Confidences : Cheikh Yérim sert un café show

Près de 10 mois après sa sortie de prison, Cheikh Yérim Seck, journaliste condamné pour viol, est un homme neuf : morale de pur bigot, foi chevillée au corps, volonté intacte, ambitions majuscules, regard lucide et discours aseptisé. Chez lui à Ngor, il accueille avec petit protocole, poignée de mains sympa et l’empressement d’un maître d’hôtel. L’hôte respire la forme et n’a peur de rien dans son salon sur la terrasse de sa résidence. Pas même pour causer des sommes colossales investies dans la série Un café avec, ni pour agiter bien haut ses appétences politiques, encore moins pour passer à la moulinette l’actualité politique. Et quand le feu roulant de l’interrogatoire le ramène aux souvenirs glauques de son récent passé carcéral, Cheikh Yérim Seck accepte toujours, sans ciller, de poser pour Le Quotidien. Entretien.


Cheikh Yérim Seck, vous êtes juriste de formation, journaliste de profession, aujourd’hui dans la production. Pourquoi ce choix ? 

J’ai fait ce choix parce qu’en 2009, Boubacar Diallo m’a contacté  pour me dire qu’il avait un projet de téléréalité. Et comme c’est un garçon pour lequel j’ai beaucoup d’estime, comme c’est un quelqu’un avec qui j’envisageais de travailler depuis longtemps, je l’ai suivi dans son idée en tant que producteur. Donc, on a commencé à faire Un café avec, saison 1. A la fin de la première saison, ça a commencé à emballer les annonceurs. Ce qui nous a amenés à faire une deuxième saison. Au bout de la deuxième saison, des chaînes internationales se sont manifestées pour diffuser la série en anglais et en français. Donc l’appétit venant en mangeant, nous étions obligés à un moment donné de mieux structurer la série, de la perfectionner. 

Contrairement aux précédentes, on vit là une sur-médiatisation de votre image avec la troisième saison. Est-ce voulu ou est-ce plutôt le fruit du hasard ?    

D’abord du début jusqu’à la fin de la première saison, personne ne connaissait mon rôle dans cette série. Et c’est comme ça que je l’avais voulu. Mais il se trouve qu’à la fin de la première saison, Boubacar Diallo, dans les making-off, a dit que c’est Cheikh Yérim Seck qui était derrière cette série. Par la force des choses, la presse est venue m’interroger et j’étais obligé de confirmer cette information. Au cours de la deuxième saison, j’ai toujours observé le recul d’usage. Cette année, je me suis impliqué personnellement parce que c’est compte tenu de la dimension. Aujourd’hui, on ne parle plus qu’au Sénégal et aux Sénégalais, on parle à des chaînes d’un niveau international. On a affaire à une production qui coûte plusieurs centaines de millions. Et l’enjeu est tellement important. Le spectre est tellement large. Le public auquel on parle est tellement important que j’étais obligé de m’impliquer dans la communication de la série. Parce qu’on passait d’une dimension nationale à une dimension internationale, on est passé d’une petite série à une série de standing international. On est passé d’un niveau d’implication des sponsors assez moyen, à un niveau maximal d’implication. Donc tous ces enjeux-là font que j’étais obligé de m’impliquer.  

Les moyens financiers qui ont été mobilisés sont colossaux. Où est-ce que vous avez tiré ces fonds ? 

Il y a une partie qui est financée par des prêts bancaires et par des avoirs propres. Il faut aussi dire que j’ai mobilisé des deniers personnels plus les prêts bancaires. Quand même il y a un matériel qui a été assez lourd à acquérir. Par exemple rien que le matériel avec lequel on va tourner la série a coûté plus de deux cents millions. Ce sont des moyens très importants. Donc il fallait un préfinancement, heureusement que les banques nous ont accompagnés. Mais j’ai mis aussi mes deniers personnels. 

Vous avez même fait la comparaison avec les moyens utilisés pour tourner la série américaine 24h chrono…

Je confirme que c’est le même matériel qui a tourné 24h chrono, qui a tourné la troisième saison de Un café avec. Et c’est exactement le même matériel. 

