Dix ans après la victoire du Sénégal sur la France (1-0) en match d’ouverture du Mondial asiatique, en regardant dans le rétroviseur, quels sont les souvenirs qui vous reviennent ?
Je dirais, la liesse populaire qu’il y avait après cet exploit. Cette sensation que le Sénégal était sur le toit du monde. Vous me dites dix ans déjà. On ne s’en rend pas compte. Le temps passe vite. Ce sont des moments de bonheur qu’on a ressentis, même si on n’était pas au Sénégal. On a vu les images. On a vu le bonheur qu’on a procuré à tout un Peuple. Ce sont ces moments de liesse, de bonheur, de joie qu’on ne peut pas acheter, comme on dit, qui me reviennent.
Est-ce le moment qui vous a le plus marqué dans votre vie ?
En tant que sportif, en tant qu’homme aussi, ça nous ouvre les yeux, ça nous éduque quelque part et cela nous montre à quel point le football peut être un vecteur social, de rapprochement. C’est vrai que cette joie qu’on peut lire sur le visage des gens, de tout un Peuple, c’est quelque chose d’énorme.
Qu’est-ce qui peut amener un joueur à vivre ce genre de moments uniques dans la carrière d’un sportif ou d’un homme ?
C’est dans la vie de tout le monde. Quand on a la chance, sur douze millions de Sénégalais, de faire parti des onze ou quinze joueurs choisis pour représenter tout un Peuple, ce n’est pas une mince affaire. C’est une histoire de gagne. C’est l’élite. On a cet esprit de gagneur, d’aller de l’avant, cet esprit guerrier, patriotique. C’est cela qui nous motive et qui nous procure une joie. Je dirais qu’on est des missionnaires du Peuple. C’est un honneur qui n’est pas donné à tout le monde. Comme on dit, il faut travailler dur pour mériter cet honneur. Une fois que ton Peuple a confiance en toi, que toute la Nation est derrière toi et qu’on prenne le drapeau national et te le confie, c’est une responsabilité énorme.
On devient une autre personne en quelque sorte ?
Evidemment ! En club, on peut gagner une Coupe d’Europe, c’est bien. Mais avec l’Equipe nationale, c’est tout autre. C’est un autre niveau. Il faut tous les qualificatifs: mental, moral, psychologique. C’est le devoir. C’est l’extrême.
Pour revenir sur ce match d’ouverture contre la France. Quel a été le discours du coach, à l’époque Bruno Metsu, avant la rencontre ?
Vous savez, il y avait une très grosse motivation. On était à la Coupe du monde. En dehors du fait qu’on était là pour représenter notre Nation, il y a eu des choses qui se sont passées la veille, comme l’affaire Kali (Fadiga) (il avait dérobé un collier en Or dans un magasin au Japon). Tout le monde en parlait, à la veille du match, alors que l’histoire est partie d’un délire de jeunesse, sur des paris alors qu’on était là pour déconner. C’était de l’inconscience, comme on dit. Et la seule façon de taire cette histoire que certaines personnes ont utilisée pour déstabiliser le groupe, c’était de nous remobiliser. On s’est dit que c’était une motivation supplémentaire pour gagner ce match. Ça nous a dopés quoi. Il y a même certains qui pensaient que Kali ne devait pas jouer. Au contraire, on lui a dit qu’il fallait qu’il soit là. On était une famille et qu’on allait être là pour lui. Et finalement, il a été l’un des acteurs du match.
Cela aurait pu quand même déstabiliser le groupe ?
Non, pas du tout. Je pense que cela a été un mal pour un bien. Ça nous a donné cette motivation supplémentaire. On a vu un ami qui a été traîné par terre par toute la presse mondiale. Même au Sénégal. Apparemment, les gens racontaient tout et n’importe quoi. On était les acteurs. On sait ce qui s’est passé. Il fallait donc réussir cette mission qu’on nous avait confiée.
Avez-vous douté avant de fouler la pelouse ou à un moment donné du match d’ouverture ?
