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Dakar : le fossé entre banlieue et centre-ville se creuse

C'est une capitale sénégalaise en pleine croissance qui vient d'accueillir Africités, le sommet des collectivités locales africaines, du 4 au 8 décembre. Pourtant, tiraillée entre les chantiers d'intérêt national et les besoins de ses habitants, la ville peine à planifier son développement. À l'image de nombreuses métropoles du continent.



Dakar : le fossé entre banlieue et centre-ville se creuse
Les Parcelles-Assainies. C'est ici, dans ce monstre urbain qui a vu le jour dans les années 1970, une cité-dortoir ensablée conçue pour désengorger le centre-ville de Dakar, qu'est né le collectif citoyen Y'en a marre, devenu célèbre depuis que ses membres ont contribué à la chute d'Abdoulaye Wade et à la naissance du « nouveau type de Sénégalais » (NTS, nouveau mot d'ordre du mouvement). Ce n'est pas un hasard. La désolation et la frustration sont un terreau fertile pour les révoltes. « Ici dans la banlieue, il n'y a rien à faire, déplore un membre du mouvement. Si on veut travailler, si on veut s'amuser, on est obligé de partir vers le centre. »

La petite presqu’île du cap Vert constitue un véritable goulet d’étranglement.
Car à Dakar tout converge vers le centre. La capitale sénégalaise est victime de « macrocéphalie », selon l'expression de son maire, le socialiste Khalifa Ababacar Sall (lire interview). Chaque jour, ce sont près de 2 millions de personnes qui se dirigent vers la petite presqu'île du cap Vert, un véritable goulet d'étranglement d'à peine quelques dizaines de kilomètres carrés. Les fonctionnaires. Les marchands ambulants. Les éclopés - jusqu'à présent, la banlieue, cette immense et anarchique étendue urbaine qui abrite la plus grande partie des habitants de la capitale, ne dispose d'aucun centre de soins... Ce qui était gérable il y a encore vingt ans ne l'est plus aujourd'hui. Les pouvoirs publics, par manque de prévoyance, se sont laissés déborder.
Plus de place
L'agglomération de Dakar, c'est un tout petit pan du territoire sénégalais (moins de 0,3 % de sa superficie totale), mais au bas mot un quart de sa population : quelque 400 000 habitants dans les années 1970, 3,2 millions actuellement et 5 millions attendus en 2025. Dakar, c'est aussi la moitié des usines enregistrées dans le pays (dont, évidemment, les plus importantes et les plus polluantes) et un désert de béton, de sable et de ciment qui gagne du terrain chaque jour. « C'est simple, il n'y a plus de place nulle part », indique un élu local : 97 % de la presqu'île est urbanisée.
 

 

Khalifa Ababacar Sall, maire de Dakar. P.Sterczewski/ReservoirPhoto

Khalifa Ababacar Sall, maire de Dakar. P.Sterczewski/ReservoirPhoto

Khalifa Ababacar Sall : "La seule solution, c'est l'intercommunalité"

À mi-mandat, le premier magistrat de Dakar a lancé de nombreux chantiers pour améliorer le cadre de vie de ses concitoyens, mais les conflits de compétences avec l'État et le manque de moyens ne lui facilitent pas la tâche.

Jeune Afrique : Comment se porte Dakar ?

Khalifa Ababacar Sall : Quand nous sommes arrivés, en 2009, la situation était difficile. Nous avions deux préoccupations majeures.

D'abord la promotion des ressources humaines, avec la santé, l'éducation, la culture, l'amélioration du cadre de vie. L'an prochain, toutes les écoles primaires auront été réhabilitées et, en deux ans et demi, la fréquentation scolaire est passée de 65 % à 92 %.

Notre deuxième priorité était une nouvelle forme de gouvernance. Nous voulions faire en sorte que les Dakarois perçoivent autrement la gestion de la collectivité. Nous avons mis en place une gestion participative transparente. Par exemple, sur notre site internet, on peut trouver le budget, les comptes administratifs et même des audits de la ville. Nous avons aussi réorganisé les conseils de quartiers.

Reste l'aménagement. Votre ville est confrontée à de nombreux problèmes en la matière...

Oui, elle subit une véritable macrocéphalie. Tout le monde vient dans le centre-ville. Nous tentons d'y remédier. Nous allons créer une zone piétonne dans le centre, nous pavons les rues et, surtout, l'objectif est de donner à chaque espace - le centre, la zone côtière, mais aussi les banlieues - une vocation pour que les gens ne soient plus obligés de venir dans la presqu'île.

En avez-vous les moyens ?

L'État nous a donné des compétences dans le domaine social notamment, mais nous en a retiré dans le foncier. Depuis deux ans, nous n'avons plus de compétences en la matière et ne pouvons délivrer aucun titre. Mon seul levier d'action, c'est le permis de construire. Par ailleurs, nous n'avons pour seules ressources financières que les taxes locales que nous levons. Et encore, sur ce point, nous n'avons aucune marge de manoeuvre.

Dans une agglomération comme celle de Dakar, l'avenir passe par l'intercommunalité. Il faut voir grand. À terme, nous devrons réfléchir à une conurbation entre la région de Dakar et celle de Thiès. Dans la région vivent plus de 3 millions de personnes, mais alors que la ville de Dakar, avec une superficie de 36 km², est très densément peuplée, celle de Rufisque est vide [300 000 habitants pour 42 km2, NDLR]. Il n'y a pas surpopulation, il y a « malpopulation ». Et le seul moyen d'y remédier, c'est l'intercommunalité.
 
