Il fait partie des précurseurs du mouvement Hip-hop au Sénégal, mais aussi des musiciens sénégalais les plus engagés. Didier Awadi a participé à la chute de l’ancien régime avec son fameux tube Mame boy démal nopalou ! (le vieux allez vous reposer) ! Dans cet entretien, il revient sur sa carrière et donne son point de vue sur le nouveau régime qu’il dit faire de la «justice spectacle» dans la conduite des audits lancés contre des responsables de l’ancien régime.
Pourquoi Ma révolution comme titre de votre nouvel album ?
J’avais besoin de dire tout ce qui m’inspire, pourquoi je suis dans ce combat, définir pourquoi j’étais activiste. Je trouve que ce titre était une synthèse du travail d’activiste que je fais depuis un certain nombre d’années. Donc, pour moi, c’était le titre qui collait le mieux. A écouter les 17 titres, je pense que ce qui revient, c’est l’esprit de révolution, d’activisme.
Pourquoi Awadi est-il engagé sur le plan panafricain ?
Parce que je crois en l’Afrique ; je ne crois pas à la division de l’Afrique qu’il y a depuis Berlin. Je ne crois pas que les Gambiens soient différents des Sénégalais, que les gens de Bakel soient différents de ceux de Bamako. Donc, je crois en l’Afrique avec toutes ses différences culturelles. Mais qui a besoin d’être un Tout pour faire face à un monde globalisé, au terrorisme, aux puissances qui viennent avec du dumping par rapport à notre économie. C’est un grand ensemble qui pourra défendre l’Afrique. J’ai eu la chance de visiter une quarantaine de pays africains ; nous avons les mêmes aspirations, les mêmes problèmes et surtout la même solution qui est l’unité avec laquelle on peut avoir un passeport unique, un gouvernement unique pour défendre nos intérêts. On a l’impression qu’il n’y a que l’Afrique qui ne défend pas ses intérêts parce qu’elle est divisée et certaines puissances entretiennent cette division et ces cloisonnements alors que c’est quand on est unique que l’on est plus fort. Quand les Africains ont parlé d’une même voix contre les Ape (Accords de partenariat économique), l’Union européenne a pu reculer. Je pense que c’est à nous de montrer ce type d’exemple pour qu’à chaque fois qu’il y a des attaques sur le Continent, qu’on puisse faire face. C’est parce que la Cedeao se met ensemble avec les puissances étrangères que ceux qui sont au Nord Mali commencent à négocier. Pour moi, il n’y a que l’unité pour nous faire sortir de la crise généralisée.
Certains vous reprochent d’être beaucoup plus panafricain que patriote ? Qu’en pensez-vous ?
Ils ont le droit de penser ce qu’ils veulent. Je travaille pour mon pays, pour l’Afrique, pour ma famille. Selon qu’on soit d’un côté ou d’un autre, on va penser que je suis panafricain et non patriote. Je sais ce que je fais et voilà. Ce n’est pas parce qu’on est panafricaniste qu’on n’est pas Africain. Je ne comprends pas. Quand on est panafricaniste, cela veut dire qu’on se bat pour l’Afrique et qu’on ne travaille pas seulement pour un pays mais, pour tous les pays. Et c’est ce qui est important. Pour moi, cela n’a pas de sens de dire que telle personne est un panafricain et non patriote, peut-être qu’ils n’ont pas compris le sens du mot patriotisme ou panafricanisme.
Et le combat citoyen dans tout cela…
C’est ce que je fais depuis le début de ma carrière et cela se traduit avec des associations, des Ong. Sur le terrain par rapport à la société, à mon quartier. Le combat citoyen est à tous les moments de ma carrière. Et je pense que c’est ce à quoi on m’identifie le plus, ce que je fais le plus dans ma vie, ce que j’ai décidé de faire. Même la musique participe dans ce combat citoyen, de même que les films que je fais. Pour moi, je ne fais que de l’activisme.
Comment vous expliquez votre amour pour Thomas Sankara ?
