Du fait d’une eau de robinet peu agréable à boire, le commerce d’eau de puits est très florissant à Mbacké et à Touba. Le créneau est investi par des centaines de charretiers qui y tirent des bénéfices conséquents.
Le rituel est immuable. Et il fait quatre ans que cela dure. Quatre longues années que, tous les matins, alors que les premières lueurs du jour n’ont pas encore percé l’épais voile de l’aube, Malick Wellé, la cinquantaine, répète les mêmes gestes, avec le même soin. Soigneusement, le vendeur d’eau de puits prépare son attelage. Baudet bien harnaché, charrette chargée de bidons vides de 20 litres bien attachée, il prend la direction du quartier de Touba Oil à la sortie de Mbacké Xewar situé à trois kilomètres de là, où Malick Wellé s’approvisionne en eau de puits. Cela, non sans avoir, au préalable, formulé quelques incantations cabalistiques.
Après quelques centaines de mètres de trot sur la route bitumée et avoir laissé derrière lui les derniers blocs de maison, sa monture s’engage dans un chemin de campagne sablonneux au bout duquel des dizaines de puits tapissent le sol. Malick Wellé n’est pas le seul sur le chemin qui y mène. D’autres charretiers, aussi matinaux que lui, empruntent, tous les jours, le même itinéraire à la recherche du liquide précieux. Ainsi, durant toute la journée, c’est un ballet incessant de charrettes lourdement chargées de bidons et de fûts d’eau à travers les rues de Mbacké. Elles font partie du décor de la ville jumelle de Touba. Impossible de les rater. Si Malick Wellé s’arrête au quartier Touba Oil, d’autres de ses congénères vont jusqu’à cinq kilomètres plus loin, au village de Saté, pour faire le plein d’eau. Ces puits dont l’eau est réputée plus douce que l’eau de robinet, appartiennent à des privés. Un bidon de 20 litres plein est vendu aux charretiers à 25 FCfa. Ces derniers le revendent à 100 FCfa.
Forte demande
Quant aux camions-citernes qui livrent surtout à Touba, la bouteille de 20 litres est revendue à 125 FCfa. Selon un recensement effectué en 2014, on dénombre 864 charretiers présents dans le commerce d’eau de puits à Mbacké. Si cette activité marche si bien, c’est parce que la demande en eau de puits est très forte. En effet, à Mbacké et à Touba, l’eau de robinet est peu agréable du fait de sa forte teneur en fluor. Du coup, pour la consommation, beaucoup de gens préfèrent l’eau souterraine. « On utilise l’eau de robinet le plus souvent juste pour la cuisine. Même pour le linge, on recourt à l’eau de puits car l’eau du robinet a la réputation de vite détériorer les vêtements », explique Khady Top, une ménagère.
La forte demande en eau de puits fait donc l’affaire des charretiers et de certains propriétaires de camions citernes. Les puits ont une profondeur de 30 à 33 mètres. L’eau est remontée grâce à une pompe électrique équipée d’un système de filtre. L’eau est ensuite stockée dans des bassins à partir desquelles les charrettes remplissent leurs bouteilles. « Chaque jour, je remplis 70 bidons de 20 litres. J’en livre une trentaine à des clients, le reste je l’écoule dans les rues de Mbacké. A la fin de la journée donc, si tout se passe bien, je me retrouve avec un bénéfice de 5.000 FCfa », explique Malick qui a abandonné son métier de mécanicien pour se tourner vers la vente d’eau qu’il juge « plus rentable ». Cherif Bâ a aussi fait de cette activité son gagne-pain. Originaire de Daara, il a quitté les bancs de l’école en 2015 pour gagner sa vie avec la vente d’eau. Il ne le regrette pas. Chaque jour, il écoule 50 bidons et se retrouve avec une marge bénéficiaire de 4.000 à 5.000 FCfa. De quoi bien vivre et entretenir sa vieille maman restée au village.
Pour défendre leurs intérêts, Malick Wellé et ses amis ont mis en place, en 2013, une association, « And Boolo dimbalanté » qui compte 72 membres. Certains parmi eux ont déjà fait plus de 20 ans dans ce créneau comme Dame Faye qui alterne cette activité avec son métier de tailleur. « Tôt le matin, je m’approvisionne puis livre à mes clients une trentaine de bouteilles, et l’après-midi, je me consacre à mon métier de tailleur », explique le quinquagénaire. D’autres comme Souleymane Ngom, la quarantaine, ont préféré investir dans le créneau et faire travailler des jeunes. Il a deux charrettes tractées chacune par un âne. Les charrettes lui ont coûté 150.000 FCfa l’unité et les deux bêtes 100.000 FCfa par tête. Un investissement qu’il pense amortir bientôt. « On se partage les bénéfices avec mes deux charretiers. Un jour sur deux, ils me versent la recette journalière», explique ce commerçant au marché Ocass de Touba.Comme quoi, le commerce d’eau de puits à Mbacké et à Touba est devenu une source de revenus très liquide et ne risque pas de tarir de sitôt, du moins, tant que les populations continuent de se détourner de l’eau de robinet.
Une consommation avec ses risques et périls
La consommation de l’eau des puits n’est pas sans risques, alerte Moussa Seck, chef de la Brigade d’hygiène de Mbacké. Cela, même si, à la revente, l’eau est filtrée une deuxième fois par les charretiers via un filtre de fortune fabriqué avec une bouteille recouverte d’un tissu. Seule une poignée de consommateurs ajoutent des produits purificateurs ou d’eau de Javel, alors que d’autres ne s’encombrent pas de ces mesures de précautions. « A Mbacké, dans toutes les maisons, il y a des robinets de la Sde, mais en général, les populations préfèrent consommer l’eau des puits parce que, disent-elles, cette eau est plus douce. Sur le plan sanitaire, il est préférable quand même de boire l’eau de robinet qui est traitée. Sinon elles s’exposent aux maladies diarrhéiques », souligne M. Seck. Des campagnes de sensibilisation sont menées dans ce sens aussi bien à l’endroit des consommateurs qu’à l’endroit des revendeurs d’eau. Mais sans grands résultats. « Aux populations, nous conseillons de filtrer l’eau de puits et de la traiter en mettant deux capsules d’eau de javel dans 20 litres d’eau et de laisser au repos pendant 30 minutes. Aux charretiers, à défaut de chlorer l’eau, nous leur demandons de porter des vêtements propres et de nettoyer régulièrement les bidons. On contrôle aussi les puits régulièrement, mais l’ampleur de l’utilisation de cette eau rend difficile notre travail », souligne-t-il.