C’est une réaction humaine, cette connexion entre l’émotion et les centres du goût. Le devoir de mémoire habite aussi ma République tous les douze mois. Le 26 septembre, les génériques sont des fabriques de larmes. Les images traduisent la mise en scène du désastre ayant eu cours au large des côtes gambiennes. Les mots sont les douloureux témoignages des parents et amis à leurs morts. Le souvenir est le sanctuaire pour ces condamnés à mort du cimetière aquatique. Dakar, Ziguinchor et Banjul sont les champs de tristesse. Le cœur des vivants aussi.
Des vies ont basculé à cause de cet accident. Des causes sont convoquées, allant des défaillances techniques au surnaturel. Oui, les djinns, paraît-il, sont plus méchants que les négligences de l’homme ! L’irrationnel est un élément de notre quotidien. L’amulette, comme les incantations, est un sésame qui libère les voies interdites au rêve de gloire ou de quiétude. Il est bon de chercher, quelquefois, le destin dans le miracle. Voyez ce qui s’est passé à Tamalé, paysage de ruines des espoirs de Coupe d’Afrique. Le fameux marabout de Niary Tally a été au centre d’une rumeur sans bout. L’astuce est un classique : il faut convoquer les forces extraordinaires dans nos infortunes si ordinaires pour un peuple qui refuse de regarder la réalité.
Puis, le capitaine a été accusé d’abandon des voyageurs en détresse, dans le noir décor de l’Atlantique. Il a bon dos, le (porté) disparu qui ne peut dire, dans ce procès posthume : « Objection ! » Mort ? Le sacrifice doit inspirer tous les capitaines, qu’ils soient président de la République, ministre, directeur de société, père ou mère de famille ! La responsabilité a ses exigences de loyauté et d’abnégation. Il faut tenir la barre, droit dans ses souliers et ferme dans ses convictions. On ne lâche pas ses mandants pour sa survie (politique) personnelle. On ne les entasse pas comme une sorte de « paketasse ».
Pour le peuple aussi, le devoir de mémoire est un questionnement sur son présent et son futur. Les règles sont faites pour être respectées. La conscience nouvelle est la lumière qui lève la frontière d’ombre échafaudée, contre toutes les règles de civisme, par la permissivité ? Hélas, la mémoire des naufragés est une célébration du passé sans un profond questionnement sur les responsabilités. La mémoire des naufragés est aussi un instant figé dans le temps de la République. Demain, les danses impudiques reprendront leur marche au cœur de tous les symboles de notre « commun vouloir de vie commune ». Tels des comportements « sarrett » (charrette) ! Pardon aux charretiers (Borom sarrett) et à leur langue si caricaturée