Éducation, instruction et civisme : pourquoi en sommes-nous là !
Si tu n'aimes pas tes enfants, fais-leur la vie facile, disait Robert Heinlein.
L’hypocrisie est-elle la maîtresse absolue du tissu social de notre pays? Le mensonge est-il devenu une habitude des plus banales entre nous et chez nous ? Trahir son pays et les intérêts supérieurs de son pays, de sa race et de ses proches (politiques surtout) est-il à la mode ?
Le Sénégal de la morale, de l’éthique et de la bonne séance s’est-il effondré ? En tout cas, il est devenu tout d’un coup si bizarre : les gens ont beaucoup changé ; ils sont devenus bigrement faux, insouciants, calculateurs, délateurs, nihilistes, contestataires, frondeurs, comploteurs et aigris ... Et j'en passe !
Je sais seulement que chacun d’entre nous, dans son discours quotidien (et des plus mielleux), clame souvent une assertion tout proche de celle-ci : « je déteste les gens faux, l’injustice, l’insubordination, la rébellion, l’effronterie, le mensonge, la trahison et la prévarication ». Que nenni !
Je me demande souvent si la sincérité et le respect existent encore de nos jours dans nos relations interindividuels, dans nos relations avec l’autorité, dans nos relations avec l’Etat, avec la République et avec la Nation. ...Bref, où est le vrai du faux dans notre verbe et dans notre geste de tous les jours ? Pourquoi le Sénégal flétrit-il ainsi de jour en jour ?
Le Président de la République, devant ce spectacle désolant à plus d’un égard, depuis un certain temps, nous invite maintenant à la culture du civisme et à l’amour des symboles de la Nation. Un vœu pieux ? Cela pourrait y ressembler si, chacun d’entre nous, ne fait pas une prompte et responsable introspection salutaire du cours de sa vie. Le problème serait-il d’ordre culturel ? En tout cas, la langue de Kocc Barma que nous pratiquons presque tous, a déjà livré son verdict : « ku wàjj sa and, beneen boo toog mu toj ».
Je prends ici le risque de définir la Culture comme l'ensemble des croyances, connaissances, rites, valeurs inaliénables et comportements d'une société donnée. Ainsi, le terme de culture va plus avec l’ensemble des productions non matérielles mais existentielles et essentielles dans la marche d’une société. Et c’est à ce niveau que nous continuons de faillir. Nos enfants s’identifient plus en Tupac qu’en Lat Dior ou les Glorieuses femmes de Nder. Presque tous, nous permettons à nos enfants ce que nos pères ne nous ont pas permis ; nous disons à nos enfants ce que nos pères ne nous ont pas dit ; nous offrons à nos enfants ce que nos pères ne nous ont pas offert ; nous les encourageons et félicitons là où nos pères nous réservaient une belle fessée. Nos enfants restent une exclusivité pour nous seuls : ils sont rois ; on pense servir leur bien en leur évitant toute contrainte, toute punition, toute privation. Alors, leur niveau d'éducation laisse à désirer. Nous cherchons continuellement à les soustraire des souffrances que nous avons eu à surmonter. Pense-t-on ainsi les mettre à l'abri des aléas de la vie ou cherche –t-on seulement à gagner leur amitié ? Ne soyons pas surpris alors que leur éducation s’arrête forcément à la seule aire du apprendre à apprendre.
Apprendre à apprendre à défier l’autorité ; apprendre à apprendre à copier des anti-valeurs et des anti-modèles ; apprendre à apprendre à contester sans raison ; apprendre à apprendre à réclamer des droits illimités et nouveaux en occultant des devoirs cruciaux ; apprendre à apprendre à jouir des libertés consacrées et qui sans limites impassibles (le défendu, l’illicite et la sanction coercitive) font verser dans le libertinage etc. Progressivement, ils (nos enfants) nous ont fait démissionner de nos responsabilités : la cellule familiale ferme les yeux (l’autorité parentale s’est atrophiée), la société se bouche les oreilles et le nez (la rue devenant une jungle pesteuse et pestiférée) et les institutions crées à cet égard (écoles et madersas) se limitent à l’instruction et au contenu d’enseignements amorphes et insipides. Combien de fois avons-nous entendu des enseignants raconter de navrantes anecdotes à propos de parents venus les menacer en représailles aux mesures disciplinaires adoptées pour forcer certains élèves à coopérer ? On demande aux enseignants d'instruire mais on leur interdit d'éduquer. Pourtant un homme instruit n’est pas forcément un homme éduqué. Ajoutons que celui qui n’est pas bien éduqué ne peut pas être cultivé. A titre illustratif, combien de jeunes adultes, à l'âge de vingt ans, ne savent-ils pas se présenter correctement au téléphone, face aux biens publics et face aux affaires du privé ? On ne sait même plus comment aborder un étranger, une personne âgée, un nécessiteux, une autorité convenablement dans la rue, dans un lieu public ou privé ? La volupté, comme une fleur rare, demande les soins de la culture la plus ingénieuse nous dit Honoré de Balzac. La culture, c'est avant tout une unité de style qui se manifeste dans toutes les activités d'une nation. On ne peut pas se faire, on ne peut rien faire de durable en dehors des voluptés de notre culture propre. Et c’est à ce niveau que l’on pêche en eaux troubles. « Gaañi : gone xamul Yalla, yar la xam » !
