"Si les parrains (de la pègre, NDLR) pouvaient lui faire un croche-patte, ils n'hésiteraient pas". C’est en ces termes qu’un magistrat anti-mafia italien a prévenu des risques encourus par le pape François.
La mise en garde de Nicola Gratteri, procureur à Reggio de Calabre, dans le sud de l'Italie, prononcée mercredi 13 novembre au cours d’une interview au quotidien "el Fatto Quotidiano" a été relayée par la majorité des médias italiens. D’après lui, le souverain pontife s’est mis à dos la puissante mafia calabraise, la ‘Ndrangheta, à cause de la transparence qu’il a imposée aux différentes institutions financières du Vatican.
"Le danger est réel"
"Tous ceux qui se nourrissent du pouvoir et de la richesse qui découlent directement de l’Église sont nerveux et agités (…). Les mafieux, qui investissent et recyclent l'argent de la criminalité depuis des années grâce à des connivences avec l'Église s'inquiètent, explique Nicola Gratteri. J'ignore si les parrains ont les moyens de faire quelque chose contre le pape, mais je sais qu'ils y pensent. Le danger est réel."
Conformément à sa volonté de procéder à une réforme des structures du Vatican, le pape François avait annoncé, fin mai, la création d’une commission spéciale d’enquête sur l’Institut pour les œuvres de religion (IOR), "la banque du pape". Et ce, afin de s’assurer que ses activités soient conformes aux principes de l’Église catholique.
L’IOR, la principale institution financière du Vatican, était très critiquée pour son manque de transparence. Elle est au centre de plusieurs scandales impliquant des mafieux, ayant profité de son opacité pour y blanchir leurs fonds. Il lui est notamment reproché de ne pas respecter les critères internationaux de transparence, dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent et l’évasion fiscale. En 2012, la "banque du pape" a enregistré un bénéfice net de 86,6 millions d'euros, quatre fois celui de 2011.
Acte de contrition
En outre, le pape François avait dénoncé, en mai, les organisations mafieuses italiennes, et appelé leurs membres à faire acte de contrition. Il avait alors condamné les mafias qui "réduisent en esclavage" hommes, femmes et enfants. "Elles (les mafias) ne peuvent pas faire cela, elles ne peuvent pas réduire nos frères en esclavage, nous devons prier le Seigneur pour que les mafiosi se convertissent à Dieu", avait-il déclaré.
De quoi froisser les cadres d’une pègre qui associe la symbolique de son Église à son pouvoir. "Les rites d'initiation des nouveaux mafieux ont des références à la religion et les "picciotti" (hommes de main de la mafia) prient avant de commettre un assassinat, 'Ndrangheta et religion vont de pair", précise Nicola Gratteri.
La 'Ndrangheta est une structure de crime organisé réputée pour être l’une des plus secrètes du monde. Spécialisée, à l’origine, dans l'extorsion et les enlèvements contre rançon, elle a bâti sa puissance grâce aux trafics de drogue et d’armes dans les 1970-1980. Grâce à l’argent de la drogue, l’organisation calabraise s’est internationalisée : elle investit dans le monde entier, utilise les paradis fiscaux pour blanchir l'argent et parasite l’économie légale ainsi que les marchés publics.
Selon les Nations unies, les principales organisations mafieuses italiennes que sont la Cosa Nostra sicilienne, la Camorra napolitaine, la 'Ndrangheta calabraise et la Sacra Corona Unita dans les Pouilles dégagent au total un chiffre d'affaires annuel de l'ordre de 116 milliards d'euros. À elle seule, la 'Ndrangheta émarge à 44 milliards d’euros, toujours selon la même source.