Non du tout ! On n’a jamais douté. Vous savez, il y a des choses qui se passent dans une vie, qui s’alignent d’une certaine façon, tellement parfaite que ça ne peut que bien se terminer. Quand il y a eu le tirage et qu’en match d’ouverture d’une Coupe du monde c’est le Sénégal qui doit jouer, cela n’arrive pas tout le temps. Surtout pour une première participation. Encore, on tombe sur la France qui est l’ancienne colonie. Alors là, je me suis dit que tout cela c’est tellement beau pour qu’on arrive sur le terrain et perdre ce match. C’est vrai que l’Equipe de France était vue comme la détentrice de la Coupe d’Europe, la grande équipe française, mais pour nous, c’était un match contre des amis, d’anciens partenaires, en centre de formation, en club pour d’autres. Personnellement, il y en avait cinq ou six qui étaient avec moi au centre de formation de Monaco, d’autres, c’étaient des amis personnels comme Patrick Vieira, Thierry Henry, Trezeguet… On ne les a jamais regardés autrement.
A quel moment du match avez-vous senti que la victoire était en poche ?
Dans un match de foot, on ne peut jamais dire que la victoire est acquise. Mais on était très confiants, motivés. J’étais tout à l’heure à la Rts (l’entretien a eu lieu ce mardi), j’ai eu la chance de revoir les images du match, alors que je n’avais pas eu l’occasion de revoir un seul match de la Coupe du monde. Mais là, on voyait que plus le match avançait, plus l’équipe était entreprenante. Même si au début, on était sur un système où on défendait très bas et on partait en contre-attaque, jusqu’à ce qu’on marque le but. C’est vrai qu’après, quand on voit la deuxième mi-temps, cela ne nous a pas empêché de pousser, de prendre par moment le jeu en main, d’aller encore plus à l’avant. Cela montre qu’on était vraiment en confiance et que ce n’était pas, comme certains le disaient, de la chance. Cette victoire nous a mis dans une position où il fallait assumer.
Une victoire contre la France en match d’ouverture d’une Coupe du monde, aurait pu vous donner la grosse tête. Comment avez-vous su gérer ce moment historique ?
Exactement ! Sur ce plan-là, je pense que le coach a su bien jouer sur le côté psychologique en disant : «Les gars, vous avez battu la France. C’est quelque chose. Maintenant, les gens pensent que c’est un faux pas de la France ou que c’est de la chance. Si vous voulez que les gens vous prennent vraiment au sérieux, il faudra confirmer.»
C’était comment dans les vestiaires à la fin du match ?
Il y avait un moment de folie entre joueurs. Il y avait cette ambiance, mais sans plus. En fait, on ne se rendait pas compte de ce qu’on venait de réaliser. C’est avec le recul qu’on se rend compte que c’était quelque chose de grandiose.
Y a-t-il eu des effets néfastes sur le second match contre le Danemark où il fallait confirmer ?
Il y a eu un impact. Mais c’était plutôt positif. On était face à nos responsabilités, comme j’ai dit après la victoire contre la France. Il fallait confirmer ce résultat en répondant présent.
Sur le plan personnel, ce fut un match spécial pour vous avec ce superbe but d’école qui vous permet d’égaliser…
(Sourire) J’avais été à Lausanne récemment et j’ai constaté que le but était au Musée. Il y a beaucoup d’éducateurs ou même des instructeurs de la Fifa qui le prennent en exemple lors de leurs travaux pour montrer la parfaite contre-attaque. C’est vrai que dans ce but, il y a une histoire. En regardant ce but, on lit la solidarité qu’il y avait dans ce groupe. Avec le recul, en analysant ce but, on sent un groupe très soudé, costaud et qui partageait tout. Ce but, c’est clair que c’est l’un des plus beaux souvenirs de ma carrière. Je l’ai marqué pour ma Nation. Je suis un patriote. Ce but, je ne l’échangerai même pas pour une coupe de Champion League (Ligue des champions) ou autre chose.