Certes, nous avons offert une bonne instruction ou presque à nos enfants mais nous ne voulons pas savoir comment la faire passer correctement sans une bonne éducation qui est la base nécessaire pour amener l'étudiant à adopter l'attitude convenable pour accueillir celle-ci ? C'est comme essayer de remplir le réservoir troué d’un bolide fou avec de l'essence gratuite. Chers compatriotes, l'instruction peut toujours s'acquérir plus tard (jàng du wees) ; mais peut-on rééduquer un enfant gâté (bant du wow, dees u ko jubbanteeti) ? Peut-on lui (à cet enfant gâté) parler de civisme et de patriotisme sans penser au paysan qui demande un rendement acceptable à un lopin de terre mis sous jachère pendant tout l’hivernage ? Oui, ce n’est pas le champ proprement dit qui nourrit mais plutôt la culture de ce dit champ. Bref, un homme sans culture ressemble à un zèbre sans rayures.
Les défenseurs des droits des enfants des trois dernières décades ont tôt fait de nous convaincre et de nous culpabiliser sur d'éventuels traumatismes en bas âge. Pour éviter toute faute, nous les (nos enfants) avons surprotégés. Ces défenseurs peuvent-ils maintenant répondre à ma question : comment rééduquer de vieux enfants gâtés sans stigmatiser leur amour propre ? La prison ou les centres de redressement ? La belle boutade de Shakespeare ne leur va-t-elle maintenant (au vu du désastre causé) comme un gang : « si faire était aussi aisé que de savoir ce qu'il est bon de faire, les chapelles seraient des églises, et les chaumières des pauvres gens des palais de princes. Le bon prédicateur est celui qui suit ses propres instructions. Il m'est plus aisé d'apprendre à vingt personnes ce qu'il est bon de faire, que d'être l'une des vingt à suivre mes propres leçons » ?
Je peux bien me tromper mais ma conviction est déjà faite : un peuple ne peut harmonieusement se développer sans puiser tous les fondamentaux de sa démarche dans les voluptés de sa propre culture. Le Brésil, la Chine et les jeunes Dragons de l’Asie du Sud-Est ont donné le ton. La révolution culturelle est une impérieuse obligation : « ku xamul foo jëm, dellu fa gna jogge » ! L’ethos négre dominant dans nombres de nos sociétés africaines, valorise l’autorité, la hiérarchie, la subordination des droits et des intérêts individuels à l’autorité, l’importance du consensus, le refus du conflit, la crainte de « perdre la face » et, de façon générale, la suprématie de l’Etat sur la société et de la société sur l’individu. En outre, les Africains (que nous resteront, il faut s’y résoudre) ont tendance à penser l’évolution de leur société en siècles et en millénaires, et à donner la priorité aux gains à long terme. Ces attitudes contrastent avec la primauté, dans les convictions occidentales (que nous copions les yeux fermés), accordée à la liberté, à l’égalité, à la démocratie et à l’individualisme, ainsi qu’avec la propension américaine (notre nouvelle référence) à se méfier du gouvernement, à s’opposer à l’autorité, à favoriser les contrôles et les équilibres, à encourager la compétition, à sanctifier les droits de l’homme, à oublier le passé ( parce qu’elle n’en a pas depuis l’anéantissement de la civilisation des indiens autochtones), à ignorer l’avenir et à se concentrer sur les gains immédiats.
Nous ne pouvons pas d’un coup devenir multiculturalistes* en occultant l'héritage culturel spécifique de notre pays. Depuis l’indépendance, notre système éducatif, nos lois et nos tendances sociétales travaillent sans le savoir à créer un pays aux civilisations multiples éparses et contradictoires (négre, occidentale, universelle), c'est à dire un pays n'appartenant à aucune civilisation et dépourvu d'unité et d’approche culturelles. L'histoire nous apprend qu'aucun État ainsi constitué n'a jamais perduré en tant que société cohérente. De telles sociétés, ont toujours accouché de monstres (Nazis Allemands, mégalomanes et dictateurs sanguinaires en Amérique Latine et en Asie). Cela nous guettent : la violence qui traverse notre tissu social est des plus alarmants et chacun de nous en parle mais personne ne lève le plus petit doigt.
Des cinq dimensions (physique, d’intelligence, temporelle, sociologique et culturelle) de l’homme socialisé*, le progrès et le développement, pour rester harmonieux et bénéfiques, ne s’articulent que sur les deux dernières citées : la dimension sociologique qui lui confère des normes et des lois spécifiques et inaliénables et la dimension culturelle qui le fait asseoir sur un confortable matelas fait d’un langage usuel pour ses besoins, d’éthique et d’archétypes de comportements globaux qui lui éclairent le chemin emprunté.
Chers compatriotes, méditons ensemble sur cette assertion de Maurice Chapelan : « Instruction : des pierres dans un sac. Culture : une graine dans un pot. Si grand le sac et nombreuses les pierres, rien n'y pousse. Si modeste la graine et petit le pot, cela germe, croît et fleurit. Et c'est parce que les esprits sont ou des sacs ou des pots, qu'il arrive qu'on rencontre plus de culture chez un cordonnier de village que sous la toque d'un professeur en Sorbonne ».
Oui, il ne s’agit pas de tout savoir, de tout faire comme les autres le savent ou le font mais plutôt de savoir, de faire par nous-mêmes et pour nous-mêmes. Et c’est en ce moment seulement que nous pourrons, solidement ancrées sur nos valeurs propres, visiter le jardin de nos voisins pour y cueillir les fruits qui peuvent nous enrichir !
Amadou Fall Enseignant à GUINGUINEO
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