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Jim Yong Kim, président du Groupe de la BM : « Ce que je pense du Sénégal »


Jim Yong Kim, président du Groupe de la BM : « Ce que je pense du Sénégal »
« Le Soleil » ne pouvait pas rater l’aubaine : questionner le président de la Banque mondiale, qui séjournait à Dakar, sur les principales problématiques d’ordre économique, principalement, social et politique, subsidiairement, au cœur des relations entre l’institution qu’il dirige et le Sénégal. Et, en dépit de son agenda très serré, Jim Yong Kim, qui participait, le 02 février dernier, au sommet sur le Partenariat mondial pour l’éducation, s’est livré à l’exercice, pour nous gratifier d’éclairages importants.
 
Monsieur le président, quels sont les principaux obstacles que doit surmonter le Sénégal pour préserver sa dynamique de croissance de plus de 6% ? Quelle contribution peut-il attendre de la Banque mondiale ?
 
Maintenir sa forte trajectoire de croissance représentera un défi pour le Sénégal, étant donné la conjoncture actuelle : les conditions extérieures favorables dont le pays a bénéficié ces dernières années, à savoir la faiblesse des cours du pétrole, des taux d’intérêt mondiaux et de l’euro, sont en train de s’inverser. Le Sénégal devra notamment accélérer et approfondir des réformes essentielles, en particulier dans les secteurs de l’énergie, des technologies de l’information et de la communication, et de l’agriculture. La Banque mondiale appuiera les efforts des autorités sénégalaises en la matière.
 
Lors du One Planet Summit, la Banque mondiale avait annoncé qu’elle ne financerait plus l’exploration et l’exploitation pétrolières et gazières au-delà de 2019. Est-ce que le passage du Sénégal dans la catégorie des pays producteurs d’hydrocarbures aura une incidence sur son partenariat avec la Banque mondiale ?
 
La Banque mondiale ne financera plus d’investissements dans l’exploration et la production d’hydrocarbures, mais elle continuera d’apporter une assistance technique à ses clients, et donc, au Sénégal, afin de renforcer la transparence, la gouvernance, les capacités institutionnelles et l’environnement réglementaire de leur secteur énergétique, notamment du secteur pétrolier et gazier.
Dans notre partenariat avec le Sénégal, nous sommes conscients des risques et des problèmes auxquels est exposé un pays lorsqu’il découvre des richesses naturelles. Nous avons donc décidé de soutenir les autorités sénégalaises en les aidant à mobiliser les meilleurs experts pour négocier avec les opérateurs privés, renforcer les institutions clés, améliorer le cadre budgétaire, juridique et réglementaire et faire en sorte d’associer toutes les parties prenantes. Autant de facteurs qui permettront à l’exploitation pétrolière et gazière de contribuer, de manière inclusive, résiliente et durable à la croissance économique du pays.
 
La Banque mondiale a débloqué, pour une assistance technique, un montant de 29 millions de dollars pour renforcer les capacités institutionnelles qui permettront au Sénégal de négocier des accords dans les industries extractives. Où en est-on concrètement ?
 
Le Conseil des Administrateurs de la Banque mondiale a approuvé cette assistance technique en mai 2017 et le Sénégal l’a avalisée dès le mois d’octobre 2017. Nous encourageons le pays à en accélérer la mise en œuvre en s’attachant tout d’abord à renforcer les capacités du nouveau ministère du Pétrole et de l’Energie, ainsi que du ministère des Finances, deux institutions essentielles pour la mise en valeur réussie des ressources pétrolières et gazières. L’un des enseignements que nous pouvons tirer de plusieurs décennies d’expérience est qu’aucun pays ne parvient à exploiter efficacement ses ressources d’hydrocarbures s’il ne dispose pas d’institutions fortes, fiables et responsables.
 
Pour des pays comme le Sénégal, qui doivent gérer la découverte de grands gisements de ressources naturelles, la difficulté réside généralement dans la nécessité d’accroître fortement et rapidement les capacités institutionnelles requises pour développer et administrer un secteur nouveau et complexe. C’est pourquoi nous encourageons les autorités sénégalaises à intensifier leurs efforts pour s’assurer que les ressources pétrolières et gazières du pays soient à la fois une manne pour l’économie nationale, un moteur de croissance inclusive et un vecteur d’intégration régionale. Nous réaffirmons l’engagement de la Banque mondiale à accompagner les efforts déployés par le Sénégal pour surmonter les défis associés à l’exploitation des ressources pétrolières et gazières.
 
Que peut attendre le Sénégal de ces nouvelles sources de revenus ? Peut-il échapper à la « malédiction des ressources naturelles » ?
 
L’un des grands pièges à éviter est de s’attendre à ce que les recettes pétrolières et gazières durent indéfiniment. Le pétrole et le gaz sont des ressources épuisables, d’où la nécessité d’investir les recettes issues de ces secteurs dans de nouvelles sources de croissance, plus durables et profitant au plus grand nombre, y compris aux plus vulnérables.
 