Sankara est mon modèle, mon modèle à penser. La famille Sankara m’a fait le privilège de m’adopter parce que, pendant longtemps, elle entendait parler de moi sans me connaître. Une fois à Ouagadougou, ils sont venus me voir et au fur et à mesure j’ai pu connaître toute la famille. Chaque fois qu’ils viennent à Dakar, ils passent me voir. Et en retour, à chaque fois que je vais à Ouagadougou, je n’hésite pas à aller les voir. Je pense que c’est une famille qui est très digne et qui réclame toujours justice pour Thomas Sankara.
Pourquoi avoir attendu votre 5e album pour faire part de vos origines casamançaises ?
Je n’ai pas besoin de montrer mon appartenance. J’en parle aujourd’hui parce que l’occasion se présente. J’en parle parce que 30 ans c’est trop. Je pense que la question qu’on devrait se poser, c’est : «Pourquoi tout le monde n’en parle pas ?» En tant qu’artiste, on le fait parce que l’inspiration est là.
Avez-vous prévu quelque chose pour que cette région retrouve la paix ?
Je n’ai pas attendu ; j’ai fait plein d’actions et je n’ai pas besoin de faire du tapage pour ça. Je viens de faire une chanson et un clip là-bas. Mais, je compte faire une tournée un peu comme a fait Balla Gaye. Je pense qu’il a montré l’exemple et je m’en inspire sans complexe parce que, comme je dis, 30 ans que les gens n’investissent plus dans cette région, 30 ans de stress, de pleurs, de souffrance, c’est trop ! Pour l’itinéraire, je vais commencer par Bignona, Oussouye, Kolda et Sédhiou. Je compte le faire entre janvier et février si on arrive à réunir les partenaires nécessaires pour en faire des concerts gratuits. Le but, c’est de dénoncer ces 30 ans et dire «faisons la paix». Si la Casamance marche, je pense que le Sénégal pourra enfin décoller.
Est-ce à dire que les autorités ont été négligentes sur la question ?
Evidemment, il y a un échec. S’il n’y a pas de paix c’est parce que c’est un échec. Mais, je sais que tout le monde a essayé. Et c’est notre devoir à tous d’essayer. Ce que je préconise, c’est un dialogue direct. Toutes les guerres se sont décantées après des dialogues directs entre les protagonistes. Ce n’est pas encore le cas pour la Casamance. Et pourtant, c’est ce qui s’impose pour retrouver la paix. Maintenant, comme je ne suis pas négociateur, encore moins un spécialiste des questions de paix ou de guerre- je suis juste un musicien-, je ne peux faire qu’un plaidoyer pour la paix. Je fais mon devoir d’activiste en allant parler aux populations de cette localité pour dire «je compatis». Il faut tous prier pour la paix, la Casamance doit être un problème national et panafricain qui doit être réglé comme les gens s’activent pour le Darfour, le Nord Mali. On a tous des parents ou des amis là-bas.
Que pensez-vous du nouveau régime de Macky Sall ?
Je ne pense rien de particulier de ce régime. Je le vis comme tous les Sénégalais. Il y a eu alternance, c’est fantastique ! Ils sont à leur 8e ou 9e mois ; ils n’ont qu’à travailler et nous observons. Nous ne sommes pas là pour jeter des fleurs ou donner des notes, mais nous sommes là. De toute façon, chaque fois qu’il faudra prendre des positions, on les prendra et on le leur dira.
Ce régime répond-il à la demande sociale ?
La demande sociale est énorme. Est-ce qu’ils y répondent entièrement ? Je ne pense pas. Cela m’aurait surpris qu’ils y répondent en 9 mois. Le problème, il est gros. Et ce n’est pas en 9 mois qu’on pourra répondre aux attentes d’un pays. Cependant, je pense qu’ils essaient, ils ont réaménagé le gouvernement, peut-être après s’être rendu compte des imites de leurs actions ; tant mieux.
Vous êtes donc satisfait de leur travail ?
Je pense que personne ne peut être satisfait parce que les problèmes sont toujours là. Ils sont en train d’ébaucher des solutions et on espère qu’elles vont porter leurs fruits. Les politiciens gèrent la cité ; les citoyens se battent pour qu’il y ait la paix sociale et un épanouissement, et nous, nous sommes là pour tirer la sonnette d’alarme.
Etes-vous pour ou contre les audits que le gouvernement a entamés ?