Comment expliquez-vous la cassure qu’il y a eu ensuite lors du dernier match de poule contre l’Uruguay et puis l’élimination en quart contre la Turquie ?
On était pourtant dans une bonne dynamique. Mais pour une Nation comme le Sénégal, ce n’était pas évident. Ensuite, il y a eu un autre facteur que les gens ne prennent pas trop en compte, c’est qu’on s’est retrouvés dans une situation qui nous était toute nouvelle. C’est dans ce genre d’événements qu’on apprend énormément. Que ce soit les dirigeants, les joueurs, tout le monde. On pense souvent qu’une phase finale de Coupe du monde, c’est court. Ce n’est pas le cas, elle est longue. Dans une compétition, il y a des détails à gérer sur le plan mental, psychologique… On est restés un mois durant en préparation. Ensuite, il y a la pression. Que ce soit au niveau de la presse, de tout le lobbying, tout le monde voulait s’approcher des Sénégalais. Donc, le succès vient avec une pression qui peut être négative. Je trouve que c’est sur le plan psychologique et mental que ça a été dur. Surtout lors du dernier match. D’ailleurs, les 48 heures avant le dernier match contre la Turquie ont été lourdes pour les joueurs.
Pourtant, c’était le moment où le monde espérait voir le Sénégal atteindre le palier des demi-finales…
Effectivement ! Mais, c’est là où il y a eu plus de pression sur le groupe. Lors des matches de groupe, on était tranquille. Il n’y avait aucun problème, une bonne ambiance. On était toujours dans une chambre en train de boire du thé. On était insouciants. On ne voyait pas la ferveur qu’il y avait autour. Quand on est passés en quart de final, ça a pris une autre tournure et cela a été négatif pour le groupe. Malheu-reusement, il y a eu beaucoup de non-dits comme cela se passe au Sénégal. On a entendu toutes sortes de rumeurs sur le comportement des joueurs du genre qu’on ne dormait pas, qu’on ne récupérait pas. Et cela n’a pas aidé. Je me souviens d’ailleurs que le match contre la Turquie, c’est le seul qu’on a préparé d’une façon spéciale pour faire, comme on dit, plaisir à des autorités. Le Président (de la République à l’époque Abdoulaye Wade) avait même envoyé un monsieur (….) pour soi-disant remettre de l’ordre dans le groupe. Cela nous a coûté cher sur le plan mental et psychologique.
Certains ont pourtant évoqué l’absence de fraîcheur physique…
(Il coupe) Non (il insiste) ! Vous savez, la fatigue, c’est dans la tête. On a bien géré les matchs de poule. Maintenant, c’est clair qu’il y a toujours une petite fatigue physique, mais la fatigue mentale et psychologique est plus lourde. Quand la tête lâche, le corps ne suit pas.
Juste après le Mondial, il n’y a pas eu de retombées pour ce groupe, à l’exception de certains comme vous ou encore El Hadj Diouf, qui ont réussi à signer dans de grands clubs. Comment expliquez-vous cela ?
Personnellement, j’ai signé à Liverpool avant d’aller à la Coupe du monde, alors que j’étais à Sedan. J’avais le choix aussi d’aller à Arsenal. Je me souviens à l’époque, il y avait Patrick Vieira (ancien international français). Le club ne pouvait pas nous avoir tous les deux. Ils pensaient le revendre et me faire signer. Alors que moi, je voulais aller à la Coupe du monde l’esprit tranquille. Et Liverpool a accepté.
Pensez-vous que les autres aient manqué de chance ou subi l’inexpérience de leurs agents ?
Ce n’est pas aussi simple. Ce n’est pas parce qu’on est bon joueur qu’on signe automatiquement dans un grand club. Il y a plusieurs facteurs qui entrent en jeu. Quand le Real s’intéresse à un joueur, il n’est pas forcément l’option finale. Le profil peut les intéresser. Mais derrière, il y a toujours trois à quatre autres joueurs comme alternative. C’est évident qu’il y avait beaucoup de joueurs que les grands clubs avaient sur le radar, mais il n’y avait pas que le Sénégal au Mondial. Il y avait aussi le Brésil, l’Allemagne… Il y a la chance aussi. On n’avait peut être pas aussi les gens qui auraient pu nous ouvrir les portes. Mais comme on dit, c’est le joueur qui fait l’agent.