Cela confirme-t-il la rumeur qui dit que Cheikh Yérim est un homme riche ?

Non, ça n’a rien à voir. Ce n’est pas l’argent de Cheikh Yérim Seck en fait. Ce sont des montages financiers avec mon argent personnel et l’argent des banques qui va être remboursé par le sponsoring. Ce n’est pas du mécénat. C’est un investissement qu’on a fait. Et comme la série aujourd’hui, selon un sondage d’Orange, tous concepts et toutes émissions confondus, est la plateforme de communication la plus crédible et la plus efficace au Sénégal. On a beaucoup de sponsors qui viennent. Ils vont financer la série en fait. Cheikh Yérim Seck n’a fait qu’avancer de l’argent, en termes d’apport personnel avec l’aide des banques. 

Quelles sont les innovations de la Saison 3 de Un café avec, sa démarcation avec les deux précédentes ?

Les deux premières saisons étaient strictement destinées à la consommation du public sénégalais. Cette troisième saison est destinée à une consommation universelle. Si vous voyez le premier épisode, vous vous rendrez compte que cela n’a rien à voir. On est passé d’une sorte de feuilleton à un film qui respecte toutes les normes internationales en matière d’ergonomie, de niveau de jeu, de qualité de jeu, de qualité d’image, tout. Vraiment tout a changé. Aujour­d’hui on a aligné Un Café avec sur les normes internationales. 

Même par rapport à la langue utilisée ?

La langue, c’est le wolof pour le Sénégal, le français pour la chaîne internationale de langue française qui va le diffuser et c’est l’anglais pour la chaîne américaine avec laquelle on a travaillé. 

Ce sera du sous-titrage ?

Non, ce sera de la traduction directe avec doublage de voix. 

La réalisation a été confiée à Gelongal ?

Oui, elle a été faite par Gelongal. C’est un groupe de jeunes Sénégalais dynamiques qui ont été primés un peu partout en Afrique, qui ont fait beaucoup de résultats. Ce sont des gens sur qui on a misé cette année pour mettre le film à un certain niveau. 

Nous avons une inquiétude. Cheikh Yérim Seck s’est toujours illustré à travers la pertinence de ses analyses politiques, mais aujourd’hui vous avez déserté la sphère médiatique. 

Je ne peux pas déserter la sphère médiatique. Moi je suis analyste de façon acharnée. Je suis résolument journaliste, c’est évident. Mais la lourdeur de ce projet-là a nécessité beaucoup de déplacements à l’étranger, beaucoup de réunions avec les banques, beaucoup de réunions avec l’équipe de réalisation, beaucoup de réunions avec les scénaristes, beaucoup de réunions avec nos partenaires extérieurs. C’était vraiment un truc du type 20h/24h. 

Mais Yerimpost au sein du site Dakaractu a disparu…

Ça c’est un choix personnel. C’est moi qui ai décidé, compte tenu que Dakaractu a fonctionné de façon correcte en mon absence, de laisser Dakaractu fonctionner en électron libre sans moi. Il faut dire que compte tenu de tous les chantiers que j’avais ouverts quand je suis sorti de prison, je ne pouvais intégrer Dakaractu dans mon planning. 

Mais vous êtes toujours journaliste ? 

Absolument ! (Rires)

Vous êtes également leader du mouvement C221. Ce mouvement a-t-il des appartenances politiques ? 

C’est-à-dire ?

Si vous militez en faveur d’un parti politique…

Non, C221 est un mouvement citoyen qui cherche à instaurer dans ce pays-là une citoyenneté responsable et participative. C’est mouvement citoyen qui cherche à changer les choses par le biais d’une participation claire. Comme le dit notre slogan «xam li gnu beug défal ko sunu boop» (Savoir ce qu’on veut et nous donner les moyens de le réaliser). C’est vraiment la citoyenneté active participative. Parce qu’on a besoin d’avoir une opinion publique dans ce pays, on a besoin d’une citoyenneté responsable et participative, d’une citoyenneté vigilante. C221 est entièrement dans son rôle, nous n’appartenons a aucune formation politique, ni affilié à une coalition. 

