Consacrées depuis le Moyen Age en Europe, les franchises universitaires sont, de nos jours, le
concept qui garantit à l'universitaire la liberté :
• de produire du savoir et de le diffuser même si cela heurte l'idéologie ou les
orientations du régime politique au pouvoir ;
• de soumettre à une diatribe quotidienne le Président de la République et son régime, et
de voir celui-ci le promouvoir, par décret, au grade d'enseignant de rang magistral, dès
que ses pairs universitaires le proposent ;
• d'évaluer ses étudiants sans discrimination liée à leur rang social ou à leur origine
ethnique.
Cette belle trouvaille de l'Humanité lui a permis de libérer les esprits afin de faire éclore et
d'exploiter les savoirs non apparents, qui nécessitent de la recherche, aussi bien pour ce qui
concerne la nature que la société humaine.
Cependant, il est malheureux de constater que depuis quelques mois, les franchises
universitaires deviennent un concept fourre-tout, dans notre pays. Ce dévoiement de concept
se manifeste, notamment, à travers deux slogans « Il faut que les forces de l'ordre sortent du
campus », « L'orientation des bacheliers est du ressort des universités ». En tant
qu'universitaires, dont le métier est la production et la transmission de savoirs, nous ne
pouvons pas nous limiter à crier ces slogans urbi et orbi, emportant une partie de la population
dans ce concert sans approfondir la réflexion sur le sujet.
En ce qui concerne la présence des forces de l'ordre sur le campus de l'UCAD ou des autres
universités, il importe de partir d'un principe fondamental : il n'y a pas une seule parcelle du
territoire sénégalais où l'Etat n'a pas le devoir et le droit de veiller à l'intégrité physique des
sénégalais et des étrangers qui vivent parmi nous, ainsi qu'à la préservation de leurs biens et
de ceux de l'Etat. D’ailleurs, la constitution du Sénégal en son article 7 est on ne peut plus
éloquent à ce sujet. Elle dit ceci « La personne humaine est sacrée. Elle est inviolable. L’État
a l’obligation de la respecter et de la protéger. Tout individu a droit à la vie, à la liberté, à la
sécurité, au libre développement de sa personnalité, à l’intégrité corporelle notamment à la
protection contre toutes mutilations physiques… » Or, le malheureux constat qui s’impose à
nous aujourd’hui est que l’université sénégalaise n’a pas encore réussi, par ses mécanismes
internes, à juguler la violence. Nous assistons régulièrement à des agressions physiques ou
morales au sein de la communauté universitaire de la part et au détriment de toutes ses
composantes, à savoir les étudiants, les enseignants-chercheurs et les personnels
administratifs.
Afin de mieux appréhender la profondeur du mal, je voudrais inviter les membres de la
communauté universitaire, et tous ceux qui s’intéressent à la bonne marche de l’enseignement
supérieur au Sénégal, à lire les procès verbaux des assemblées de faculté de la FST, de la
FLSH et de la FSJP, des mois d’avril et août 2012, où la décision a été prise de suspendre les
amicales d’étudiants de ces facultés. Si la violence estudiantine est au centre des débats c’est
parce qu’elle est plus spectaculaire vu qu’elle met en péril les infrastructures et l’intégrité
physique d’autres membres de la communauté. Toutefois, la violence au sein de nos
universités est multiforme et généralisée, en ce sens qu’à côté de la violence physique, il y a
celle insidieuse, morale et qui peut provenir de toutes les composantes de la communauté
universitaire. C’est pour cette raison qu’il ne me semble pas prudent pour un usager des campus universitaires, de quelque bord qu’il soit, d’appeler au bannissement de la présence
des forces de l’ordre sur le campus. Chacun de nous pourrait, un jour, avoir besoin de leurs
services.
Partant de ce constat, nul n’a besoin de ratiociner sur la question. L’Etat doit se donner les
moyens de maintenir l’ordre dans nos universités. Le cadre réglementaire étant déjà établi à
travers la Loi N° 94-79 relative aux franchises et libertés universitaires. A mon sens, la
question est de définir le type de formation spécifique qu’il faudrait fournir aux policiers qui
seront appelés à exercer dans l’enceinte de nos universités pour éviter certaines dérives que
nous avons connues du fait des forces de l’ordre. Les Etats-Unis l’ont si bien compris qu’il
n’est pas rare de voir la police intégrée comme structure de l’université. A titre d’exemple, on
y trouve des services du genre Ohio University Police Department, University of Texas Police
Department, Stanford University Department of Public Safety, etc. Il importe de noter, et
éventuellement de s’inspirer de ce qu’il arrive que, ces organes composés de policiers
assermentés, emploient des étudiants dans leur mission de sécurisation des campus.
L’autre question sur laquelle beaucoup se trompent est le rôle que l’Etat devrait jouer dans
l’orientation des bacheliers. A ce sujet, il faut impérativement que chaque partie s’en tienne à
ses compétences et prérogatives.
Tout le monde s’accorde sur le fait que c’est l’Etat qui définit la politique de l’emploi. Or, qui
définit la politique de l’emploi, définit la politique de la formation. Par ailleurs, l’Etat est
l’entité qui, par excellence, est censée détenir tous les statistiques et autres renseignements
concernant l’emploi et la formation. A titre illustratif, l’Etat du Sénégal, à travers la SCA
(stratégie de croissance accélérée) estime le besoin de l’économie sénégalaise en personnels
qualifiés, à l’horizon 2015, à six cent quarante mille (640 000) emplois répartis en cinq
grappes : Tourisme, Industries culturelles et Artisanat (125 000) ; Agriculture et Agroindustrie (75 000) ; TIC et Télé-services (240 000) ; Textile-Habillement-Artisanat (150
000) ; Produits de la Mer et Aquaculture (50 000). Il est donc normal que l’Etat se donne les
moyens d’agir, non seulement sur les effectifs à orienter dans les différentes filières de
formations des établissements d’enseignement publics, mais aussi sur la création de nouvelles
filières. Une fois que la commande publique est faite, en matière de création de filières de
formation et d’effectifs à former pour les besoins de l’économie nationale, il revient aux
établissements d’enseignement de définir les modalités d’accès à ces formations, d’en faire le
montage pédagogique, et d’évaluer les moyens matériels, financiers et humains nécessaires
pour la formation de ressources humaines de qualité.
Je voudrais conclure en rappelant à la communauté universitaire et aux Sénégalais en
général, que nous avons une belle démocratie, où la liberté d’expression et de circulation
transcende les régimes politiques. Que l’impétuosité dans le verbe, la violence dans le geste
n’ont jamais développé une nation. Bien au contraire. Que nous devrions nous retrouver tous
autour d’une table pour trouver le moyen de repousser définitivement la violence hors de nos
campus.
Cependant, ce projet ne peut prospérer que lorsque chacun de nous saura s’oublier, oublier
l’ « adversaire », pour mettre l’intérêt de la Nation et seulement cela au cœur de ses
préoccupations.
Professeur Abdou SENE
Enseignant-chercheur à l’UGB
Directeur de l’Enseignement supérieur privé