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EMIGRATION CLANDESTINE: Le calvaire des épouses des absents et disparus

Au nombre de 6648, les disparus ou absents préposés à l’émigration clandestine maintiennent leurs épouses dans des liens du mariage pouvant conduire à des drames. Le poids des traditions aidant, ces dernières vivent le calvaire de la séparation avec un lot d’angoisses : la grossesse, l’entretien, l’éducation des enfants et le problème d’un éventuel remariage, entre autres.
Sud Quotidien est allé à la rencontre de ces braves «veuves de la mer» qui se battent de toutes leurs forces pour s’en sortir, refusant de sombrer dans la fatalité ou la prostitution.


EMIGRATION CLANDESTINE: Le calvaire des épouses des absents et disparus
Ville rendue célèbre par le massacre des tirailleurs de la deuxième guerre mondiale qui revendiquaient leurs droits à la France, Thiaroye traverse un autre drame : celui de l’émigration clandestine. Ville de pêcheurs par excellence, cette ville de banlieue a perdu une bonne partie de sa jeunesse dans les eaux profondes de l’océan atlantique.

Selon les statistiques du département de l’intérieur d’Espagne, 31678 clandestins ont atteint les côtes ibériques via la mer, celle année là. C’est le plus gros chiffre observable sur les onze années de tentative pour rejoindre l’Europe par la voie maritime.

Mais jusque là, ce sont les morts, les disparus et la détresse des veuves, des orphelins, des parents qui sont mis en exergue. Quid des épouses qui refusent de faire le deuil ? Elles continuent de vivre avec l’espoir qu’un miracle pourrait ramener leurs maris.  Un scénario improbable auquel s’ajoute le poids de la tradition qui les contraint dans les liens de mariage.

«On nous a simplement dit que leur pirogue a chaviré et qu’il serait mort». Cette phrase, Mame Bator, ne cesse de la rabibocher. Cette jeune fille de 35 ans croit encore au miracle. Son mari ayant décidé d’affronter les vagues de l’océan atlantique, via le fameux «Mbeuk mi» (pirogue), depuis 2006, n’a plus donné signe de vie. Elle vit avec ce cauchemar et l’ espoir de retrouver le père de ses quatre bouts de bois de Dieu. Femme au foyer, Mame Bator est désormais obligée de se battre pour nourrir sa famille et veiller à l’éducation de ses enfants. Elle s’essaie entre le ménage à faire dans certains foyers et la vente de poissons et légumes.

Des Mame Bator, il en existe beaucoup. Surtout à Thiaroye, une des villes sénégalaises les plus touchées par le phénomène «Mbeuk Mi». Alioune Ndiaye, un jeune qui a été refoulé après avoir passé 13 jours en mer, témoigne : «En 2006, il n’y a pas eu de navétanes à Thiaroye parce que tout simplement, il n’y avait plus de jeunes. Tout le monde était parti. Personnellement, ma maman avait fini de faire le deuil. Mais, quand je l’ai appelé pour lui dire que je suis en vie, elle a failli mourir de joie».

Rarissime, ce cas de figure contraint plusieurs femmes à rester dans les liens du mariage. Aïssatou Ly est en une.  Lasse d’entendre un mari qui pendant six longues années n’avait pas donné signe de vie, elle décide alors de refaire sa vie. La suite fut pathétique ! Deux mois après avoir contracté un nouveau mariage, son désormais ex-mari est rentré à Dakar en provenance d’Espagne, raconte-t-elle. Le vin était tiré, il fallait le boire. Même si, assure son papa : « Je suis peut-être fautif mais je voulais du bien à ma fille. Elle est jeune. Elle est née en 1980 et déjà elle a deux enfants : une fille et un garçon».

Kiné Mbaye a failli subir le même sort. Tombée amoureuse de Abdourahmane Niang, elle avait un projet de mariage avec son copain qui rêvait d’un Eldorado. Il escomptait ainsi pouvoir se donner les moyens de fêter son union futur avec Kiné qui était l’objet de beaucoup de convoitises. «Sa beauté », témoigne Fatou Ndoye Niang, maman de Abdourahmane, «  ne laisse aucun jeune du quartier indifférent».

Malheureusement, il ne reviendra pas de son voyage. «Au début, la fille était désemparée. Elle a refusé plusieurs avances de garçons dans l’espoir d’un probable retour de son Abdourahmane. Mais, avec la pression familiale, elle a fini par céder et se marier. Elle a eu un enfant et elle est présentement en état de grossesse», confie Fatou Ndoye née Mme Niang. Non sans préciser que le choc était terrible : «Mon fils est peut-être mort, mais le mariage de sa copine a été terriblement ressenti. C’est égoïste, mais, je voyais mon fils à travers cette fille. D’ailleurs, notre relation a été rompue depuis qu’elle s’est mariée».

A côté de ces jeunes femmes, d’autres éprouvent d’énormes difficultés à se remarier. Et pour cause ! «Les enfants constituent un frein. Vous pouvez sortir avec un homme, mais dés qu’il s’agit de mariage, il s’éclipse parce que la plupart des hommes sénégalais ne sont pas souvent prêts à entretenir des enfants qui ne sont pas les leurs», explique Daba Niang. Elle dit avoir perdu deux fils dans l’émigration clandestine.

Le premier, Youssou, avait deux épouses. La première et la seconde ont eu respectivement cinq et deux enfants.
Quant au second, El Hadji, son épouse Daba, est mère d’un garçon de trois ans.

«Mes ex-belles filles ne sont plus dans les liens de mariage. Elles ont regagné leurs familles parce que cela fait plus de sept ans que leurs maris sont partis sans donner signe de vie. On nous a fait savoir que leur pirogue a chaviré. Mais elles ont du mal à se remarier à cause de leurs enfants. C’est une lourde charge», confie Daba Niang.

Un argument qui n’agrée pas sa copine qui a assisté à l’entrevue. «C’est du n’importe quoi ! Si elles ne sont pas encore remariées, c’est parce que leurs courtisans ne les aiment pas. Quand on aime une femme, on doit aussi s’efforcer d’aimer ses enfants», plaide-t-elle sans convaincre l’assistance qui le lui fait savoir par une bronca.

Une autre dame, Houlimata Niang, met l’accent sur les problèmes psychiques que sa belle-fille a traversés après la disparition de son mari. «J’avais cinq garçons. Ils ont tous pris la pirogue pour se rendre en Espagne.

Malheureusement, un seul est arrivé à bon port. Les quatre autres sont restés dans l’océan», confie-t-elle, la gorge pleine d’émotion.

par Abdoulaye THIAM

Sud Quotidien



Lundi 1 Octobre 2012 - 11:33





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