Halte ! Vous faites fausse route Monsieur le juge…


Lors de son assemblée générale de cette année, l’Union des magistrats sénégalais (Ums) a revêtu des allures d’une volonté d’en découdre avec le gouvernement, coupable de priver les magistrats de leurs «acquis sociaux». Mme le ministre de la Justice a été prise à partie par les magistrats pour déverser leur bile sur cet Etat, qui a osé leur rogner leur subvention annuelle mais surtout qui a eu l’outrecuidance de supprimer le Fonds commun des magistrats (Fcm). L’Ums annonce donc sa résolution de se pourvoir devant la Cour suprême, aux fins d’annulation du décret pris par le président de la République, Macky Sall, qui supprime le Fcm, institué en décembre 2011 par son prédécesseur Abdoulaye Wade. Aussi, les magistrats voudraient porter leur combat pour l’abrogation du décret de Macky Sall jusqu’à l’Union internationale des magistrats (Uim) dont le siège est à Rome.
Si l’Ums peut espérer ne pas être déboutée par leurs propres militants qui vont trancher un contentieux pour lequel ils ont un intérêt direct, il ne semble pas évident que leurs collègues de l’Union internationale des magistrats les suivront dans leur logique. Comment l’Uim pourrait-elle soutenir une revendication des magistrats sénégalais qui heurte la morale et toute éthique et manque de fondement légal ? En effet, on ne trouve dans aucun autre pays au monde le système d’avantages au profit des magistrats que le président Wade avait institué. Le Fcm avait été mis en place dans l’esprit de calquer le système des Fonds communs qui existent dans les administrations du ministère de l’Economie et des Finances. Seulement, au niveau des régies financières, les fonds communs sont alimentés sur la base de recettes exceptionnelles non prévues dans la loi de finances de l’Etat. En termes plus exotériques, aucune part des recouvrements opérés auprès de contribuables qui procèdent de façon régulière à leurs déclarations fiscales ou douanières n’alimente le fonds commun. Seule une part des recettes tirées des pénalités infligées à un contribuable véreux est versée au fonds commun.

Par exemple si un contribuable X déclare normalement ses impôts et les paie régulièrement, aucun franc de ces recettes ne va au Fonds commun. Par contre si le contribuable Y fait de l’évasion fiscale et qu’un agent arrive à débusquer une fraude, un redressement est opéré. Les droits éludés iront entièrement au Trésor public et seules les pénalités seront ponctionnées pour alimenter le Fonds commun. Et même sur ce fonds commun, «une partie alimente les fonds d’équipements et/ou fonds sociaux des régies financières pour accroître leurs capacités d’intervention, une autre partie abonde le fonds commun global du ministère des Finances et une partie est distribuée aux agents de la régie financière concernée».

En 1997, les agents des Impôts et domaines étaient allés en grève estimant qu’ils recevaient une portion congrue de ce fonds commun alors qu’ils en étaient les principaux pourvoyeurs de ressources. Avouons que ce schéma mis en place dans les régies financières, depuis 1937, est bien différent de ce que le président Wade avait donné comme cadeau aux juges. Il s’y ajoute que les salaires des agents de l’Etat sont dérégulés au point que l’Inspecteur des Impôts ou des Douanes, après 25 ans de carrière, perçoit un salaire inférieur à celui d’un magistrat qui débute sa carrière. A l’image de l’indemnité de judicature de 800 000 francs allouée aux magistrats, un autre décret avait été pris, en décembre 2011, pour allouer une indemnité mensuelle de 500 000 francs aux commissaires de police. Ce texte a été bloqué car le Premier ministre Souleymane Ndéné Ndiaye avait refusé d’y apposer son contreseing et avait réussi à faire entendre raison au chef de l’Etat.

Mais le débat doit être ailleurs. Comment l’Ums peut-elle réduire son action qu’à de seules revendications ayant trait à des avantages matériels ? Depuis 1997, année à laquelle un colloque avait réuni l’ensemble des magistrats sénégalais à Saly Portudal pour discuter du thème «Justice et Transparence», plus jamais l’Ums n’a organisé une réflexion ayant trait à la substance des activités de ses membres et de leur profession. J’avais coordonné moi-même l’organisation de ce colloque financé par l’Usaid sur la base d’une requête formulée par le juge Amady Bâ, actuellement à la Cour pénale internationale, qui était alors directeur du Centre de formation judiciaire. Après cette rencontre à laquelle avait pris part le juge français Philippe Courroye, célèbre à l’époque où il instruisait de grandes affaires financières, le même juge Bâ avait fait financer par l’Usaid en 1998 des ateliers de formation pour les magistrats et les auxiliaires de justice sur les dispositions du Traité de l’Ohada. J’avais aussi assuré la coordination de l’organisation de ces ateliers.

Depuis que le juge Bâ était parti à Rome comme chargé de programmes à l’International Development Law Institute devenu International Development Law organization, aucune réflexion sur les principes, la doctrine ou l’organisation judiciaire n’a été organisée par l’Ums. Il semble qu’il serait aussi important pour le jeune magistrat, qui entre dans ce grand corps de l’Etat, de trouver que ses aînés considèrent que la noblesse et le prestige de leur profession ne résident pas seulement dans l’augmentation d’un salaire, ou l’octroi de terrains ou de véhicules ou de dotations de carburant.

Quelles réflexions les magistrats ont-ils faites autour de l’évolution des textes du droit des sociétés, du droit des personnes, du droit des télécommunications ou des Tic entre autres, pour savoir si les juges sont outillés pour faire face à ces évolutions ? Est-ce que l’Ums se préoccupe du fait que, depuis 1992 le ministre Serigne Diop avait mis en place un Comité de réforme du Code pénal et du Code de procédure pénale dirigé par des magistrats, aucune conclusion n’est encore déposée ? Est-ce que l’Ums a réfléchi sur la formation des magistrats, le contenu de cette formation et son adéquation avec l’évolution du droit, de la doctrine et de la société ? Quid de la carte judiciaire dessinée en 1984 par le ministre de la Justice Doudou Ndoye ? Quelle est l’efficacité des multiples Cours d’appel instituées sans tenir compte des volumes des contentieux ? Est-ce que le débat a été posé sur le projet de la construction d’une Ecole de la Magistrature depuis que la section judicaire a été sortie du giron de l’Ecole nationale d’administration en 1996 ? Depuis 1998, plus d’élèves-magistrats ou élèves-greffiers n’effectuent de stages professionnels en France, oh combien bénéfiques ! N’est-ce pas là une bonne revendication ? Pourquoi le Mali et la Côte d’Ivoire disposent-ils de tribunaux de commerce et pas le Sénégal ? Quelle évaluation les magistrats font-ils des deux ou trois réformes de l’organisation judiciaire opérées ces vingt dernières années ? Quelle réflexion les magistrats font-ils de la Cour de répression de l’enrichissement illicite ? C’est peut-être prétentieux que de poser de telles questions, mais force est de dire que voici d’autres bien grands chantiers pour l’Ums. Que devient le journal La Balance édité par l’Ums du temps où le juge Ndongo Fall assurait la présidence ? Cette revue était un creuset de réflexion sur les questions de droit et de doctrine.

Par Madiambal Diagne

Source: Le Quotidien

Abdou Khadre Cissé

Lundi 3 Septembre 2012 12:57

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