Mais lors des élections locales, vous avez collaboré avec des partis politiques…

Mais l’élection locale est un enjeu local. A Tivaouane on a fait une coalition qui a gagné, à Pikine on a fait une coalition qui a gagné. C’est normal, l’élection locale est un enjeu local. Si on a un candidat local qui peut trouver une coalition pour gagner, pourquoi pas ?

On avait annoncé votre candidature à la mairie de Louga. 

Je n’ai jamais été candidat. Ceux qui l’ont annoncée sont allés très vite en besogne. Moi je suis sorti de prison le 3 janvier 2014. A l’époque, les gens qui devaient être candidats là-bas avaient au moins une année de longueur d’avance sur moi. Je ne pouvais pas me permettre en quelques mois de préparer une candidature. Cela n’aurait même pas été crédible. Je n’ai jamais été candidat à quoi que ce soit. 

Dans ce cas, jusqu’où vont vos ambitions avec C221 ?

Mon ambition avec C221 c’est de développer dans ce pays une citoyenneté responsable et participative. C’est-à-dire un mouvement qui ne soit pas complice des partis politiques. Un mouvement citoyen qui va être une force de proposition. Au­jourd’hui au moment où je vous parle, le mouvement se massifie partout au Sénégal. On est en train de préparer des séminaires de formation. J’attendais de lancer la série pour dérouler les programmes du mouvement. Vous voyez ce que je veux dire ? Nous voulons développer une opinion publique dans ce pays, une citoyenneté responsable. Nous voulons que les citoyens s’impliquent, qu’ils deviennent des garde-fous naturels de la République. 

Mais nécessairement il faudra effectuer un maillage dans le territoire national et éventuellement poser vos pions pour commencer à dérouler une dynamique d’action…

Citoyenneté Sénégal est partout au Sénégal. Au moment où je vous parle (Lundi dernier), il n’y a aucune localité où nous n’avons pas une représentation. Les structures sont en train de fonctionner et sous la houlette du coordonnateur national Mouhamed Diop. Des actions sont en train d’être déroulées et le mouvement se massifie.

Mais par rapport à vos ambitions, quelles sont celles ponctuelles et prochaines. C’est la conquête du pouvoir ? 

Non, la conquête du pouvoir n’est pas une obsession pour moi. Mon ambition à travers Citoyenneté Sénégal, c’est faire de sorte que nos sorts ne soient plus laissés entre les mains de politiciens professionnels qui font un peu de ce qu’ils veulent de nous. Je pense que cela doit changer. Et pour que ça change il faut que tous les citoyens s’impliquent. Vous savez, les pays développés ont une force, c’est qu’il y a des garde-fous naturels créés par les citoyens. C’est l’opinion publique, ce sont les associations etc. Nous voulons développer cette culture au Sénégal. 

Dans sa phase pratique, matérielle, lorsque vous allez mettre en œuvre cette citoyenneté, comment cela va se manifester ?

D’abord cela va commencer à se manifester avec les communes qu’on a gagnées, on va les gérer autrement. Au-delà des communes qu’on a gagnées, on a un plan d’action national qu’on va bientôt dérouler.

Qui peut accoucher sur une candidature à la Présidentielle de 2017…

Non absolument pas. Le défi pour nous c’est de consolider le mouvement. C’est de le massifier, de développer nos idées, de rallier le maximum de Sénégalais à cette dynamique-là.

Pour en venir à la position de C221 avec les questions politiques de l’heure, le débat sur les Accords de partenariat économique (Ape) est actuel. Que vous inspire cette question ?

