«Toutes les guerres sont des erreurs», confie le général australien Peter Cosgrove, qui dirigeait les forces australiennes en Irak en 2003. «Dans le cas de l'Irak, ajoute le Suédois Hans Blix, il y a eu une tentative de la part de certains pays d'éradiquer des armes de destruction massive qui n'existaient pas». Hans Blix sait de quoi il parle. Il dirigeait à l'époque la commission de l'ONU chargée de rechercher la présence d'armes de destruction massive en Irak.
L'invasion, le 20 mars 2003, de l'Irak par la coalition menée par les États-Unis fut en effet une immense partie de poker menteur qui se solda par plusieurs centaines de milliers de morts. Dix ans plus tard, le bilan fait honte à une bonne partie des Américains eux-mêmes. L'Irak est loin, très loin, d'être cette démocratie rêvée par George W. Bush et ses éminences grises, ces néoconservateurs qui se refusent toujours à lever le voile sur les coulisses de ce conflit: le vice-président Dick Cheney, le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld ou bien son secrétaire adjoint Paul Wolfowitz…
L'«Axe du Mal»
Saddam Hussein était-il impliqué dans les attentats du World Trade Center (11 septembre 2001)? C'est la question posée dès le lendemain des attaques par George W. Bush à ses subordonnés. Un rapport des services de celle qui est alors conseillère pour les questions de sécurité, Condoleezza Rice, assure que non: il n'y a aucun lien entre l'Irak et al-Qaida. N'empêche, les spéculations vont bon train. James Woolsey, qui dirige alors la CIA, évoque un «mariage très fructueux entre Saddam Hussein et Ben Laden». Le ministre de la Défense italien Antonio Martino se risque à aller encore plus loin. Selon Martino, Oussama Ben Laden pourrait n'être qu'un simple exécutant d'un État voyou… Ainsi va naître «l'Axe du mal», un remake de «l'Empire du mal» de Ronald Reagan. En 2002, le vice-président américain Dick Cheney entreprend une tournée diplomatique, où il martèle que Saddam «développe des armes de destruction massive». Il rencontre notamment le premier ministre britannique Tony Blair qui se rallie sans peine à ce scénario au point, quelques mois plus tard, de présenter un rapport de 55 pages démontrant que l'Irak développe non seulement des armes chimiques et bactériologiques, mais aussi des armes nucléaires qui pourraient être opérationnelles d'ici un à cinq ans…
Une «tache» dans la carrière de Colin Powell
Devant le Conseil de sécurité de l'ONU, Hans Blix et Mohamed ElBaradei, à la tête des inspecteurs de l'ONU, indiquent pourtant n'avoir trouvé aucune preuve de ces allégations. La France de Jacques Chirac appelle à la prudence. Le 5 février 2003, le prestigieux Colin Powell, alors secrétaire d'État, tente de convaincre le Conseil de sécurité des Nations-Unies de la «légitimité» d'une intervention militaire. Il s'appuie sur des photos satellitaires, des écoutes téléphoniques et agite une fiole supposée contenir de l'anthrax. Il insiste: «Chacune des déclarations que je fais aujourd'hui s'appuie sur des sources solides». Mais tout est «bidon» et le général Powell le regrettera amèrement. Une «tache dans ma carrière», va-t-il reconnaître quelques années plus tard.
Le 20 mars 2003, malgré l'hostilité de la France, de la Russie et de la Chine, Washington décide de lancer l'opération «Irak Freedom» sans l'aval du Conseil de sécurité. Une guerre éclair qui aboutit en quelques jours à la chute du régime de Saddam Hussein, mais plongera durablement l'Irak dans le chaos. Le 13 décembre 2003, Saddam Hussein est débusqué dans sa cachette près de Tikrit, barbu, hirsute, méconnaissable. Il sera exécuté par pendaison un an plus tard.
L'attentat contre un mausolée chiite de Samarra, au nord de Bagdad, en février 2006, donne le coup d'envoi d'un conflit confessionnel d'une violence inouïe. Combats de rue, attentats, assassinats mettant aux prises insurgés chiites et sunnites d'un côté, forces de la coalition de l'autre. Al-Qaida et ses affiliés s'implantent dans le pays. L'apocalypse commence. Chaque mois, les victimes se comptent par milliers. Dix ans plus tard, la situation sécuritaire, si elle n'est pas comparable avec celle qui prévalait de 2005 à 2008, demeure précaire. Mardi, cinquante-deux personnes ont été tuées lors d'une nouvelle série d'attentats antichiites revendiqués par al-Qaida.
Une «faillite» du renseignement américain
Aucune arme de destruction massive n'a été retrouvé en Irak. Alors, qui a menti? La CIA a plaidé coupable. Les informations collectées n'étaient pas solides, les analyses bâclées et les conclusions fondées sur des hypothèses erronées. Le résultat, affirme un rapport officiel d'enquête publié en 2005, a été «l'une des faillites du renseignement les plus préjudiciables de l'histoire américaine».
Mais la communauté du renseignement n'est pas seule en cause. «Affirmer que tout le processus a été imperméable au climat politique n'est tout simplement pas crédible» affirme Paul Pillar, un ancien de la CIA, spécialiste du Moyen-Orient, aujourd'hui professeur à l'université Georgetown. En février 2011, un certain Rafid Ahmed Alwan al-Janabi révèle dans une interview au quotidien britannique The Guardian qu'il est à l'origine de cette vaste «intox». Proche des services secrets américains, «Curveball» - c'est son nom de code - affirme avoir tout inventé pour convaincre les États-Unis de renverser Saddam Hussein. Outré d'avoir été aussi grossièrement manipulé, Colin Powell sort de sa réserve et demande que la CIA et le Pentagone lui expliquent pourquoi ils lui avaient transmis des informations erronées. «C'est absurde», lui répond Donald Rumsfeld qui admet des «erreurs», mais se défend, sans convaincre, d'avoir été «malhonnête».
L'enjeu pétrolier
Pourquoi l'Amérique de Gorge W. Bush a-t-elle envahi l'Irak? Pour y chasser un tyran et y parachuter des valeurs démocratiques, comme l'affirment les avocats de l'administration Bush? En réalité, il est clair qu'outre une volonté d'influencer les évolutions politiques de la région, l'intervention militaire de 2003 a permis aux États-Unis de reprendre pied dans un pays stratégique du point de vue énergétique et d'en évincer la Chine et la Russie, qui y avaient développé leurs intérêts.
À l'époque, les Américains n'ont d'autre choix que de projeter leur puissance là où se situent les réserves pétrolières essentielles à la poursuite de leurs activités économiques. Les stratèges de l'administration Bush entretenaient des liens étroits avec les milieux d'affaires. Président en 1995 d'Halliburton, Dick Cheney assurera ainsi au géant de l'équipement pétrolier de mirobolants contrats. Dans son livre Le Temps des turbulences paru en 2007, Alan Greenspan, qui dirigea la Réserve fédérale de 1987 à 2006, n'a pas hésité à dire tout haut «ce que tout le monde sait: l'un des grands enjeux de la guerre d'Irak était le pétrole».