Je suis pour les audits parce que s’il n’y a pas de justice, il n’y aura pas de paix. Mais, je suis contre la justice spectacle et là, c’est ce qu’ils sont en train de faire. Et cela enlève toute crédibilité au travail des juges. La justice ne devrait pas être dans les journaux tous les jours bien que je sache que cela intéresse. Il faut qu’il y ait justice, parce que, comme on dit : «No justice, no peace !» Donc, je suis vraiment pour les audits.
Comment trouvez-vous la décision du gouvernement d’octroyer un passeport diplomatique aux conjoints des députés ?
Je ne sais pas ; je n’étais pas au courant. Mais, cela ne me dérange pas. Il y a des gens qui n’avaient rien à voir avec le gouvernement, ni l’Assemblée, qui ont eu des passeports diplomatiques et personne n’en a parlé. Donc, je ne vais pas m’agiter pour des problèmes de passeport diplomatique alors que des gens ont des problèmes pour manger.
Awadi, tout comme le mouvement Y’en a marre, a participé à la chute de l’ancien régime, mais on ne vous voit pas ensemble, pourquoi ?
Le mouvement Y’en a marre, c’est beaucoup d’amis qui se sont associés pour faire leur chose et qui l’ont bien faite. Tous les rappeurs ne sont pas dans Y’en a marre comme vous avez pu le constater. Il faut qu’il y ait beaucoup d’entités et que tout le monde tire dans le même sens, c’est tout. Donc, je soutiens Y’en a marre ; on discute beaucoup et on se soutient également. Je peux dire qu’ils ont fait un bon travail.
Il y a un essai qui vient de sortir intitulé Y’en a marre : radioscopie d’une jeunesse insurgée, êtes-vous d’accord avec ce titre ?
Non, je pense que, comme tous les rappeurs sénégalais, les membres de Y’en a marre font partie de la génération consciente mais pas insurgée. Si je devais proposer un qualificatif ce serait plutôt génération consciente.
Comment avez-vous intégré le comité d’organisation du Fesman ?
Parce qu’on m’a demandé d’y participer.
Qui «on» ?
C’était à l’époque Mame Birame Diouf, ancien ministre de la Culture, ensuite il y a eu l’équipe de Sindiély (Wade) qui m’a demandé de venir.
Vous avez jugé nécessaire d’y participer malgré vos rapports avec le régime…
Il faut faire un distinguo entre le projet culturel et le parti politique. Je n’ai pas participé au parti politique, donc, s’il y a un projet culturel que j’estime être bien pour mon pays, je le fais. Je n’aime pas la politisation du projet culturel et à aucun moment on ne m’a demandé de faire de la politique pour le monsieur ; à aucun moment ils ne m’ont demandé de le rencontrer. On m’a laissé travailler et faire un beau projet culturel. Je pense que tous les rappeurs et tous les chanteurs sénégalais ont participé parce qu’ils ont cru au projet culturel. Maintenant, on n’a demandé à personne de faire l’apologie de Wade. Je déplore le gaspillage qu’il y a eu dans certains postes parce que ce n’est pas pour cela que j’y ai adhéré. J’ai cru au projet culturel que mon pays m’a confié et je l’ai fait.
Si c’était à refaire est-ce que vous le feriez ?
Si demain Macky Sall me confie un projet culturel sérieux et auquel je crois, j’y fonce. Tant qu’il ne me demande pas d’adhérer à son parti ou de chanter ses louanges, je le fait. Et je pense qu’un projet culturel de cette dimension mérite d’exister au Sénégal.
Pour le Fesman, il y a toujours des acteurs qui courent après leurs salaires….
Dont moi.
Ah oui. Et quel est le montant qu’on vous doit ?
Je pense que ce n’est pas très délicat de demander des sommes ; je peux vous dire et l’Ige (Inspection générale d’Etat) peut vous le confirmer. Beaucoup d’autres artistes et moi n’ont pas été payés. Comme je vous le dit le projet culturel était énorme et ambitieux. Maintenant, il faut le dire, la manière de le faire n’a pas été des meilleures.
Avez-vous contesté le projet ?
Je n’ai jamais contesté le projet culturel ; je conteste plutôt les gaspillages et il y en a eu dans certains postes. L’Ige est en train de faire son travail.
Vous attendez-vous à être audité ?