Dix ans après, êtes-vous toujours en contact avec le reste du groupe ?
Oui (Il insiste) ! Même si ce n’est pas tous les jours. Il y en a par contre que j’ai perdu de vue. C’est le milieu du foot qui est ainsi fait. On n’est pas tous dans le même coin de la planète. Pour ceux qui sont en Angleterre, on se croise souvent lors des matchs. On s’envoie des Sms. Il y en a aussi qui sont au Sénégal. On échange. Mais comme on le sait, dans tout groupe, il y a des affinités. Personnellement, c’était avec Ferdi (Coly), Kali (Fadiga), Aliou (Cissé), Henri (Camara), Tony (Sylva)…
On ne voit pas votre génération, celle de 2002, organiser des matchs de gala ou des retrouvailles comme le font d’anciens joueurs comme ceux de France 98. Pourquoi ?
C’est difficile ! On est éparpillés un peu partout dans le monde. Il y a le manque de temps. On en a discuté à plusieurs reprises. On pense pouvoir organiser quelque chose très prochainement. Ce n’est pas évident. C’est plus facile pour les membres de la génération France 98 qui ont quasiment tous arrêté et qui vivent en France. Une fois qu’on sera de retour au Sénégal, on organisera quelque chose.
Vous êtes proche de la retraite. Malheureusement, ce groupe n’a pas gagné quelque chose avec la sélection. Avez-vous des regrets ?
(Désolé) Je ne dirais pas de regrets. On peut tout nous reprocher, mais pas de n’avoir pas défendu dignement les couleurs de la patrie. Le reste, c’est Dieu. Je suis satisfait de mon parcours. Même s’il y a ce petit pincement au cœur d’avoir été à deux doigts de gagner la Coupe d’Afrique (en 2002, finale perdue aux tirs au but devant le Cameroun). Mais, ce n’est la faute de personne. Ainsi va la vie
Je dirais, la liesse populaire qu’il y avait après cet exploit. Cette sensation que le Sénégal était sur le toit du monde. Vous me dites dix ans déjà. On ne s’en rend pas compte. Le temps passe vite. Ce sont des moments de bonheur qu’on a ressentis, même si on n’était pas au Sénégal. On a vu les images. On a vu le bonheur qu’on a procuré à tout un Peuple. Ce sont ces moments de liesse, de bonheur, de joie qu’on ne peut pas acheter, comme on dit, qui me reviennent.
Est-ce le moment qui vous a le plus marqué dans votre vie ?
En tant que sportif, en tant qu’homme aussi, ça nous ouvre les yeux, ça nous éduque quelque part et cela nous montre à quel point le football peut être un vecteur social, de rapprochement. C’est vrai que cette joie qu’on peut lire sur le visage des gens, de tout un Peuple, c’est quelque chose d’énorme.
Qu’est-ce qui peut amener un joueur à vivre ce genre de moments uniques dans la carrière d’un sportif ou d’un homme ?
C’est dans la vie de tout le monde. Quand on a la chance, sur douze millions de Sénégalais, de faire parti des onze ou quinze joueurs choisis pour représenter tout un Peuple, ce n’est pas une mince affaire. C’est une histoire de gagne. C’est l’élite. On a cet esprit de gagneur, d’aller de l’avant, cet esprit guerrier, patriotique. C’est cela qui nous motive et qui nous procure une joie. Je dirais qu’on est des missionnaires du Peuple. C’est un honneur qui n’est pas donné à tout le monde. Comme on dit, il faut travailler dur pour mériter cet honneur. Une fois que ton Peuple a confiance en toi, que toute la Nation est derrière toi et qu’on prenne le drapeau national et te le confie, c’est une responsabilité énorme.
On devient une autre personne en quelque sorte ?
