chance, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale étaient en pleine révision de l'Initiative PPTE (Pays pauvres très endettés), qui vise à réduire la dette du Tiers monde. Les critères de soutenabilité sont assouplis, le Sénégal est éligible. Sa dette passe à 1022 milliards de francs Cfa.
Mais très vite, le pays rechute. La dette publique passe à 1432 milliards en 2007 puis à 1974 milliards en 2009. En 2011, elle atteint 2704 milliards. Le stock d'avant-Ppte est dépassé. Les Grands chantiers de Wade sont passés par là. "Venir en aide au Sénégal sans lui demander de réformer profondément son système politique reviendrait à fournir à un toxicomane la dose qu'il demande, mais le conduit un peu plus sûrement vers sa fin", avait commenté Jean-Christophe Ruffin, alors ambassadeur de la France au Sénégal.
Cette piqure ne freinera guère Wade. Qui, obnubilé par son troisième mandat, ne lésinera pas sur… la dette. En vain. "J'ai toujours maitrisé la dette", s'est-il défendu après sa chute.
Les bonnes intentions de Macky
En 2012, Macky Sall arrive avec, d'abord Yoonu Yokkute, son programme de campagne devenu programme de gouvernance. Il a des projets, mais il joue la prudence. Du moins, dans l'intention. "Il est indispensable de mettre fin à la spirale dangereuse de croissance de la dette publique qui représentait 38,6% du Pib en 2011 contre 20,7% en 2006", claironnait-ils au début de son magistère. Mais très vite, il se lâche, s'élance dans un rythme d'endettement supersonique qui finit par inquiéter le Fmi et l'opinion publique.
De 3076 milliards en 2012, la dette sera presque doublée en 2016. En 2018, elle est attendue à 6 420 milliards de Cfa, avec un encours de 840 milliards de francs Cfa. Soit 61.44% du Pib.
Malgré ces chiffres éloquents, le chef de l'État considère qu'il n'y a pas de quoi fouetter un chat : "Si l'on considère les critères et les normes de viabilité retenues pour la dette publique au plan international, deux critères restent fondamentaux. Premièrement, c'est le service de la dette extérieure, sur les recettes budgétaires : il faut que l'on soit capables de rembourser la dette. Si vous prenez ce ratio, nous sommes à 10.9% et la norme est de 30%. Deuxièmement, le ratio de la dette extérieure sur les exportations de biens et services : la norme est de 20% et nous sommes à 9.1%. Donc, où est le débat ?"
L'analyse d'El Hadji Mounirou Ndiaye, économiste, enseignant chercheur à l'Université de Thiès
Il y a de quoi s'alarmer"
"Le débat" ? El Hadji Mounirou Ndiaye, enseignant chercheur au département Sciences économiques et de gestion de l'Université de Thiès, le juge opportun. "Ramenée à 17% du Pib en 2006, la dette était déjà à 36% du Pib en 2012 et à 64% du Pib en 2018. Donc, quel que soit ce que le ministre des Finances dit pour rassurer, que la dette est solvable, qu'elle est soutenable, il y a quand même de quoi avoir peur, de quoi s'alarmer avec ce rythme d'endettement. Durant cette décennie, le rythme d'endettement est tellement élevé qu'on redoute même la situation des pays de la Cemac (Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale)."
En effet, les pays de la Cemac ploient sous le poids de la dette. Au point qu'ils ont reçu un coup de semonce. "Le Fmi a dit aux pays de la Cemac : ‘soit vous acceptez de serrer la ceinture, pour assainir les finances publiques afin de rendre soutenable la dette publique, soit vous acceptez la dévaluation'. Et ils ont accepté l'austérité", signale El Hadji Mounirou Ndiaye. Conséquence : baisses de salaires et dépenses réduites dans plusieurs pays dont le Gabon.
L'Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) n'est pas totalement à l'abri d'un tel scénario avec le rythme d'endettement de l'un de ses piliers. "L'année dernière le Fmi a alerté sur le niveau de la dette et le niveau des charges courantes de l'État par rapport aux recettes publiques. Ce qui fait qu'aujourd'hui les signaux sont là : quel que soit ce qu'ils nous diront, le rythme d'endettement du Sénégal n'est pas normal, et il faut trouver une solution."
Les risques encourus
El Hadji Mounirou Ndiaye estime que le Sénégal ne peut pas continuer perpétuellement à avoir un service de la dette qui étrangle les finances publiques. Il alerte : "72 milliards de francs Cfa de dettes payées par mois, 840 milliards à payer pour l'année 2018 alors qu'à côté vous n'avez que 70 milliards pour payer les salaires. Donc vous avez un service de la dette supérieur au montant des salaires. C'est cela le problème. D'ici quelques années, nous aurons dépassé les 70% et nous allons être le mauvais élève au niveau de l'Uemoa et nous allons être le pays qui va semer la panique ou même semer de l'anxiété au niveau de l'Uemoa."
La situation est d'autant plus inquiétante que les emprunts ne sont pas toujours utilisés à bon escient, de l'avis de l'économiste. Qui interroge : "Comment pouvez-vous justifier 730 milliards mobilisés pour un Ter de 50 km, 57 milliards uniquement pour acheter des lampadaires, 30 milliards pour un building administratif en commettant en même temps la redondance d'entamer la construction de sphères ministérielles à Diamniadio ? Le gouvernement éparpille ses moyens et ses forces dans des dépenses sans calcul économique."
El Hadji Mounirou Ndiaye recommande au gouvernement d'adopter une démarche de rationalisation des dépenses.