Enfin, il est important d’associer, de manière transparente et participative, les populations et toutes les parties prenantes pour répondre en amont à leurs préoccupations liées aux conséquences sociales et environnementales des projets pétroliers et gaziers, mais aussi pour les consulter sur l’élaboration de la stratégie qui accompagnera le développement de ce nouveau secteur. Sa tradition d’ouverture politique, ses institutions de gouvernance relativement solides et sa société civile dynamique devraient permettre au Sénégal d’éviter la malédiction du pétrole, mais ceci demandera un leadership très fort et un engagement ferme et constant auprès de la société civile.
 
La Banque mondiale apporte un soutien considérable à l’amélioration de l’infrastructure du Sénégal. Que recommanderiez-vous pour la bonne réalisation de ces grands projets ?
 
Les projets d’infrastructure sont l’un des principaux moteurs de la croissance économique, à condition qu’ils se justifient d’un point de vue économique et qu’ils soient bien exécutés. Certains subissent des retards, tandis que d’autres respectent les délais et les budgets. Mais, pour ce faire, il faut que tous les éléments soient en place, en particulier du côté de la gestion de projet.
 
Même si on les considère parfois comme un fardeau lors du lancement d’un projet, des études bien menées s’avèrent généralement indispensables au respect des délais. De même, une bonne supervision des travaux réduit le risque de retard et de dépassement des coûts. Enfin, la présence de clauses spécifiques dans les marchés de travaux assignant clairement aux entrepreneurs la responsabilité de la qualité et du respect des délais, par exemple au moyen de contrats de performance ou de partenariats public-privé (Ppp), permet d’atténuer ces risques.
 
Pensez-vous que le projet pilote de système de bus rapides sur voie réservée à Dakar aboutira comme prévu compte tenu des procédures très lourdes de la Banque mondiale ?
 
La Banque mondiale soutient entièrement les efforts des autorités sénégalaises pour mener à bien ce projet important pour la ville de Dakar. Avec un investissement de 300 millions de dollars, il s’agit du plus gros projet jamais financé par la Banque mondiale au Sénégal. Ses retombées devraient être conséquentes et avoir des répercussions positives sur l’économie, mais aussi sur le quotidien des usagers. Le projet contribuera également à réaliser les objectifs du pays en matière de lutte contre le changement climatique. Les équipes de la Banque mondiale collaborent étroitement avec les pouvoirs publics pour éviter que le projet soit retardé.
 
Les pays d’Afrique de l’Ouest connaissent des problèmes de sécurité qui pèsent sur leurs finances publiques et leur environnement macroéconomique. Concrètement, que fait la Banque mondiale pour les aider ?
 
Il est essentiel d’améliorer la sécurité, mais les pays ont souvent du mal à assumer le coût engendré par de telles dépenses. Les menaces émanent non seulement de groupes terroristes ou extrémistes, mais aussi de la criminalité internationale organisée. Un relèvement des dépenses consacrées à la sécurité compromettra la stabilité macroéconomique et alourdira la charge fiscale pour des pays déjà pauvres. Il existe un certain nombre d’instruments pour aider les pays à résister aux chocs dus aux catastrophes naturelles, mais aucun pour les chocs liés à la sécurité.
 
Pour faire face à leurs problèmes de sécurité communs, la Mauritanie, le Burkina Faso, le Mali, le Tchad et le Niger ont créé, en février 2014, le G5 Sahel. Devant la détérioration de la situation sécuritaire dans la région, ils ont lancé, en juillet 2017, une force militaire conjointe. Mais, nous savons tous que la paix ne va pas sans le développement et vice versa.
 
L’Alliance pour le Sahel a été constituée en juillet 2017 afin d’aider les pays à se développer. Il s’agit d’une initiative de l’Union européenne, de la France et de l’Allemagne, avec comme institutions fondatrices le Programme des Nations Unies pour le développement, la Banque africaine de développement et la Banque mondiale. D’autres partenaires seront invités à rejoindre l’Alliance lorsque celle-ci sera opérationnelle.
 
L’Alliance déploiera des programmes multisectoriels dans des régions vulnérables, pour soutenir la paix, la sécurité et le développement. Ses premières priorités seront les suivantes : l’emploi, l’éducation et la formation des jeunes ; l’agriculture et la sécurité alimentaire ; le climat, l’accès à l’énergie et l’énergie verte ; la gouvernance, dont les systèmes judiciaires et la lutte contre la corruption ; les services de base et l’appui à la décentralisation.
 
L’Alliance se concentrera principalement sur une mise en œuvre accélérée et agile, sur l’impact et les résultats, ainsi que sur le suivi et la reddition des comptes. Elle s’attachera également à accroître l’investissement privé au Sahel, dans l’objectif de créer des opportunités économiques et des emplois. La santé, l’éducation et l’emploi sont des facteurs de stabilité et de paix.
 
Pensez-vous que les pays d’Afrique peuvent faire face aux chocs provoqués par le changement climatique, et comment la Banque mondiale soutient-elle leurs efforts d’adaptation ?
 