Pourquoi ? J’étais commissaire des cultures urbaines ; mon job, c’était de trouver des artistes, leur faire signer un contrat par le ministre qui les paye. A partir de là, m’auditer sur quoi ?
Est-ce que Awadi pense faire un tube pour Macky Sall ?
Est-ce que vous m’avez déjà entendu faire des tubes pour des gens ?
Vous en avez fait pour contester le régime de Wade…
Je contestais le problème d’une troisième candidature. Si jamais demain, Macky Sall veut se représenter trois fois peut-être qu’on lui fera un morceau. Pour le moment, ce n’est pas encore le cas.
Le département de la Culture a été retiré à Youssou Ndour, quel commentaire en faites-vous ?
Il n’y a pas de commentaire ; on a réajusté. Il faut demander à ceux qui sont à l’intérieur pourquoi ils l’ont enlevé de ce ministère ; moi je ne sais pas.
En tant qu’artiste, vous pouvez avoir un avis…
En tant qu’artiste, il a dit lui-même qu’il va s’épanouir au département du Tourisme, donc, on lui souhaite bonne chance.
Vous êtes artiste comme lui. Est-ce qu’un artiste ne serait pas bien pour diriger ce département ?
Peut-être bien mais, ce n’est pas forcément un artiste. Il faut simplement qu’il y ait l’envie, les capacités, la dimension et la volonté de le faire, c’est tout.
Comment se porte votre business ?
Mon business se porte bien Macha’Allah.
Certains disent que si vous vous engagez sur le plan africain, c’est pour ratisser large ?
Ratisser large dans mon business, ça veut dire ?
C’est-à-dire avoir le maximum d’opportunités dans votre business sur le plan musical ?
Mon business tourne autour de la communication, la production audiovisuelle et l’événementiel. Ma boîte de production est le Studio Sankara. Nous faisons beaucoup de spots publicitaires pour des sociétés de téléphonie. Je réalise aussi des spots de pub radio et audiovisuels pour des entreprises qui font dans l’alimentaire. Mais, ma passion reste la musique. Je suis musicien de profession.
En tant qu’artiste, si tu t’engages dans le panafricanisme, à chaque fois qu’il y a de gros deals intéressants au niveau de l’Etat, on ne fait pas appel à toi, parce que tu déranges. Puisque tu attaques le système en place, on t’obligera à payer des taxes et autres impôts. Si je n’avais pas un busines qui me rend indépendant, je serais mort artistiquement. (Il se répète). J’essaye de me donner les moyens de mon indépendance financière, pour, en fin de compte, avoir une indépendance d’esprit.
Les gens qui ne comprennent rien de ce que je fais vont certainement parler de ce qu’ils ne maîtrisent pas. Je les respecte mais, ils se trompent. Ils ont le droit de dire ce qu’ils veulent. Quand un artiste opte pour l’engagement, c’est très facile de se faire des ennemis. Tu n’as presque pas d’amis.
Il y a beaucoup de pays où j’ai été déclaré persona no grata. J’étais en tournée dans un pays où on m’avait interdit de passer à la radio ou à la télé. Aussi, on m’avait interdit de faire escale dans certains pays. Les autorités de ces pays dont je préfère taire les noms m’avaient traité de grande gueule. Ça fait mal mais, bon… Donc, l’engagement est différent du business. Des gens pensent qu’en optant pour l’engagement, je fais du business en sourdine. Ce n’est pas le cas. Je ne dirais pas que l’engagement panafricain est un sacerdoce mais, presque. Depuis toujours, j’ai subi des pressions et des menaces, au Sénégal et ailleurs dans d’autres pays africains. Parfois à travers un coup de fil, on t’appelle pour des menaces mais cela, n’a jamais été très méchant. Je savais qu’en disant certaines choses, je n’allais pas plaire à tout le monde. Mais, j’avais pris toutes mes dispositions.
Quels sont vos rapports avec Tiken Jah Facoly, qui est lui aussi très engagé ?
Tiken Jah est mon frère. Aujourd’hui, nos relations dépassent la musique. Nous entretenons de très bons rapports. On a les mêmes avis sur beaucoup de questions. Nous menons le même combat sur le plan africain. Dans l’entre-deux tour de l’élection présidentielle en Guinée, nous nous sommes déplacés ensemble pour rencontrer les deux candidats à savoir Seydou Dalein Diallo et Alpha Condé. Il fallait le faire et on l’a fait. C’était une mission qu’on s’est imposée.