Je pense que les Ape sont la preuve que quand il est question de gérer les intérêts stratégiques, tous les pays du monde savent s’organiser sauf les Africains. C’est aussi simple que ça. Les Européens, dans cette histoire d’Ape, ne gèrent que leurs intérêts stratégiques. La leçon qu’on devait tirer des Ape c’est justement ça, de nous réunir entre Africains, de créer un marché commun africain, de renforcer l’intégration économique africaine tout en sachant que nous Africains nous ne pouvons compter que sur nos forces. Ça c’est fondamental. Mais au lieu de cela, les Ape ont eu l’effet inverse, ils ont divisé les Africains alors que les Européens devant leurs intérêts stratégiques se sont réunis et ont fait bloc contre les Africains. Voilà la leçon qu’on devait en tirer, on en a tiré une leçon inverse et c’est dommage. La moralité de l’histoire c’est qu’il faut que les Africains sachent que c’est eux et eux seuls qui peuvent prendre en charge leurs intérêts stratégiques. Les Asiatiques quand ils ont voulu se développer, ils se sont déconnectés de tout le monde, ils ont créé leur marché intérieur, exigé aux Occidentaux chaque fois qu’ils leur vendaient de la technologie, de les former à ces technologies, ils ont perfectionné cette technologie et aujourd’hui se sont développés. Mais il n’y a aucune partie du monde qui doit compter sur une autre pour se développer. 

Mais pensez-vous que la façon dont ces Ape sont conçus et par rapport aux offres qu’ils proposent qu’il y ait un juste équilibre entre la contrepartie africaine et celle européenne ?

Je pense que l’Europe fait du protectionnisme tout en déprotégeant l’Afrique. La Côte d’Ivoire fait des bananes et parce que les Antilles font aussi des bananes, la France dit que la banane n’entre pas dans l’Union européenne. Pendant ce temps, la France peut introduire ses marchandises partout en Afrique sans aucune limitation. Je pense que c’est démesuré, c’est déséquilibré, c’est conçu de façon injuste, inéquitable vis-à-vis de l’Afrique. 

Passons à la question du choix de développement proposé par le Président Macky Sall et qui est assis sur le Plan Sénégal émergeant (Pse). Aujourd’hui, certains de ses amis voient là une panacée et d’autres le critiquent. Pensez-vous vraiment qu’il réponde aux exigences de développement du Sénégal ?

Je n’ai pas lu tout le Pse, mais j’ai lu beaucoup de pans de ce plan. Je pense que c’est un projet cohérent et bien conçu. En tout cas sur le papier. On ne peut pas dire le contraire. Ce qu’ils ont conçu en matière agricole, en matière d’industrialisation, tout ça c’est bien. Mais là n’est pas la question. Depuis notre indépendance, on ne fait que concevoir des plans de développement. Le Pse a remplacé le Pnds, un autre plan de développement qui jusqu’à présent n’a pas réussi à nous développer. Honnê­tement sur le papier, le Pse est excellent. En tout cas sur les questions que je connais, celles liées à la communication, les nouvelles technologies de l’information, la civilisation numérique, la production, c’est excellent. Mais le problème n’est pas la conception théorique, mais la mise en œuvre pratique. Et c’est ça qui me pose problème au niveau du Pse. Aujourd’hui tu veux industrialiser le pays, tu crées un fonds d’investissements prioritaires qui s’appelle le Fongip, tu ne peux lui donner que 5 milliards sur un budget de plus de 2 000 milliards. Ça c’est du concret pour montrer que le discours est en déphasage avec l’acte. Tu veux créer aujourd’hui l’autosuffisance alimentaire, tu ne peux même pas trouver 12 milliards pour subventionner l’agriculture. Vous voyez ce que je veux dire ? C’est ça le problème de fond. Pendant ce temps, il y a une rallonge budgétaire de 19 milliards sur le budget de la Présidence. Ça c’est du concret. C’est cela mon problème, il se situe au niveau de la mise en œuvre pratique, mais du point de vue de la conception théorique, il n’y a aucun problème. Si on avait la capacité technique, la capacité politique, la volonté politique de mettre en œuvre le Pse, c’est clair qu’on s’en sortirait. 

