États-Unis : le sexe envahit la campagne

Les primaires républicaines ont donné lieu à une surenchère de propositions visant à limiter la contraception. Un débat surréaliste.


En France, on cause beaucoup de viande halal. Aux Etats-Unis, ce sont les organes génitaux de la femme qui agitent la campagne présidentielle. Les républicains ne parlent plus que de vagin, de contraception, d'échographie, d'avortement... Et à les entendre, on croirait presque qu'ils veulent rétablir le port de la ceinture de chasteté !

Le débat a été déclenché il y a quelques semaines par Barack Obama. L'administration américaine a annoncé que les hôpitaux, les écoles et les universités affiliés à une organisation religieuse devaient fournir à leurs employés (qui ne sont pas tous croyants et membres d'une église) une assurance santé qui couvre les frais de contraception. Ce qui a provoqué la colère des dirigeants catholiques, notamment, qui estiment que cette mesure va à l'encontre de leur conscience. L'administration a fait machine arrière et accepté un compromis. Ce sera donc aux assureurs, et pas aux employeurs, d'assumer la prise en charge des frais.

Les républicains se sont aussitôt emparés de l'affaire, clamant que c'était une atteinte à la liberté religieuse. Ils ont transposé la bataille au Sénat en essayant de faire voter un amendement qui aurait permis à tout employeur de refuser de payer le remboursement des frais de contraception au nom de principes moraux.
"Licence" Rush Limbaugh, un animateur de talk-show conservateur, a rajouté de l'huile sur le feu. Dans son émission de radio écoutée par plus de 14 millions d'Américains, il a traité Sarah Fluke, une étudiante qui venait témoigner au Congrès sur les coûts de la contraception, de "salope" et de "prostituée". "Si nous payons pour votre contraception et donc pour vos ébats sexuels, on veut quelque chose en échange. On veut que vous postiez des vidéos en ligne, comme ça on pourra tous regarder", a-t-il déclaré.

Courageusement, Mitt Romney, le favori à l'investiture républicaine, n'a pas pris part au débat, se contentant de dire : "Ce n'est pas le langage que j'aurais utilisé." En revanche, Rick Santorum, un catholique pur et dur père de sept enfants, a, lui, sauté sur l'occasion : "Beaucoup de chrétiens disent la contraception, c'est OK. Ce n'est pas OK. C'est une licence pour faire des choses dans le domaine sexuel qui sont contraires à ce que les choses sont censées être." Il est aussi contre l'amniocentèse, l'avortement, les femmes qui travaillent...

On croit rêver. Que la contraception soit devenue l'enjeu des élections de 2012, alors que le pays traverse une très grave crise économique et que plus de 8 % de la population est au chômage, apparaît totalement ahurissant. C'est d'autant plus délirant que les républicains sont les premiers à crier contre l'État Big Brother qui, disent-ils, s'immisce constamment dans la vie privée par ses lois et ses réglementations contraignantes.
"Une guerre contre les femmes" Mais les conservateurs ont mal calculé leur coup. Car leur croisade anti-contraception s'est retournée contre eux. Même dans leur propre camp, il y a eu des protestations. "On se croirait revenue à une autre ère", a déclaré la sénatrice Olympia Snowe. Une enseignante à la retraite confiait au New York Times : Si les candidats républicains " se mettent à décider des questions de sexualité féminine, je ne vais voter pour aucun d'entre eux. C'est un sujet qui ne concerne que nous".

Électoralement, l'attaque contre la pilule semble la dernière des idioties. D'abord parce que les sondages montrent que 99 % des femmes qui ont une vie sexuelle ont utilisé à un moment un produit contraceptif, ce qui fait passer les républicains pour une bande de vieux schnocks rétrogrades et puritains. Ensuite parce que cela a fait remonter la cote de popularité de Barack Obama auprès de l'électorat féminin. Du coup, Romney et Santorum essaient de calmer le jeu. Mais les démocrates, trop contents, ne lâchent pas le morceau. Ils les accusent de mener "une guerre contre les femmes".

La vraie bataille, pourtant, se situe au niveau des États où de plus en plus de lois grignotent les droits de la femme. En Arizona, un projet de loi autorise tout employeur à refuser de payer les frais de contraception si c'est contraire à ses opinions religieuses. Plus choquant, si une salariée veut se faire rembourser la pilule, elle doit prouver à son employeur qu'elle la prend pour des raisons médicales, comme l'acné et non pas pour éviter une grossesse.
Égalité Mais c'est surtout à l'égard de l'avortement que les lois se durcissent. The Guttmacher Institute estime qu'environ 430 projets de loi anti-avortement ont été déposés cette année au niveau local, à peu près autant qu'en 2011. L'an dernier, 83 de ces mesures sont devenues des lois, plus du triple de 2010. Cela est dû principalement aux élections législatives de 2010 et à l'arrivée d'élus républicains très à droite. Dans le Dakota du Sud, où un seul médecin pratique des avortements, l'État a voulu imposer, l'an dernier, un délai de 72 heures et l'obligation pour la femme de se rendre dans un centre anti-avortement pour entendre un exposé. Une demande qui a été déboutée.

Le Mississippi essaie de fermer sa seule et unique clinique où les femmes peuvent avorter. Sept États obligent les femmes qui veulent avorter à subir avant une échographie. La Virginie, le mois dernier, a voulu aller plus loin en imposant une échographie transvaginale, ce qui a suscité moult protestations. Un des élus défenseur du projet a reçu d'hilarants messages sur sa page Facebook. "Puisque ma santé vous intéresse autant, je voulais vous prévenir que je me sens très chaude ces jours-ci parce que je suis en période d'ovulation. Mais ne vous inquiétez pas, je ne vais pas me laisser aller à des relations hétérosexuelles dangereuses dont pourrait découler une grossesse. Parce que je suis une vraie grosse lesbienne velue", dit l'une d'elles. "Je voulais vous demander conseil sur une éventuelle mycose. Je n'ai pas les moyens de m'offrir une assurance maladie malgré mes trois boulots. Donc, puisque vous êtes si au courant du corps féminin, je pensais que vous auriez peut-être quelques remèdes", écrit une autre. Le gouverneur a reculé et autorisé seulement une échographie externe.

Pour rétablir un peu l'égalité des sexes, une sénatrice de l'Ohio a introduit un projet de loi obligeant les hommes à se soumettre à une évaluation psychologique avant de pouvoir acheter du Viagra.

Le Point

Bamba Toure

Jeudi 22 Mars 2012 14:01

Dans la même rubrique :