Pourquoi Ma révolution comme titre de votre nouvel album ?
J’avais besoin de dire tout ce qui m’inspire, pourquoi je suis dans ce combat, définir pourquoi j’étais activiste. Je trouve que ce titre était une synthèse du travail d’activiste que je fais depuis un certain nombre d’années. Donc, pour moi, c’était le titre qui collait le mieux. A écouter les 17 titres, je pense que ce qui revient, c’est l’esprit de révolution, d’activisme.
Pourquoi Awadi est-il engagé sur le plan panafricain ?
Parce que je crois en l’Afrique ; je ne crois pas à la division de l’Afrique qu’il y a depuis Berlin. Je ne crois pas que les Gambiens soient différents des Sénégalais, que les gens de Bakel soient différents de ceux de Bamako. Donc, je crois en l’Afrique avec toutes ses différences culturelles. Mais qui a besoin d’être un Tout pour faire face à un monde globalisé, au terrorisme, aux puissances qui viennent avec du dumping par rapport à notre économie. C’est un grand ensemble qui pourra défendre l’Afrique. J’ai eu la chance de visiter une quarantaine de pays africains ; nous avons les mêmes aspirations, les mêmes problèmes et surtout la même solution qui est l’unité avec laquelle on peut avoir un passeport unique, un gouvernement unique pour défendre nos intérêts. On a l’impression qu’il n’y a que l’Afrique qui ne défend pas ses intérêts parce qu’elle est divisée et certaines puissances entretiennent cette division et ces cloisonnements alors que c’est quand on est unique que l’on est plus fort. Quand les Africains ont parlé d’une même voix contre les Ape (Accords de partenariat économique), l’Union européenne a pu reculer. Je pense que c’est à nous de montrer ce type d’exemple pour qu’à chaque fois qu’il y a des attaques sur le Continent, qu’on puisse faire face. C’est parce que la Cedeao se met ensemble avec les puissances étrangères que ceux qui sont au Nord Mali commencent à négocier. Pour moi, il n’y a que l’unité pour nous faire sortir de la crise généralisée.
Certains vous reprochent d’être beaucoup plus panafricain que patriote ? Qu’en pensez-vous ?
Ils ont le droit de penser ce qu’ils veulent. Je travaille pour mon pays, pour l’Afrique, pour ma famille. Selon qu’on soit d’un côté ou d’un autre, on va penser que je suis panafricain et non patriote. Je sais ce que je fais et voilà. Ce n’est pas parce qu’on est panafricaniste qu’on n’est pas Africain. Je ne comprends pas. Quand on est panafricaniste, cela veut dire qu’on se bat pour l’Afrique et qu’on ne travaille pas seulement pour un pays mais, pour tous les pays. Et c’est ce qui est important. Pour moi, cela n’a pas de sens de dire que telle personne est un panafricain et non patriote, peut-être qu’ils n’ont pas compris le sens du mot patriotisme ou panafricanisme.
Et le combat citoyen dans tout cela…
C’est ce que je fais depuis le début de ma carrière et cela se traduit avec des associations, des Ong. Sur le terrain par rapport à la société, à mon quartier. Le combat citoyen est à tous les moments de ma carrière. Et je pense que c’est ce à quoi on m’identifie le plus, ce que je fais le plus dans ma vie, ce que j’ai décidé de faire. Même la musique participe dans ce combat citoyen, de même que les films que je fais. Pour moi, je ne fais que de l’activisme.
Comment vous expliquez votre amour pour Thomas Sankara ?
Sankara est mon modèle, mon modèle à penser. La famille Sankara m’a fait le privilège de m’adopter parce que, pendant longtemps, elle entendait parler de moi sans me connaître. Une fois à Ouagadougou, ils sont venus me voir et au fur et à mesure j’ai pu connaître toute la famille. Chaque fois qu’ils viennent à Dakar, ils passent me voir. Et en retour, à chaque fois que je vais à Ouagadougou, je n’hésite pas à aller les voir. Je pense que c’est une famille qui est très digne et qui réclame toujours justice pour Thomas Sankara.