Evidemment ! En club, on peut gagner une Coupe d’Europe, c’est bien. Mais avec l’Equipe nationale, c’est tout autre. C’est un autre niveau. Il faut tous les qualificatifs: mental, moral, psychologique. C’est le devoir. C’est l’extrême.
Pour revenir sur ce match d’ouverture contre la France. Quel a été le discours du coach, à l’époque Bruno Metsu, avant la rencontre ?
Vous savez, il y avait une très grosse motivation. On était à la Coupe du monde. En dehors du fait qu’on était là pour représenter notre Nation, il y a eu des choses qui se sont passées la veille, comme l’affaire Kali (Fadiga) (il avait dérobé un collier en Or dans un magasin au Japon). Tout le monde en parlait, à la veille du match, alors que l’histoire est partie d’un délire de jeunesse, sur des paris alors qu’on était là pour déconner. C’était de l’inconscience, comme on dit. Et la seule façon de taire cette histoire que certaines personnes ont utilisée pour déstabiliser le groupe, c’était de nous remobiliser. On s’est dit que c’était une motivation supplémentaire pour gagner ce match. Ça nous a dopés quoi. Il y a même certains qui pensaient que Kali ne devait pas jouer. Au contraire, on lui a dit qu’il fallait qu’il soit là. On était une famille et qu’on allait être là pour lui. Et finalement, il a été l’un des acteurs du match.
Cela aurait pu quand même déstabiliser le groupe ?
Non, pas du tout. Je pense que cela a été un mal pour un bien. Ça nous a donné cette motivation supplémentaire. On a vu un ami qui a été traîné par terre par toute la presse mondiale. Même au Sénégal. Apparemment, les gens racontaient tout et n’importe quoi. On était les acteurs. On sait ce qui s’est passé. Il fallait donc réussir cette mission qu’on nous avait confiée.
Avez-vous douté avant de fouler la pelouse ou à un moment donné du match d’ouverture ?
Non du tout ! On n’a jamais douté. Vous savez, il y a des choses qui se passent dans une vie, qui s’alignent d’une certaine façon, tellement parfaite que ça ne peut que bien se terminer. Quand il y a eu le tirage et qu’en match d’ouverture d’une Coupe du monde c’est le Sénégal qui doit jouer, cela n’arrive pas tout le temps. Surtout pour une première participation. Encore, on tombe sur la France qui est l’ancienne colonie. Alors là, je me suis dit que tout cela c’est tellement beau pour qu’on arrive sur le terrain et perdre ce match. C’est vrai que l’Equipe de France était vue comme la détentrice de la Coupe d’Europe, la grande équipe française, mais pour nous, c’était un match contre des amis, d’anciens partenaires, en centre de formation, en club pour d’autres. Personnellement, il y en avait cinq ou six qui étaient avec moi au centre de formation de Monaco, d’autres, c’étaient des amis personnels comme Patrick Vieira, Thierry Henry, Trezeguet… On ne les a jamais regardés autrement.
A quel moment du match avez-vous senti que la victoire était en poche ?
Dans un match de foot, on ne peut jamais dire que la victoire est acquise. Mais on était très confiants, motivés. J’étais tout à l’heure à la Rts (l’entretien a eu lieu ce mardi), j’ai eu la chance de revoir les images du match, alors que je n’avais pas eu l’occasion de revoir un seul match de la Coupe du monde. Mais là, on voyait que plus le match avançait, plus l’équipe était entreprenante. Même si au début, on était sur un système où on défendait très bas et on partait en contre-attaque, jusqu’à ce qu’on marque le but. C’est vrai qu’après, quand on voit la deuxième mi-temps, cela ne nous a pas empêché de pousser, de prendre par moment le jeu en main, d’aller encore plus à l’avant. Cela montre qu’on était vraiment en confiance et que ce n’était pas, comme certains le disaient, de la chance. Cette victoire nous a mis dans une position où il fallait assumer.
Une victoire contre la France en match d’ouverture d’une Coupe du monde, aurait pu vous donner la grosse tête. Comment avez-vous su gérer ce moment historique ?