En 2015, avant la COP21 en France, la Banque mondiale a publié son «Business plan pour le climat en Afrique». Nous l’avons lancé avec quatre chefs d’État et de gouvernement africains à Paris. Je me souviens que le président togolais, Faure Gnassingbé, a expliqué que c’était précisément ce qu’il fallait à l’Afrique : des programmes de développement concrets, et climato-intelligents. Ce «Business plan» se chiffre à 19 milliards de dollars sur la période 2016-2020, dont environ 08 milliards en provenance de l’Ida (Association internationale de développement), notre fonds pour les pays les plus pauvres. Il porte sur une douzaine de domaines, notamment l’agriculture, l’énergie, le transport, les forêts, la gestion des littoraux, mais aussi les migrations et le renforcement des capacités.
 
Il couvre une partie des besoins de financement des pays d’Afrique en matière d’adaptation. Mais, nous savons que ces besoins sont considérables et les flux financiers insuffisants. C’est pourquoi nous avons décidé d’augmenter les montants alloués à l’action climatique.
 
Au total, le Groupe de la Banque mondiale s’est engagé à porter le financement climatique à 28% de l’ensemble de ses prêts en 2020, et nous sommes en bonne voie pour y parvenir.
 
Le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris va-t-il avoir des répercussions sur les efforts de la Banque mondiale dans la lutte contre le changement climatique ?
 
Pour le Groupe de la Banque mondiale, le changement climatique ne relève pas de la politique, mais de la science, et nous sommes une organisation qui se fonde sur des données probantes.
 
Nous allons donc de l’avant sur la base de ces éléments, et également en fonction de la demande de nos pays clients. Nous constatons qu’en Afrique, en Amérique Latine et en Asie du Sud, où se situent nos plus grands clients, la demande de financements et d’actions pour le climat est colossale. Beaucoup d’efforts sont déployés, à tous les niveaux, pour améliorer la situation. On constate une forte mobilisation du milieu des affaires, du secteur privé, des autorités infranationales et nationales et locales, et bien sûr chez des populations.
 
Le Groupe de la Banque mondiale continue d’aider les pays en développement et les économies émergentes à intégrer le changement climatique dans leurs programmes de développement, ainsi qu’à atteindre leurs objectifs climatiques nationaux.
 
L’évolution du climat freine le développement et la lutte contre l’insécurité à l’échelle de la planète. Les populations les plus vulnérables sont déjà confrontées aux sécheresses, aux inondations, aux catastrophes naturelles dont l’intensité s’accroît et à l’élévation du niveau des mers. Si nous ne faisons rien, le changement climatique accentuera l’instabilité et les migrations.
 
Plusieurs initiatives cherchent à promouvoir les investissements étrangers en Afrique, sans obtenir des résultats pertinents. Quel est l’avantage comparatif du Pacte avec l’Afrique, et qu’en attend-on ?
 
La particularité du Pacte avec l’Afrique est de rassembler pouvoirs publics, institutions de développement et secteur privé pour convenir d’un cadre qui permettra aux pays africains d’attirer l’investissement privé. Il complète nos efforts visant à accompagner davantage nos pays clients qui mettent en œuvre des réformes destinées à favoriser l’investissement privé. La réussite du Pacte avec l’Afrique dépendra non seulement de la capacité des pays africains à instaurer un environnement propice à l’investissement, mais aussi de celle des pays du G20 à stimuler l’investissement privé.
 
La semaine dernière, le rapport Doing Business de la Banque mondiale a été remis en question lorsque votre économiste en chef a dénoncé un biais politique à l’encontre du Chili. Nombreux sont ceux qui mettent désormais en doute la crédibilité de ce rapport phare. Que répondez-vous ?
 
La direction du Groupe de la Banque mondiale est convaincue de l’intégrité de l’équipe Doing Business et de la qualité de ses recherches, et a toute confiance à sa méthodologie et ses classements. Je suis heureux de voir que le Sénégal reconnaît, lui aussi, l’intérêt de ce rapport et qu’il fait son possible pour lever les obstacles rencontrés par les entrepreneurs.
 
Il y une polémique sur le Rapport Star au Sénégal. Quels commentaires pouvez-vous en faire ?
 
L’initiative Star, pour le recouvrement des avoirs volés est un partenariat entre le Groupe de la Banque mondiale et l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (Onudc) qui soutient les efforts internationaux visant à mettre fin à l’existence de sanctuaires pour les fonds issus de la corruption et faciliter un recouvrement systématique et rapide des avoirs volés. Star ne mène pas d’investigations financières. Cette initiative consiste à aider les pays en leur fournissant une assistance technique et en les aidant à renforcer leurs capacités institutionnelles pour faciliter le recouvrement des avoirs volés.
 
Dans le cas du Sénégal, nous avons mis cette expertise technique à la disposition du Sénégal et un document indépendant a été produit. Il ne s’agit pas d’un rapport de la Banque mondiale. Dans ce type de cas, il appartient à l’État sénégalais de décider des mesures à prendre face aux recommandations formulées et de commenter le contenu de ce document. La Banque mondiale est convaincue qu’il incombe à tous de combattre la corruption sous toutes ses formes et de promouvoir une bonne gouvernance, afin de garantir un développement durable.
 
Entretien réalisé par Malick Ciss et Yakham C. N. Mbaye


Vendredi 9 Février 2018 - 06:41










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