Pourquoi avoir attendu votre 5e album pour faire part de vos origines casamançaises ?
Je n’ai pas besoin de montrer mon appartenance. J’en parle aujourd’hui parce que l’occasion se présente. J’en parle parce que 30 ans c’est trop. Je pense que la question qu’on devrait se poser, c’est : «Pourquoi tout le monde n’en parle pas ?» En tant qu’artiste, on le fait parce que l’inspiration est là.
Avez-vous prévu quelque chose pour que cette région retrouve la paix ?
Je n’ai pas attendu ; j’ai fait plein d’actions et je n’ai pas besoin de faire du tapage pour ça. Je viens de faire une chanson et un clip là-bas. Mais, je compte faire une tournée un peu comme a fait Balla Gaye. Je pense qu’il a montré l’exemple et je m’en inspire sans complexe parce que, comme je dis, 30 ans que les gens n’investissent plus dans cette région, 30 ans de stress, de pleurs, de souffrance, c’est trop ! Pour l’itinéraire, je vais commencer par Bignona, Oussouye, Kolda et Sédhiou. Je compte le faire entre janvier et février si on arrive à réunir les partenaires nécessaires pour en faire des concerts gratuits. Le but, c’est de dénoncer ces 30 ans et dire «faisons la paix». Si la Casamance marche, je pense que le Sénégal pourra enfin décoller.
Est-ce à dire que les autorités ont été négligentes sur la question ?
Evidemment, il y a un échec. S’il n’y a pas de paix c’est parce que c’est un échec. Mais, je sais que tout le monde a essayé. Et c’est notre devoir à tous d’essayer. Ce que je préconise, c’est un dialogue direct. Toutes les guerres se sont décantées après des dialogues directs entre les protagonistes. Ce n’est pas encore le cas pour la Casamance. Et pourtant, c’est ce qui s’impose pour retrouver la paix. Maintenant, comme je ne suis pas négociateur, encore moins un spécialiste des questions de paix ou de guerre- je suis juste un musicien-, je ne peux faire qu’un plaidoyer pour la paix. Je fais mon devoir d’activiste en allant parler aux populations de cette localité pour dire «je compatis». Il faut tous prier pour la paix, la Casamance doit être un problème national et panafricain qui doit être réglé comme les gens s’activent pour le Darfour, le Nord Mali. On a tous des parents ou des amis là-bas.
Que pensez-vous du nouveau régime de Macky Sall ?
Je ne pense rien de particulier de ce régime. Je le vis comme tous les Sénégalais. Il y a eu alternance, c’est fantastique ! Ils sont à leur 8e ou 9e mois ; ils n’ont qu’à travailler et nous observons. Nous ne sommes pas là pour jeter des fleurs ou donner des notes, mais nous sommes là. De toute façon, chaque fois qu’il faudra prendre des positions, on les prendra et on le leur dira.
Ce régime répond-il à la demande sociale ?
La demande sociale est énorme. Est-ce qu’ils y répondent entièrement ? Je ne pense pas. Cela m’aurait surpris qu’ils y répondent en 9 mois. Le problème, il est gros. Et ce n’est pas en 9 mois qu’on pourra répondre aux attentes d’un pays. Cependant, je pense qu’ils essaient, ils ont réaménagé le gouvernement, peut-être après s’être rendu compte des imites de leurs actions ; tant mieux.
Vous êtes donc satisfait de leur travail ?
Je pense que personne ne peut être satisfait parce que les problèmes sont toujours là. Ils sont en train d’ébaucher des solutions et on espère qu’elles vont porter leurs fruits. Les politiciens gèrent la cité ; les citoyens se battent pour qu’il y ait la paix sociale et un épanouissement, et nous, nous sommes là pour tirer la sonnette d’alarme.
Etes-vous pour ou contre les audits que le gouvernement a entamés ?
Je suis pour les audits parce que s’il n’y a pas de justice, il n’y aura pas de paix. Mais, je suis contre la justice spectacle et là, c’est ce qu’ils sont en train de faire. Et cela enlève toute crédibilité au travail des juges. La justice ne devrait pas être dans les journaux tous les jours bien que je sache que cela intéresse. Il faut qu’il y ait justice, parce que, comme on dit : «No justice, no peace !» Donc, je suis vraiment pour les audits.