 
 
Pourtant, ce ne sont pas les bonnes volontés qui manquent. La ville est un chantier permanent depuis dix ans. Dans la presqu'île du cap Vert, l'évolution est palpable. À la faveur du sommet de l'Organisation de la conférence islamique (OCI) que la ville a accueilli en 2008, la corniche a pris un tout autre visage. On y a vu apparaître des hôtels de luxe, une route à 2x2 voies, un tunnel que certains chauffeurs de taxi continuent d'éviter par superstition, un monument de la Renaissance africaine aussi controversé qu'incrusté dans le paysage, etc.
Le maire, qui veut faire de Dakar une ville moderne et agréable, ne manque pas de projets. Depuis quelques mois, des feux de circulation ont été installés. Bientôt, veut-il croire, les marchands ambulants qui obstruent les chaussées déguerpiront. Ils seront casés dans des centres commerciaux. Des zones piétonnes et des rues pavées seront créées. Toute la ville sera éclairée, et la voirie sera refaite.
 
Toujours dans la presqu'île, les échangeurs ont poussé comme des champignons et une autoroute a vu le jour. Bientôt, elle reliera le coeur de la ville à l'aéroport international Blaise-Diagne, qui se trouve loin du centre. Le chantier du tronçon entre Dakar et Diamniadio doit être livré en août 2013 et la portion de route menant à l'aéroport devrait être prête au second semestre 2014. La voie de dégagement nord (VDN) sera également prolongée.
Vitrine
Incontestablement, ces dix dernières années, les autorités ont su mobiliser les fonds étrangers (européens, arabes, internationaux) pour remodeler le visage de la ville. « Beaucoup d'efforts ont été faits pour améliorer la mobilité. C'est une bonne chose, car les carences en la matière plombent l'économie », note l'urbaniste Oumar Cissé, dont l'Institut africain de gestion urbaine (Iagu, une ONG) appuie plusieurs villes du continent. Mais pour le maire, tous ces chantiers menés par l'État « sans aucune concertation » avec les collectivités locales ont au contraire créé de nouveaux problèmes. Entre un pouvoir central désireux, durant le règne de Wade, de faire de Dakar la vitrine de ses ambitions et une municipalité guidée par la volonté de redonner aux Dakarois une ville où il fait bon vivre, les projets s'entrechoquent trop souvent. « Tant que les collectivités n'auront pas le même degré de compétences qu'en Europe, on ne pourra rien construire de viable sur le long terme », estime Sall.
Surtout, le fossé se creuse entre le centre-ville et sa banlieue, qui commence, selon la définition populaire, aux Parcelles-Assainies et se poursuit à Pikine, Rufisque et Guédiawaye. « Dakar nous échappe. On en perd le contrôle, déplore un "y'en-a-marriste" de Pikine. Tout est fait pour les privilégiés, pour leur rendre la vie belle. On aménage la corniche. On libère les voies d'accès à l'aéroport tout en évitant soigneusement de traverser les quartiers misérables. Et nous, on se débat comme on peut. »
 
 
 
Ici, dans cet agrégat d'habitations pour la plupart construites dans l'illégalité et en dépit du bon sens, ce sont des dizaines de milliers de Sénégalais (entre 80 000 et 110 000 selon diverses estimations) qui viennent chaque année de la campagne, chassés par la sécheresse et/ou la misère. « Rien n'est prévu pour les accueillir », déplore Oumar Cissé. Résultat : en l'absence de plan d'urbanisation, les inondations font chaque année plus de ravages. En août dernier, elles ont tué une dizaine de personnes. « Une telle situation va constituer à coup sûr, si la tendance n'est pas renversée, une véritable bombe », estime un autre urbaniste, Djibril Diop, auteur de l'ouvrage Urbanisation et gestion du foncier urbain à Dakar. « Il faut qu'on ait le courage de repenser l'organisation de l'espace et les activités économiques de la ville », répète en écho Khalifa Sall. Mais cela demande du temps et de l'argent. Or il le reconnaît lui-même : « Nous sommes toujours dans l'urgence. »

Dakar-infoLe bon plan

Le Fonds mondial pour le développement des villes (FMDV) - créé en 2010 à l'initiative de Metropolis, l'association mondiale des grandes métropoles, et de Cités et gouvernements locaux unis (CGLU) - s'est engagé à soutenir la municipalité de Dakar dans la réalisation de son plan stratégique Dakar 2030, développé par la Direction de la planification et du développement durable (DPDD, créée en janvier 2012 par la capitale sénégalaise). Premier gage concret de cette aide à la planification opérationnelle, l'assistance du FMDV dans la maîtrise d'ouvrage du projet d'aménagement Derklé-Khar-Yalla-Liberté (DKL) qui a pour objectif de restructurer le tissu urbain, tant sur le plan spatial que socioéconomique, en créant un nouveau centre tertiaire dans le nord de la ville. Une délégation d'experts du Fonds est venue à Dakar en juillet pour accélérer l'étude de faisabilité du projet, organiser son montage institutionnel et financier en analysant les blocages actuels, et définir les actions prioritaires à démarrer dès début 2013. Le futur pôle d'activités devrait permettre de satisfaire les besoins en équipements, en infrastructures et en logements de la population et des entreprises de trois communes d'arrondissements (Derklé, Grand-Yoff, Sicap-Liberté) et, en désengorgeant les quartiers du Plateau et du centre-ville, d'améliorer la mobilité dans l'ensemble de l'agglomération.

 

Bamba Toure

Samedi 27 Juillet 2013 - 06:22





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