Que pensez-vous des mil­liards dépensés pour mettre sur pied le centre de conférence de Diamniadio ?

C’est beaucoup d’argent. 57 milliards, c’est énormément d’argent. Mais cela dit, dans un pays il faut des fleurons. Mais 57 milliards c’est trop, trop cher. C’est peut-être aussi parce qu’on l’a fait dans l’urgence, et qu’il fallait le faire en 11 mois qu’on n’a pas pu faire un appel d’offres. D’où l’utilité d’une politique suivie, parce que gouverner c’est prévoir. Je pense que s’il y avait la planification nécessaire, on aurait pu avoir le temps pour passer un appel d’offres qui aurait à coup sûr réduit substantiellement le prix. Donc, tout se tient dans cette affaire-là. 

Déjà deux ans à la tête du pouvoir pour Macky Sall. Quel bilan dresse le C221 ?

Moi je pense qu’il y a du positif comme du négatif. Je ne suis pas nihiliste. Il faut dire que la façon de gouverner  a changé, c’est évident. La gouvernance de Macky Sall est beaucoup plus sobre que celle de Wade. Les mallettes d’argent ne sortent plus du Palais pour alimenter des lobbies religieux, syndicaux ou partisans, ça c’est un fait. Deuxièmement, les dépenses de l’Etat ont été réduites. Par exemple rien que sur le téléphone, c’est plusieurs milliards qui ont été économisés, ça il faut le dire. Donc de ce point de vue, du point de vue de la qualité de la gouvernance, de la modernité du leadership, il y a des pas qui ont été franchis incontestablement. Cela dit, les problèmes des Sénégalais restent intacts. On ne mange pas mieux à sa faim au Sénégal, on n’est pas mieux traité quand on est malade au Sénégal, l’éducation ne se porte pas mieux. La preuve on sort d’une année blanche ou on est en train de s’acheminer vers une année blanche. Donc les problèmes de fond encore intacts. Donc la symbolique, la forme a changé, mais le fond reste inchangé. De mon point de vue c’est un bilan plus que mitigé. 

Cheikh Yérim Seck, comment vous sentez-vous, plusieurs mois après être sorti de prison ?

Je me sens bien honnêtement. Par la grâce de Dieu tout marche bien. Je me suis recentré sur l’essentiel parce que la prison a cette vertu de recentrer sur l’essentiel.

C’est-à-dire quoi exactement ?

L’essentiel pour moi c’est la famille, c’est la foi en Dieu. L’essentiel c’est de savoir qui t’aime et qui ne t’aime pas. Ça c’est important parce que des épreuves comme celle-là t’éclaircissent l’horizon, te donnent une idée sur les uns et les autres. Elles permettent de distinguer tes amis de tes compagnons, donc de te recentrer sur l’essentiel. L’essentiel pour moi c’est surtout la foi en Dieu. C’est important pour moi parce que la prison a été une sorte de retraite spirituelle, une redécouverte de Dieu, de la religion musulmane. Cela m’a permis de rafraîchir ma connaissance dans le Coran, d’apprendre plus profondément le Coran, de rechercher dans la connaissance du Livre saint et des hadiths du Prophète Mohamet (Psl). Honnêtement de ce point de vue, la prison m’a beaucoup apporté et ça permis de réfléchir sur beaucoup de choses. Par exemple tout ce que je suis en train de dérouler dans le cadre d’Un café avec, je l’ai pensé et conçu en prison. J’ai fait aussi un livre de réflexion sur le Sénégal qui me semble avoir tracé des pistes de réflexion intéressantes. Au moins je me sens bien. 

Sous ce rapport, vous pensez que votre séjour carcéral a été tout à fait bénéfique ?

Absolument. Moi je pense qu’à un moment donné de ma vie c’était un moment de rectification, de réorientation, de remise en cause qui était fondamental, honnêtement. Je remercie Dieu de m’avoir donné cette opportunité extraordinaire. 