Comment trouvez-vous la décision du gouvernement d’octroyer un passeport diplomatique aux conjoints des députés ?
Je ne sais pas ; je n’étais pas au courant. Mais, cela ne me dérange pas. Il y a des gens qui n’avaient rien à voir avec le gouvernement, ni l’Assemblée, qui ont eu des passeports diplomatiques et personne n’en a parlé. Donc, je ne vais pas m’agiter pour des problèmes de passeport diplomatique alors que des gens ont des problèmes pour manger.
Awadi, tout comme le mouvement Y’en a marre, a participé à la chute de l’ancien régime, mais on ne vous voit pas ensemble, pourquoi ?
Le mouvement Y’en a marre, c’est beaucoup d’amis qui se sont associés pour faire leur chose et qui l’ont bien faite. Tous les rappeurs ne sont pas dans Y’en a marre comme vous avez pu le constater. Il faut qu’il y ait beaucoup d’entités et que tout le monde tire dans le même sens, c’est tout. Donc, je soutiens Y’en a marre ; on discute beaucoup et on se soutient également. Je peux dire qu’ils ont fait un bon travail.
Il y a un essai qui vient de sortir intitulé Y’en a marre : radioscopie d’une jeunesse insurgée, êtes-vous d’accord avec ce titre ?
Non, je pense que, comme tous les rappeurs sénégalais, les membres de Y’en a marre font partie de la génération consciente mais pas insurgée. Si je devais proposer un qualificatif ce serait plutôt génération consciente.
Comment avez-vous intégré le comité d’organisation du Fesman ?
Parce qu’on m’a demandé d’y participer.
Qui «on» ?
C’était à l’époque Mame Birame Diouf, ancien ministre de la Culture, ensuite il y a eu l’équipe de Sindiély (Wade) qui m’a demandé de venir.
Vous avez jugé nécessaire d’y participer malgré vos rapports avec le régime…
Il faut faire un distinguo entre le projet culturel et le parti politique. Je n’ai pas participé au parti politique, donc, s’il y a un projet culturel que j’estime être bien pour mon pays, je le fais. Je n’aime pas la politisation du projet culturel et à aucun moment on ne m’a demandé de faire de la politique pour le monsieur ; à aucun moment ils ne m’ont demandé de le rencontrer. On m’a laissé travailler et faire un beau projet culturel. Je pense que tous les rappeurs et tous les chanteurs sénégalais ont participé parce qu’ils ont cru au projet culturel. Maintenant, on n’a demandé à personne de faire l’apologie de Wade. Je déplore le gaspillage qu’il y a eu dans certains postes parce que ce n’est pas pour cela que j’y ai adhéré. J’ai cru au projet culturel que mon pays m’a confié et je l’ai fait.
Si c’était à refaire est-ce que vous le feriez ?
Si demain Macky Sall me confie un projet culturel sérieux et auquel je crois, j’y fonce. Tant qu’il ne me demande pas d’adhérer à son parti ou de chanter ses louanges, je le fait. Et je pense qu’un projet culturel de cette dimension mérite d’exister au Sénégal.
Pour le Fesman, il y a toujours des acteurs qui courent après leurs salaires….
Dont moi.
Ah oui. Et quel est le montant qu’on vous doit ?
Je pense que ce n’est pas très délicat de demander des sommes ; je peux vous dire et l’Ige (Inspection générale d’Etat) peut vous le confirmer. Beaucoup d’autres artistes et moi n’ont pas été payés. Comme je vous le dit le projet culturel était énorme et ambitieux. Maintenant, il faut le dire, la manière de le faire n’a pas été des meilleures.
Avez-vous contesté le projet ?
Je n’ai jamais contesté le projet culturel ; je conteste plutôt les gaspillages et il y en a eu dans certains postes. L’Ige est en train de faire son travail.
Vous attendez-vous à être audité ?
Pourquoi ? J’étais commissaire des cultures urbaines ; mon job, c’était de trouver des artistes, leur faire signer un contrat par le ministre qui les paye. A partir de là, m’auditer sur quoi ?
