Il convient de rappeler les règles qui organisent l’élection des députés avant d’en tirer des analyses de compétitivité électorale au vu des forces en présence.

Rappel des règles juridiques présidant à l’élection des députés

Au Sénégal, le système institué pour l’élection des députés est un système qui mélange le scrutin proportionnel et le scrutin majoritaire.

150 députés siègent à l’AN en raison de 90 députés élus sur la liste départementale et 60 députés élus sur la liste nationale


Ainsi les Départements qui sont les plus peuplés devront disposer du plus grand nombre de représentants à l’Assemblée via la liste départementale.
Le décret de répartition des députés sur la liste départementale pris par Wade entre les deux tours de la présidentielle et qui était manifestement anti constitutionnel a été rapporté par le nouveau Président. N’ayant pas pu disposer du nouveau décret, nous avons estimé pour notre part dans le tableau joint le nombre de députés qui devrait théoriquement revenir à chaque département par application de la règle démographique posée par la constitution.
Le scrutin départemental est un scrutin de liste majoritaire à un seul tour. Cela signifie que la liste ou le parti qui a le plus grand nombre de suffrage exprimés remporte tous les sièges ne laissant rien aux autres listes ou parts concurrents selon la règle en Wolof de "Raw Gaadou".
Ainsi par exemple la coalition Macky 2012 qui a remporté le Département de Dakar lors des Présidentielles au 1er Tour a de fortes chances de gagner, toutes choses égales par ailleurs, les 6 sièges de Députés qui lui sont normalement attribués par le décret de répartition. Même si Macky 2012 ne devance la liste poursuivante que de 5 voix d’écart, la liste arrivée deuxième n’aura aucun député. C’est critiquable mais c’est comme çà.
Les mêmes suffrages exprimés permettent ensuite de déterminer les vainqueurs sur la liste nationale élue au scrutin proportionnel par le système du quotient électoral (nombre total de suffrages exprimés divisé par le nombre de sièges à pourvoir) ; plus le quotient électoral sera présent au sein d’une liste plus elle aura de députés élus dans l’ordre de leur présence sur la liste. Ce qui fait que la liste qui gagne la majorité des Départements a de fortes chances de remporter les sièges mis en compétition sur la liste nationale.
En attendant de voir l’issue et les conséquences de la querelle interne au PDS qui va sans doute vers l’éclatement, les négociations battent leur plein au sein de la Coalition Bennoo Bokk Yakaar dont les membres ont exprimé leur intention d’aller ensemble suivant leur logique de "gagner ensemble – gouverner ensemble". Mais se pose la question de la manière de se répartir les positions au sein des listes appelées à être présentées dans chaque département.
Comment aller ensemble aux législatives, gagner ensemble et gouverner ensemble ?
Pour Macky Sall, cité par l’Agence de Presse sénégalaise, le candidat qui a gagné un Département au 1er tour doit pouvoir rafler tous les postes de députés dudit Département. Le nouveau Président a ainsi déclaré à la RFM, jeudi : "Au premier tour, chacun a gagné des départements, moi aussi j’en ai gagné. Peut-être que nous avons la chance d’avoir gagné les départements les plus importants comme Dakar qui a 7 députés, Pikine, 6 députés. Pour le reste, c’est deux, comme Fatick, Kanel, Matam, Linguère, Guédiawaye. C’est ce que notre coalition a gagné. Ces députés-là, normalement si on se partage les postes, il faut que ça nous revienne. C’est logique".
Si on devait suivre à la lettre la logique de Macky, cela voudrait dire que sa coalition raflerait tous les postes de députés dans les départements qu’il a gagnés au 1er tour ; soit selon nos estimations 21 députés (cf notre tableau). C’est de bonne guerre mais un peu déloyal pour Macky de raisonner ainsi parce qu’il sait que ses alliés qui l’ont soutenu au 2ème tour de la Présidentielle ne réuniraient que 10 députés au maximum selon sa logique (4 pour Niasse et 3 pour Idy et Tanor qui n’ont gagné chacun qu’un seul département au 1er Tour).
Mais Macky doit savoir que cela ne lui suffirait pas pour lui donner la majorité sur la liste départementale puisqu’au vu des résultats du 1er tour (à supposer que les mêmes électeurs votent pour les mêmes candidats), la coalition de Wade aurait près de 60 députés donc la majorité absolue sur la liste départementale et peut-être à l’Assemblée laissant aux autres candidats que sont Tanor Niasse et Idy des miettes.
En réalité, Macky, en observateur averti, pense pouvoir compter sur l’émiettement du camp libéral qui comprendrait plusieurs listes ou partis pour remporter plus de départements qu’il n’en avait gagné au 1er tour. Le nouveau Président compte aussi certainement sur la dynamique de victoire que lui confère son nouveau statut d’autant plus qu’il serait difficile, au jour d’aujourd’hui, à ses alliés du 2ème tour de la Présidentielle de s’opposer à lui sur la base d’arguments individuels. Il est déjà trop tard pour rompre leur logique de coalition et ils ne semblent pas vraiment disposer des moyens de s’opposer à Macky au vu de leurs résultats du 1er tour en l’absence de toute politique et position clairement exprimée depuis les résultats de la Présidentielle allant dans le sens d’affirmer la particularité de leurs coalitions respectives ?