Vous parlez de rectification, est-ce parce que vous vous êtes rendu compte que vous aviez dévié du chemin que vous vous étiez tracé initialement ?

Non, non, c’est qu’il arrive des moments dans la vie d’un homme où tout s’emballe. Vous savez, il arrive à tout un chacun de s’emballer avec le temps, mais quand on se retrouve seul entre quatre murs… Moi je suis resté quinze ans où je n’ai jamais eu de pause. Pendant les années que je travaillais à Jeune Afrique j’étais dans les avions tous les jours. Quand je suis venu au Sénégal, je me suis attaqué à plusieurs projets qui me prenaient beaucoup de temps. Je n’avais pas le temps de réfléchir sur moi-même, sur mon rapport à Dieu, sur ce que je dois faire, sur ce que je ne dois pas faire. La prison m’a permis de me recentrer sur ça.

Y avez-vous repensé à vos rapports avec les autres ?

Absolument. Ça c’est le premier enseignement qu’on tire.

Et quelles sont les leçons fondamentales que vous avez tirées ?

La première leçon est que le destin est tragique et que tout est possible dans la vie d’un être humain. Ça c’est une leçon fondamentale. La deuxième leçon c’est que dans la vie il faut s’habituer à tout. Tous ceux qui ont fait la prison dans les conditions du Sénégal savent ce que signifie la prison en termes d’insalubrité, de rudesse, de dureté des conditions de vie. Quand on a eu à la chance dehors de vivre dans un certain confort et de se retrouver en prison, rien que ce contraste est source d’enseignements. La prison permet de beaucoup comprendre sur la nature humaine. Quand on sort de prison on peut trier dans son entourage, on peut savoir quels sont les vrais amis, qui sont les compagnons de circonstances. Mais aussi et surtout, comme disait Nelson Mandela, s’il y a un seul avantage en prison c’est que ça confère le temps de réfléchir et ça m’a permis énormément de réfléchir. Et je crois que ce que j’ai fait depuis que je suis sorti de prison montre quand même que j’ai réfléchi en prison. 

Et comment avez-vous vécu ce passage du luxe auquel vous étiez habitué à l’inconfort de la prison ?

Mais je me suis dit que dans le Coran, Dieu lui-même dit : «Je suis le Maître de l’être humain, je décide de son destin comme je veux, comme je l’entends, quand je veux.» C’est une vérité fondamentale à laquelle je suis revenu. La meilleure façon de vivre c’est de se dire qu’on est un esclave entre les mains de Dieu qui peut faire de nous ce qu’il veut et quel que soit notre destin on doit l’assumer avec la foi. Et franchement cela m’a permis de raffermir ma foi. Il y a des gens qui me disent : «Toi on dirait que tu n’as jamais été en prison, vu la façon dont tu es sorti de prison.» Je dis toujours que ma seule arme est que Dieu m’a aidé à avoir la foi. Aujourd’hui il y a beaucoup de détenus politiques que je suis allé voir. Je leur ai dit : «L’unique façon de résister en prison, c’est d’avoir foi en Dieu.» Il n’y a en pas une autre. C’est une épreuve tellement dure.

Mais il n’a pas manqué des soirs de pur cafard comme on dit…

Ah bien sûr. Ça arrive à tout le monde en prison. Cela aurait été mentir que de vous dire le contraire. 

Et comment est-ce que vous les viviez ? Toujours bardé de votre foi initiale ?

Oui, mais il y avait des moments qui sont durs, où je me levais et restais toute la journée dans ma cellule parce que je n’étais pas bien. Je prenais mon chapelet, je l’égrenais toute la journée et le lendemain ça allait mieux. 

Avez-vous rendu visite à Karim Wade ?

Je ne l’ai pas encore fait. Mais je suis en train de le faire parce que j’avais un problème d’autorisation au niveau de la Cour de répression de l’enrichissement illicite, mais là je crois que ça va se décanter cette se­maine et je vais aller lui rendre visite.  

Le Quotidien


Dimanche 2 Novembre 2014 11:32

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