« Karim est un détenu politique, mais il reste imperturbable. » Chaque lundi matin ou presque, depuis plusieurs mois, Bachir Diawara, ancien chef de cabinet de Karim Wade, rejoint le flot des visiteurs qui se pressent aux portes de la maison d’arrêt de Rebeuss, sur la corniche ouest de Dakar. C’est là que l’ex- »super-ministre » (de 2009 à 2012), suspecté d’enrichissement illicite, dort depuis le 17 avril. Là, aussi, qu’il passera ses nuits au cours des six prochains mois.
Sans contact avec son père, sa soeur et ses filles
Il y a là des proches, des cadres du Parti démocratique sénégalais (PDS), mais aussi des anonymes, comme ceux qui ont battu le pavé, le 8 octobre, entre la place de l’Obélisque et la Poste de la Médina, pour protester contre la vie chère, la pénurie d’eau, les délestages… et pour exiger la libération du détenu le plus médiatisé du Sénégal. Sa mère, Viviane, a fait le déplacement début septembre. Mais ni son père, Abdoulaye Wade (reclus à Versailles, en France, depuis la défaite en 2012), ni sa soeur, Sindiély, ne sont venus. Quant à ses deux filles, elles ont été confiées à la garde de deux nourrices dans un appartement du 16e arrondissement de Paris mis à disposition par un ami de la famille. Elles n’ont plus de contact avec Karim Wade depuis son retour au Sénégal, il y a un an.
« C’est parce que le pouvoir le considère comme un adversaire de taille qu’il est persécuté », affirme Bachir Diawara. Une « persécution » dont les retombées, paradoxalement, auraient plutôt l’air de réjouir ses soutiens. « Son incarcération a dopé sa popularité, croit savoir l’un de ses proches. Macky Sall doit s’en mordre les doigts ! » Pour un peu, ce passage derrière les barreaux passerait presque pour une étape obligée avant la consécration.
Aux dires de plusieurs proches, l’ancien jet-setteur mènerait désormais, derrière les hauts murs de Rebeuss, la vie pieuse et laborieuse du parfait talibé.
Son propre père n’a-t-il pas lui-même été emprisonné à plusieurs reprises du temps où il était l’opposant résolu du président Abdou Diouf ? Quant à Cheikh Ahmadou Bamba, le fondateur du mouridisme, il a été incarcéré par les colonisateurs français avant de se voir infliger un long exil au Gabon. Or Karim Wade, 45 ans, semble avoir placé sa détention sous les auspices de celui qu’on appelle aussi Serigne Touba, figure sainte de la puissante confrérie sénégalaise. Aux dires de plusieurs proches, l’ancien jet-setteur mènerait désormais, derrière les hauts murs de Rebeuss, la vie pieuse et laborieuse du parfait talibé.
Il fait du sport ou travaille à l’écriture d’un livre
« Il n’a pas de contacts avec les autres détenus du PDS [une demie-douzaine d'anciens responsables libéraux soupçonnés de malversations], précise l’un de ses avocats. Chaque jour, il planche avec l’un d’entre nous sur le dossier de sa défense. Sinon, il fait du sport ou travaille à l’écriture d’un livre. » Un ouvrage aux accents programmatiques dans lequel l’ancien ministre des Infrastructures, de l’Aménagement du territoire, de la Coopération internationale et du Transport aérien dévoile, à en croire son entourage, ses « grandes orientations » stratégiques et économiques pour le Sénégal, avec en ligne de mire la campagne électorale de 2017.
Le cercle de ses visiteurs s’étend bien au-delà des apparatchiks et de Victor, son fidèle garde du corps, qui lui apporte ses repas trois fois par jour.