Exactement ! Sur ce plan-là, je pense que le coach a su bien jouer sur le côté psychologique en disant : «Les gars, vous avez battu la France. C’est quelque chose. Maintenant, les gens pensent que c’est un faux pas de la France ou que c’est de la chance. Si vous voulez que les gens vous prennent vraiment au sérieux, il faudra confirmer.»
C’était comment dans les vestiaires à la fin du match ?
Il y avait un moment de folie entre joueurs. Il y avait cette ambiance, mais sans plus. En fait, on ne se rendait pas compte de ce qu’on venait de réaliser. C’est avec le recul qu’on se rend compte que c’était quelque chose de grandiose.
Y a-t-il eu des effets néfastes sur le second match contre le Danemark où il fallait confirmer ?
Il y a eu un impact. Mais c’était plutôt positif. On était face à nos responsabilités, comme j’ai dit après la victoire contre la France. Il fallait confirmer ce résultat en répondant présent.
Sur le plan personnel, ce fut un match spécial pour vous avec ce superbe but d’école qui vous permet d’égaliser…
(Sourire) J’avais été à Lausanne récemment et j’ai constaté que le but était au Musée. Il y a beaucoup d’éducateurs ou même des instructeurs de la Fifa qui le prennent en exemple lors de leurs travaux pour montrer la parfaite contre-attaque. C’est vrai que dans ce but, il y a une histoire. En regardant ce but, on lit la solidarité qu’il y avait dans ce groupe. Avec le recul, en analysant ce but, on sent un groupe très soudé, costaud et qui partageait tout. Ce but, c’est clair que c’est l’un des plus beaux souvenirs de ma carrière. Je l’ai marqué pour ma Nation. Je suis un patriote. Ce but, je ne l’échangerai même pas pour une coupe de Champion League (Ligue des champions) ou autre chose.
Comment expliquez-vous la cassure qu’il y a eu ensuite lors du dernier match de poule contre l’Uruguay et puis l’élimination en quart contre la Turquie ?
On était pourtant dans une bonne dynamique. Mais pour une Nation comme le Sénégal, ce n’était pas évident. Ensuite, il y a eu un autre facteur que les gens ne prennent pas trop en compte, c’est qu’on s’est retrouvés dans une situation qui nous était toute nouvelle. C’est dans ce genre d’événements qu’on apprend énormément. Que ce soit les dirigeants, les joueurs, tout le monde. On pense souvent qu’une phase finale de Coupe du monde, c’est court. Ce n’est pas le cas, elle est longue. Dans une compétition, il y a des détails à gérer sur le plan mental, psychologique… On est restés un mois durant en préparation. Ensuite, il y a la pression. Que ce soit au niveau de la presse, de tout le lobbying, tout le monde voulait s’approcher des Sénégalais. Donc, le succès vient avec une pression qui peut être négative. Je trouve que c’est sur le plan psychologique et mental que ça a été dur. Surtout lors du dernier match. D’ailleurs, les 48 heures avant le dernier match contre la Turquie ont été lourdes pour les joueurs.
Pourtant, c’était le moment où le monde espérait voir le Sénégal atteindre le palier des demi-finales…
Effectivement ! Mais, c’est là où il y a eu plus de pression sur le groupe. Lors des matches de groupe, on était tranquille. Il n’y avait aucun problème, une bonne ambiance. On était toujours dans une chambre en train de boire du thé. On était insouciants. On ne voyait pas la ferveur qu’il y avait autour. Quand on est passés en quart de final, ça a pris une autre tournure et cela a été négatif pour le groupe. Malheu-reusement, il y a eu beaucoup de non-dits comme cela se passe au Sénégal. On a entendu toutes sortes de rumeurs sur le comportement des joueurs du genre qu’on ne dormait pas, qu’on ne récupérait pas. Et cela n’a pas aidé. Je me souviens d’ailleurs que le match contre la Turquie, c’est le seul qu’on a préparé d’une façon spéciale pour faire, comme on dit, plaisir à des autorités. Le Président (de la République à l’époque Abdoulaye Wade) avait même envoyé un monsieur (….) pour soi-disant remettre de l’ordre dans le groupe. Cela nous a coûté cher sur le plan mental et psychologique.
