De l'importance de la promotion de l'esprit scientifique au Sénégal


Face à un problème complexe, faut-il faire appel au bon sens ou à la raison ? Il est généralement accepté que sans développement scientifique, il n'y a pas de développement économique. Même si cette proposition reste à être affinée, on peut constater que l'essor économique en Europe aux 18 et 19ème siècles a été précédé d'un éveil scientifique et d’importantes percées technologiques. La science et les techniques, avec la mise en place d’institutions crédibles, ont sans doute participé au décollage de l'Europe et par suite des Etats-Unis d'Amérique.

La science requiert au préalable que l'esprit scientifique soit accepté dans la société comme un mode de connaissance à côté de l'intuition et de l'émotion. L'intuition est une faculté de l'esprit qui assure un mode de connaissance immédiat sans médiation de la raison. Elle n'est généralement pas la conclusion d'un raisonnement. Elle se présente souvent sous la forme d'un sentiment d'évidence quant à la justesse d'une proposition.

L'émotion, quant à elle, est un mode de connaissance qui privilégie la relation avec les faits, les évènements ou la nature fondée sur les évaluations propres de l'individu. Elle se manifeste par un changement d'état. Elle traduirait selon Darwin une faculté d'adaptation et de survie. Au Sénégal, Ce texte voudrait rappeler l'importance de la promotion de l'esprit scientifique au Sénégal en indiquant brièvement sa définition et en formulant quelques propositions.

1. De l'esprit scientifique

Bachelard notait que l'esprit scientifique, c'est le raisonnement et l'expérimentation. Il permet aux populations qui l'acceptent comme mode d'approche du réel d'être critiques vis-à-vis des superstitions et croyances surannées, ou des promesses de charlatans. Par ailleurs, il crée les conditions d'éclosion de la citoyenneté dans laquelle l'individu, libéré de l’influence des groupes qui produisent ou bénéficient de telles théories, développe le sens de l'intérêt général et pense l'espace public en extériorité par rapport à ses objectifs individuels, familiaux ou claniques. L'Etat fait alors sens ainsi que les politiques publiques, la patrimonialisation des ressources publiques étant difficile voire impossible.
La science est accessible à toutes les populations et c'est seulement en raison de contingences historiques que ses principes ont été systématisés en Europe comme forme privilégiée d'approche du réel. Au Sénégal, l’enseignement de la science moderne a été développé par le colonialisme et il est un fait que l'esprit scientifique y est faible, y compris au sein des élites politiques. Et c'est cela qui explique qu'on puisse importer des semences sélectionnées d'arachide pour les utiliser à grande échelle sans procéder à l'expérimentation en 2008 ou qu'il y ait eu par le passé un fort attachement au projet de revitalisation des vallées fossiles.

Au Sénégal2, l'accent a été mis sur les formes intuitives propagées par les familles maraboutiques

2. De la promotion de l’esprit scientifique

Les vecteurs privilégiés de la promotion de l’esprit scientifique sont l'école et la communication. Toutefois, ces vecteurs ne pourront permettre le développement de l’esprit scientifique que si la société dans son ensemble valorise suffisamment la connaissance, les comportements et les professions scientifiques.

Il s’agira alors dès l’école primaire de favoriser l’éducation à la science. A cet égard, la question de l’enseignement en langues nationales devrait être débattue, non seulement pour assurer une plus grande efficacité cognitive à l’apprentissage des enfants, mais aussi pour réconcilier les Sénégalais avec la science. En effet, tant que toutes les connaissances acquises en langues nationales relèveront exclusivement des modes émotif et intuitif, il sera difficile de s’approprier l’esprit scientifique comme un mode de connaissance universel mais aussi sénégalais. Le contenu des programmes de formation devrait également être réévalué à la lumière de la nécessité de promouvoir l’esprit scientifique. Ainsi, on ne devrait pas attendre jusqu’à ce que l’élève atteigne le niveau du baccalauréat pour dispenser des cours d’épistémologie en philosophie. A côté de l’instruction civique qu’il faut renforcer, l’éveil scientifique des enfants doit être encouragé pour que la démarche inférentielle soit acceptée dès le jeune âge.

Il reste le cas des enfants qui suivent une instruction dans les daaras. Je suis d’avis que l’Etat doit rechercher un consensus avec les familles maraboutiques pour que le calcul et l’apprentissage technologique soient enseignés. Cela est possible. Il faut le faire. Les taalibés doivent être initiés à la science, car il n’y a aucune contradiction entre science et religion. Au contraire, la science est une création d’Allah, comme l’émotion et l’intuition. Il n’y a aucune raison dès lors de négliger la science par rapport aux autres formes de connaissance. En outre, le cadre des daaras qui allie activités d’enseignement et travaux champêtres, se prête particulièrement bien à la généralisation de certaines techniques mécaniques, agricoles, biologiques, etc. C’est probablement en relevant ce défi qu’il sera possible de trouver des solutions au problème de développement du secteur informel au Sénégal.

La communication sous toutes ses formes a un rôle important à jouer pour promouvoir l’esprit scientifique et l’asseoir au sein des populations dans le but de favoriser la valorisation sociale des scientifiques. Ce faisant, les vocations qui existent à l’état latent chez les jeunes pourront éclore.

3 Enfin, parallèlement aux efforts à engager en matière d’éducation et de communication, il sera nécessaire de mettre l’accent sur la valorisation des connaissances, des comportements et des professions scientifiques.

Dakar, le 22 janvier 2009
Mamadou Lamine Diallo
Ingénieur-Economiste
Ancien élève de l’Ecole Polytechnique de Paris

MD

Vendredi 19 Avril 2013 09:24

Dans la même rubrique :