Le cercle de ses visiteurs s’étend bien au-delà des apparatchiks et de Victor, son fidèle garde du corps, qui lui apporte ses repas trois fois par jour. Plusieurs sources confirment que le fils de l’ancien président reçoit sans exclusive les Sénégalais qui souhaitent venir à sa rencontre, mais aussi une poignée de journalistes et jusqu’à un cadre du parti présidentiel, l’Alliance pour la République (APR). « L’attribution des permis de visite par la Crei [Cour de répression de l'enrichissement illicite] est devenue de plus en plus contraignante, précise toutefois un responsable du PDS. Désormais, chaque permis est valable une seule fois et le nombre de visiteurs a été restreint. » Ces derniers temps, il est limité à 50 personnes par jour de visite : la moitié sont des anonymes ; l’autre moitié, des personnalités officielles. Ponctuellement, Karim Wade s’offre même le plaisir d’en bouder certaines. « Il a refusé de recevoir une délégation d’élus de la majorité, fait savoir l’un de ses avocats. Et il a aussi éconduit Alioune Tine, ce prétendu défenseur des droits de l’homme [nommé président du Comité sénégalais des droits de l'homme en février]. »
Principal pôle d’attraction de Rebeuss, Karim Wade vit néanmoins dans un certain isolement afin d’éviter de provoquer l’effervescence. « Il n’a pas l’autorisation de fréquenter les autres détenus pour la prière du vendredi », précise un avocat. Chez ses visiteurs, un mot revient comme un leitmotiv pour traduire son état d’esprit : « Je le trouve très serein », affirme Marie Aw, membre du comité directeur du PDS et responsable du parti libéral à Keur Massar, dans la banlieue de Dakar. Celle qui a récemment fondé le mouvement Takhawou Karim (« Soutenir Karim ») est une fidèle de la première heure. « J’ai obtenu le premier permis de visite délivré par la Crei, claironne la militante. On me l’a accordé le 2 mai pour une période de six mois. » Depuis lors, Marie Aw s’est rendue à la prison de Rebeuss à une quinzaine de reprises pour y rencontrer Karim Wade. « Il écoute davantage qu’il ne parle », témoigne-t-elle. « Il est très attaché à sa foi, il s’en remet à Dieu, relate Bachir Diawara. Il fait sa prière et se consacre à la lecture du Coran et des préceptes de Cheikh Ahmadou Bamba. »
Des visites de chefs religieux
Pour Karim Wade, à qui il a tant été reproché par le passé d’être un Sénégalais de circonstance à l’enracinement trop superficiel pour prétendre honorer un jour le projet dynastique de son père, cette détention est l’occasion d’opérer une mue, et l’allégeance confrérique qu’il cultive depuis plusieurs mois n’est pas anodine. « Des chefs religieux me demandent régulièrement de lui transmettre leurs salutations ou des messages de soutien », précise Marie Aw. Toutes confréries confondues, les cheikhs font régulièrement le déplacement. Depuis avril, on a vu défiler à Rebeuss nombre de représentants des grandes familles maraboutiques mourides : Serigne Moustapha Mbacké, Serigne Cheikh Awa Balla Mbacké, Serigne Abdou Lahat Mbacké, Serigne Modou Kara Sylla… Les tidjanes ne sont pas en reste, puisque l’imam de la grande mosquée omarienne de Dakar, Thierno Seydou Nourou Tall, compte lui aussi au nombre des visiteurs de Karim Wade. Enfin, pour les layènes, c’est Ibou Seyni Thiaw Laye, fils du khalife de la confrérie, qui a été reçu en audience par le Very Important Prisoner.
Karim Wade, candidat pour 2017 ?
Au cours des derniers mois, celui que l’on avait davantage l’habitude de voir revêtu d’élégants costumes taillés sur mesure s’est mis à arborer la djellaba et le calot des hadjs. Ses proches laissent par ailleurs entendre que sa maîtrise du wolof aurait fait un bond qualitatif. Un relooking que certains observateurs n’hésitent pas à taxer d’opération de com orchestrée par son entourage. « Karim Wade est un nouveau produit marketing du PDS », ironise ainsi l’éditorialiste Madiambal Diagne dans Le Quotidien. Car dans un parti revenu à l’opposition après avoir perdu sa figure historique, une candidature de Karim Wade lors de la prochaine élection présidentielle semble plus probable que jamais. Si le principal intéressé, adepte du off the record et avare en confidences, ne donne aucun indice explicite, ses partisans, eux, ne contiennent plus leur enthousiasme. « Karim est notre candidat pour 2017 ! » lâche un membre du comité directeur. « C’est notre messie ! » exulte Marie Aw. Au PDS, on veut se convaincre que Karim Wade représente le challengeur le plus sérieux de Macky Sall. Et que cela expliquerait « l’acharnement » de la justice sénégalaise.
Six mois de plus
Bis repetita… Karim Wade passera les six prochains mois en détention à Rebeuss. Au terme d’une audition marathon, la première portant sur le fond du dossier depuis son incarcération le 17 avril, ses avocats ne sont pas parvenus à convaincre les juges de l’origine licite des 150 millions d’euros retrouvés sur des comptes bancaires à Monaco. Certes, sur les 30 comptes (dont 24 encore en activité) évoqués par le procureur spécial de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), un seul est au nom de Karim Wade. Les autres appartiennent à des personnes que la justice soupçonne d’être des prête-noms, et notamment à Ibrahim Aboukhalil, dit Bibo Bourgi. Mais selon la Crei, Karim Wade en est bien le véritable bénéficiaire… D’où sa décision, rendue le 16 octobre, à l’aube de la Tabaski et au grand dam des défenseurs du fils de l’ancien président.
« C’était un jour férié, nous avons refusé de travailler dans ces conditions et de prendre part à cette parodie de justice, raconte l’un des avocats présents. Après avoir retiré nos robes en signe de protestation, nous avons quitté la salle avec notre client, qui a refusé de répondre aux questions du juge. » À noter que pour la défense, confortée par divers juristes dont l’avocat Assane Dioma Ndiaye, président de la Ligue sénégalaise des droits de l’homme, les comptes monégasques ne sont pas un fait nouveau, mais une extension de la première inculpation. « Dans cette affaire, il ne faudrait pas instrumentaliser la justice à des fins politiques », s’indigne le juriste-militant.