Toutefois, il n’est pas sûr que la Coalition Macky 2012 recueille la majorité à l’assemblée nationale en allant seule si on devait appliquer les pourcentages du 1er tour malgré l’avantage d’être au pouvoir. Macky ne peut pas prendre le risque d’aller seul avec sa coalition Macky 2012 car personne ne peut prédire le comportement des électeurs des différents départements qui pourraient voter pour les têtes de listes connus de leurs départements et non pour une dynamique de "tous contre Wade" à l’image de la Présidentielle.
Sans compter l’inconnu autour de ces esprits avertis et indépendants de plus en plus répandus dans la population sénégalaise qui ne voudront pas donner à la seule coalition Macky 2012 une majorité écrasante proche de celle dont disposait Wade et qui tordrait le coup au principe d’une assemblée nationale plurielle et un tant soit peu équilibrée car représentative de toutes les sensibilités politiques et sociales sénégalaises qu’appellent de leurs vœux bon nombre de sénégalais.
C’est le lieu de regretter à cet égard l’absence de liste proposée par la "société civile militante" constituée par des mouvements comme "Y’en a marre", "Fékké ma ci bolé" de Youssou Ndour ou "Yamalé" de Bara Tall. On ne peut pas passer son temps à occuper la Place de l’obélisque et il n y a pas meilleur endroit que l’assemblée nationale pour exprimer son point de vue sur des sujets qui impactent le destin national. A cet égard, ces mouvements ont raté un tournant important qui les confine à s’exprimer dans les colonnes des journaux sans disposer de réels leviers d’action. C’est le lieu également de dénoncer l’oubli qui frappe les sénégalais de la Diaspora qui ne seront pas représentés à l’assemblée malgré le rôle de régulateur socio-économique et d’avant-garde qu’ils ont joué dans l’avènement de l’alternance du 25 mars 2012.
Macky Sall aurait aussi tort d’oublier trop vite que sa victoire au second tour, lui qui n’avait recueilli "que" 26 % au 1er tour, est plus le résultat d’un vote de rejet de Wade que d’adhésion pour lui.
Les dérives de Wade étant encore présentes dans l’esprit de tous et chat échaudé craignant l’eau froide, donner une écrasante majorité à la coalition Macky 2012 sous le prétexte de permettre à Macky Sall de faire voter les textes nécessaires à sa politique peut être risqué tant pour l’avenir politique de ses alliés de l’entre-deux tours que pour la démocratie sénégalaise.
Alors pour maintenir la dynamique de victoire au sein de la Coalition Benoo Bokk Yakaar et finir de bouter hors des cercles de décision et de gouvernance le régime libéral honni de Wade, il convient pour Macky Sall de permettre un panachage "loyal" en considération de l’engagement populaire et de ses alliés du 2nd tour et non pas forcément en considération de la logique mathématique électorale d’un premier tour qui s’est déroulé dans les conditions "illogiques" que l’on sait.
Entre des logiques de coalitions qui voudraient que se dégage un consensus autour des positions sur les listes des différents partis et la logique de gouvernement qui voudrait que Macky Sall ait la majorité parlementaire qui lui permette de dérouler sa politique de gouvernement, il y a possibilité d’un juste milieu car l’essentiel est de parachever la victoire du droit sur l’injustice, de la démocratie sur la monarchie rampante, de la bonne gouvernance sur la main mise d’un clan sur les maigres ressources nationales.
L’idée d’une juste répartition des forces alliées sur les listes de députés n’est pas forcément antinomique de l’obtention par Macky Sall d’une majorité parlementaire qui lui permette de bien gouverner dès l’instant que les alliés du second tour se retrouvent à l’Assemblée autour de l’essentiel des conclusions des assises nationales dont ils ont tous signé la Charte de bonne gouvernance ; à moins de jeter aux oubliettes les fameux travaux.
En conclusion, les forces alliées opposées au régime prédateur de Wade et de ses héritiers et affidés, qu’ils soient repentis ou non, dissidents ou non, doivent recueillir une large majorité à l’assemblée nationale gage de la continuité du mouvement "révolutionnaire" et salvatrice qui a pris naissance les 22 et 23 juin. Mais cela ne peut se faire aux yeux des électeurs qu’en maintenant la logique de la coalition qui a porté Macky au pouvoir en accordant, à l’image du 1er gouvernement de Macky, à toutes les forces de progrès la place qu’ils méritent.

Bamba Toure

Samedi 21 Avril 2012 03:46

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