Certains ont pourtant évoqué l’absence de fraîcheur physique…
(Il coupe) Non (il insiste) ! Vous savez, la fatigue, c’est dans la tête. On a bien géré les matchs de poule. Maintenant, c’est clair qu’il y a toujours une petite fatigue physique, mais la fatigue mentale et psychologique est plus lourde. Quand la tête lâche, le corps ne suit pas.
Juste après le Mondial, il n’y a pas eu de retombées pour ce groupe, à l’exception de certains comme vous ou encore El Hadj Diouf, qui ont réussi à signer dans de grands clubs. Comment expliquez-vous cela ?
Personnellement, j’ai signé à Liverpool avant d’aller à la Coupe du monde, alors que j’étais à Sedan. J’avais le choix aussi d’aller à Arsenal. Je me souviens à l’époque, il y avait Patrick Vieira (ancien international français). Le club ne pouvait pas nous avoir tous les deux. Ils pensaient le revendre et me faire signer. Alors que moi, je voulais aller à la Coupe du monde l’esprit tranquille. Et Liverpool a accepté.
Pensez-vous que les autres aient manqué de chance ou subi l’inexpérience de leurs agents ?
Ce n’est pas aussi simple. Ce n’est pas parce qu’on est bon joueur qu’on signe automatiquement dans un grand club. Il y a plusieurs facteurs qui entrent en jeu. Quand le Real s’intéresse à un joueur, il n’est pas forcément l’option finale. Le profil peut les intéresser. Mais derrière, il y a toujours trois à quatre autres joueurs comme alternative. C’est évident qu’il y avait beaucoup de joueurs que les grands clubs avaient sur le radar, mais il n’y avait pas que le Sénégal au Mondial. Il y avait aussi le Brésil, l’Allemagne… Il y a la chance aussi. On n’avait peut être pas aussi les gens qui auraient pu nous ouvrir les portes. Mais comme on dit, c’est le joueur qui fait l’agent.
Dix ans après, êtes-vous toujours en contact avec le reste du groupe ?
Oui (Il insiste) ! Même si ce n’est pas tous les jours. Il y en a par contre que j’ai perdu de vue. C’est le milieu du foot qui est ainsi fait. On n’est pas tous dans le même coin de la planète. Pour ceux qui sont en Angleterre, on se croise souvent lors des matchs. On s’envoie des Sms. Il y en a aussi qui sont au Sénégal. On échange. Mais comme on le sait, dans tout groupe, il y a des affinités. Personnellement, c’était avec Ferdi (Coly), Kali (Fadiga), Aliou (Cissé), Henri (Camara), Tony (Sylva)…
On ne voit pas votre génération, celle de 2002, organiser des matchs de gala ou des retrouvailles comme le font d’anciens joueurs comme ceux de France 98. Pourquoi ?
C’est difficile ! On est éparpillés un peu partout dans le monde. Il y a le manque de temps. On en a discuté à plusieurs reprises. On pense pouvoir organiser quelque chose très prochainement. Ce n’est pas évident. C’est plus facile pour les membres de la génération France 98 qui ont quasiment tous arrêté et qui vivent en France. Une fois qu’on sera de retour au Sénégal, on organisera quelque chose.
Vous êtes proche de la retraite. Malheureusement, ce groupe n’a pas gagné quelque chose avec la sélection. Avez-vous des regrets ?
(Désolé) Je ne dirais pas de regrets. On peut tout nous reprocher, mais pas de n’avoir pas défendu dignement les couleurs de la patrie. Le reste, c’est Dieu. Je suis satisfait de mon parcours. Même s’il y a ce petit pincement au cœur d’avoir été à deux doigts de gagner la Coupe d’Afrique (en 2002, finale perdue aux tirs au but devant le Cameroun). Mais, ce n’est la faute de personne. Ainsi va la vie