Est-ce que Awadi pense faire un tube pour Macky Sall ?
Est-ce que vous m’avez déjà entendu faire des tubes pour des gens ?
Vous en avez fait pour contester le régime de Wade…
Je contestais le problème d’une troisième candidature. Si jamais demain, Macky Sall veut se représenter trois fois peut-être qu’on lui fera un morceau. Pour le moment, ce n’est pas encore le cas.
Le département de la Culture a été retiré à Youssou Ndour, quel commentaire en faites-vous ?
Il n’y a pas de commentaire ; on a réajusté. Il faut demander à ceux qui sont à l’intérieur pourquoi ils l’ont enlevé de ce ministère ; moi je ne sais pas.
En tant qu’artiste, vous pouvez avoir un avis…
En tant qu’artiste, il a dit lui-même qu’il va s’épanouir au département du Tourisme, donc, on lui souhaite bonne chance.
Vous êtes artiste comme lui. Est-ce qu’un artiste ne serait pas bien pour diriger ce département ?
Peut-être bien mais, ce n’est pas forcément un artiste. Il faut simplement qu’il y ait l’envie, les capacités, la dimension et la volonté de le faire, c’est tout.
Comment se porte votre business ?
Mon business se porte bien Macha’Allah.
Certains disent que si vous vous engagez sur le plan africain, c’est pour ratisser large ?
Ratisser large dans mon business, ça veut dire ?
C’est-à-dire avoir le maximum d’opportunités dans votre business sur le plan musical ?
Mon business tourne autour de la communication, la production audiovisuelle et l’événementiel. Ma boîte de production est le Studio Sankara. Nous faisons beaucoup de spots publicitaires pour des sociétés de téléphonie. Je réalise aussi des spots de pub radio et audiovisuels pour des entreprises qui font dans l’alimentaire. Mais, ma passion reste la musique. Je suis musicien de profession.
En tant qu’artiste, si tu t’engages dans le panafricanisme, à chaque fois qu’il y a de gros deals intéressants au niveau de l’Etat, on ne fait pas appel à toi, parce que tu déranges. Puisque tu attaques le système en place, on t’obligera à payer des taxes et autres impôts. Si je n’avais pas un busines qui me rend indépendant, je serais mort artistiquement. (Il se répète). J’essaye de me donner les moyens de mon indépendance financière, pour, en fin de compte, avoir une indépendance d’esprit.
Les gens qui ne comprennent rien de ce que je fais vont certainement parler de ce qu’ils ne maîtrisent pas. Je les respecte mais, ils se trompent. Ils ont le droit de dire ce qu’ils veulent. Quand un artiste opte pour l’engagement, c’est très facile de se faire des ennemis. Tu n’as presque pas d’amis.
Il y a beaucoup de pays où j’ai été déclaré persona no grata. J’étais en tournée dans un pays où on m’avait interdit de passer à la radio ou à la télé. Aussi, on m’avait interdit de faire escale dans certains pays. Les autorités de ces pays dont je préfère taire les noms m’avaient traité de grande gueule. Ça fait mal mais, bon… Donc, l’engagement est différent du business. Des gens pensent qu’en optant pour l’engagement, je fais du business en sourdine. Ce n’est pas le cas. Je ne dirais pas que l’engagement panafricain est un sacerdoce mais, presque. Depuis toujours, j’ai subi des pressions et des menaces, au Sénégal et ailleurs dans d’autres pays africains. Parfois à travers un coup de fil, on t’appelle pour des menaces mais cela, n’a jamais été très méchant. Je savais qu’en disant certaines choses, je n’allais pas plaire à tout le monde. Mais, j’avais pris toutes mes dispositions.
Quels sont vos rapports avec Tiken Jah Facoly, qui est lui aussi très engagé ?
Tiken Jah est mon frère. Aujourd’hui, nos relations dépassent la musique. Nous entretenons de très bons rapports. On a les mêmes avis sur beaucoup de questions. Nous menons le même combat sur le plan africain. Dans l’entre-deux tour de l’élection présidentielle en Guinée, nous nous sommes déplacés ensemble pour rencontrer les deux candidats à savoir Seydou Dalein Diallo et Alpha Condé. Il fallait le faire et on l’a fait. C’était une mission qu’on s’est imposée.