Est-ce vraiment un hasard ? Lorsque l'on étudie la biographie de cette jeune écrivaine de moins de quarante ans, on note qu'elle a fait le choix d'aller étudier au Texas à l'âge de 19 ans, après une année de médecine à l'université de Nsukka (dans l'est du Nigeria). Le dernier en date de ses romans s'appelle Americanah et il relate les aventures d'une jeune Nigériane émigrée aux Etats-Unis. Une jeune femme qui présente énormément de points communs avec Chimamanda Ngozi Adichie. Tout comme son héroïne, Chimamanda Ngozi Adichie vit entre deux continents. L'adaptation de ce roman au cinéma est en cours avec Lupita Nyong'o dans le rôle principal.
Lorsque les médias américains décident de célébrer un Africain ou une Africaine, il s'agit fréquemment d'un individu qui a des liens très forts avec les Etats-Unis. « L'influence » passe donc par le fait de développer une relation étroite avec Washington. Si Chimamanda avait étudié en Chine ou en Russie, il est fort à parier que CNN ne l'aurait pas célébrée de la même manière. L'universalisme a ses limites.
« Nous sommes tous des féministes »
Plus que sur l'impact de son œuvre littéraire, pour mesurer son influence CNN se base sur le fait que le titre de son discours et essai, We Should All Be Feminists (traduit en français et publié par les éditions Gallimard en 2015, sous le titre Nous sommes tous des féministes), a été utilisé lors d'un défilé de la Fashion Week à Paris. Le discours en question a été distribué dans toutes les écoles de Suède. Des extraits ont également été repris dans le dernier album de la chanteuse américaine Beyonce Knowles.
Mais si l'on fait un micro-trottoir dans une rue de Dakar, Cotonou, Nairobi ou Durban et que l'on demande qui est Chimamanda Ngozi Adichie, la réponse risque d'être très décevante. Même au Nigeria, l'écho rencontré par l'écrivaine demeure assez faible. Les trois romans de Chimamanda Ngozi Adchie jouissent d'une vraie notoriété, notamment le deuxième en date, L'autre moitié du soleil, consacré à la guerre du Biafra pendant laquelle son grand-père est décédé dans un camp de réfugiés.
Ce roman s'est vendu à 100 000 exemplaires au Nigeria. Une belle prouesse, même s'il faut noter que le pays compte tout de même 186 millions d'habitants. Si l'écrivaine est lue, l'intellectuelle est beaucoup moins écoutée. « Depuis que les Américains l'ont adoptée, nous avons cessé de la considérer comme l'une des nôtres », souligne Biola Fafuna, une universitaire nigériane. Elle ajoute : « Son discours est trop américain pour nous parler réellement ».
Revendication de l'identité igbo
Chimamanda Ngozi Adichie a toujours revendiqué ses origines igbos (sud-est du Nigeria), l'ethnie à l'origine de la cession biafraise de 1967 à 1970. Son roman L'autre moitié du soleil est aussi pour elle une manière de rappeler les souffrances de son ethnie (qui compte de 20 à 30 millions de personnes) pendant la guerre du Biafra. Un sujet largement resté tabou jusqu'alors. Le film L'autre moitié du soleil, adaptation du roman éponyme de Chimamanda Ngozi Adichie a d'ailleurs été victime de censure avant sa sortie au Nigeria.
En 2015, avant l'élection du gouverneur de l'Etat de Lagos, le « roi des Yorouba » (ethnie qui domine le sud-ouest du Nigeria) de Lagos a menacé publiquement les Igbos de la ville. « S'ils ne votaient par pour Akin Ambode, le candidat" choisi par les Yorouba ", ils seraient noyés dans la lagune (sic) ». Une déclaration qui a, à juste titre, fait réagir Chimamanda Ngozi Adichie. Elle a alors souligné que son ethnie est très souvent stigmatisée dans l'indifférence générale, rappelant qu'après la guerre du Biafra, les Igbos dont les propriétés avaient été saisies - notamment à Lagos - n'ont jamais pu les récupérer.
Dans une récente tribune, elle a aussi souligné que les éleveurs fulanis (peuls, l'ethnie du président) massacrent des populations dans le pays igbo sans que le président Buhari, élu en avril 2015, semble s'en émouvoir outre mesure. Le pays igbo a d'ailleurs voté à une écrasante majorité pour son rival, le président sortant Goodluck Jonathan. Ces déclarations la font apparaître comme une championne de la cause « igbo », mais elle n'est pas vraiment en odeur de sainteté dans le reste du pays. Une Fédération toujours très divisée sur le plan ethnique.
Un féminisme pas vraiment à la mode
Son combat féministe rencontre également peu d'échos. Alors que sa femme avait accordé une interview à la BBC où elle évoquait des questions politiques, le président Buhari a déclaré lors d'une conférence de presse que son rôle était d'être à la cuisine. Les déclarations du chef de l'Etat sont passées comme une lettre à la poste dans un pays où les propos machistes sont légion.
Très discrète, lorsqu'elle vient au Nigeria, Chimamanda Ngozi Adichie se montre à peine lors de ses passages à Lagos, la capitale économique. Si elle exerce une influence, elle est tellement discrète qu'elle en devient presque imperceptible. Chimamanda Ngozi Adichie n'a jamais prétendu être une femme d'influence. Rien n'indique qu'elle souhaite en devenir une. Elle veut surtout écrire les romans les meilleurs possible. Ce qu'elle réussit plutôt bien d'ailleurs.
Là où CNN a sans doute raison, c'est que Chimamanda Ngozi Adichie parvient à modifier la perception des femmes africaines en Occident. La romancière talentueuse montre qu'il existe en Afrique un grand nombre de femmes libres et indépendantes. Mais cette écrivaine n'est pas la seule à contribuer à modifier l'image des Africaines. De la chanteuse béninoise Angélique Kidjo à la marathonienne Tegla Loroupe en passant par la présidente du Liberia, Ellen Johnson Sirleaf, elles sont des milliers dans ce cas de figure, à modifier la perception de la femme africaine en Occident et ailleurs dans le monde. Leur influence est tout aussi notable que celle de la romancière glamour qui fascine CNN;
source: RFI