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Journalistes du pouvoir et communicants au pouvoir


Journalistes du pouvoir et communicants au pouvoir

Il y a, a priori, une présomption d’incompatibilité entre deux vocables : « journalistes » et « Palais ». Le Palais ou la Présidence est le centre du pouvoir, aussi bien dans le symbole que dans la signification réelle du contenu de l’Institution. L’incompatibilité relève de deux ordres : l’éthique journalistique, qui ne s’accommode pas de la sujétion du devoir d’informer à l’ordre politique, en ce sens que le pouvoir d’influence du pouvoir politique, à travers l’idéologie et la logique d’appareil, corrompt et comprime la distance critique. La frontière de neutralité est franchie, faisant passer le journaliste de la manipulation froide de l’information à la chaude entreprise de promotion d’une image. Ici, on ne livre pas des faits ; on convoie des marchandises par les canaux de communication traditionnels (radios, journaux, sites d’informations, télévisions) ou des supports assez spéciaux (affichage, spots audiovisuels, encarts). Le Palais abrite alors une officine qui est une instance de régulation de l’information. Le monde sénégalais n’est pas toujours dit tel qu’il est ; il est présenté tel que la vision du Chef de l’Etat voudrait qu’il soit.

Le journaliste entre dans le couloir aux magies du communicant. Il chemine avec ses astuces et formules. Il abandonne l’académie impartiale des 5 W (who, what, when, where, why ou qui fait quoi, quand, où et pourquoi ?), socle des techniques de traitement de l’information et de sa livraison au public. Il est, dans la fabrique d’opinion, au cœur des 2 W : le who’s who (qui est qui ?) Son érudition est faite de fard (il maquille ou oriente l’information), de ciseau (il répare les infirmités des nouvelles pour le bonheur de son bord), de chronomètre (il étudie le timing des nouvelles avantageuses ou politiquement handicapantes). Il n’est pas un militant inconditionnel de la nouvelle, dans sa nudité honnête, tendant vers l’objectivité. Il est plutôt enrôlé dans un camp, le sien, avec, comme matière fondamentale, le message. Il n’est pas dans la collecte et le traitement de l’information. Il est dans la formulation et la mise en œuvre de stratégies pour convaincre. Toutes ses entreprises consistent à faire comprendre la pensée de son Chef, à créer une appropriation au tour de ses idées et à présenter l’ange sous les traits du gendre idéal ou du voisin à qui un chef de famille n’hésiterait pas à confier sa progéniture.

Cet alchimiste des éléments de sympathie écrit une histoire d’amour à l’encre du militantisme, que celui-ci soit organique (achat de la carte de membre d’un parti), idéologique (adhésion à la boussole intellectuelle d’un groupe) ou purement commerçant (prise de rémunération pour services rendus). Il est ce «sorcier » des mots et des images qui créerait un élan de compassion pour son candidat ou son client. Il est aussi cet homme de l’ombre qui révèle la part de lumière de son objet vivant. Pis ou mieux, c’est selon, il peut être un homme d’appareil d’un parti. Un journaliste doublé d’un homme politique donc. Un Pulitzer chez Machiavel. Une posture lourde d’une équivoque au cas où il ne mettrait pas en berne l’étendard de l’honnêteté professionnelle. Face à cette frontière morale, Abdou Latif Coulibaly, qui a inventé pour lui la formule d’« opposant de conscience », a choisi de se démettre de la direction de son hebdomadaire « La Gazette ». Il assume son nouveau rôle d’allié loyal sous le label Bennoo. Racine Talla a été dans la communication des organisations (système des Nations Unies) tout en assumant sa part de militantisme pour une nouvelle alternance. Directeur du SNEIPS, il a milité activement à Guédiawaye, en s’investissant dans la promotion sociale de ses habitants. Grâce à la fidélité, il a apporté son outre rafraîchissante dans la traversée du désert de son ami Macky Sall, en étant la vigie de son image dans l’espace audiovisuel. Très effacé et efficace, Alioune Fall est l’ami mais aussi le fidèle compagnon des temps d’infortunes. El Hadj Kassé s’est redéployé dans la consultance au Sénégal et dans la sous-région, en ayant l’œil, par exemple, sur la campagne du Président ATT. Il a rejoint Macky Sall pour le même challenge. La liste n’est pas exhaustive, mais le principe de conflit entre l’information et le militantisme demeure. De la même manière, le pouvoir PDS avait ses journalistes, parmi les plus illustres, Hassan Bâ et Cheikh Diallo. Le Parti socialiste avait Max Magamou Mbaye, Amadou Gaye, Cheikh Tidiane Dièye, etc. Tous ont été des journalistes du pouvoir, soumis à l’œil de leur conscience professionnelle. Une voix aussi qui leur rappelle le serment de fidélité à l’information.

Le principe de seuil d’honnêteté vaut pour tous et pour tous les temps. Il prémunit contre la confusion entre informer et former (ou formater) une opinion. L’information est scientifiquement du domaine de la neutralité. Le soin est laissé au public de se faire une opinion. La communication relève de l’opinion fabriquée et livrée aux destinataires. Un conseiller en communication est soumis à la vérité au moment où il transmet des faits au public. Il peut aussi céder à la tentation de dire le pays tel que son mentor voudrait qu’il soit. Il peut produire des données fondées tout en procédant, par dissimulation ou enjolivement, à la dénaturation du réel. La ligne de démarcation est nette. Façonner une opinion publique d’après sa vision impose au professionnel de renoncer à l’habit d’impartialité. Son parti-pris doit être annoncé pour sauver la vérité des manipulations.

Le contexte a consacré la présence très remarquée de journalistes et autres professionnels des métiers de la communication au tour du Président Macky Sall. Depuis 2007 (résultats contestés de la présidentielle et boycott des législatives par l’opposition dite significative, Assises nationales, manifestations du 23 juin…), le champ politique est traversé par une rude bataille d’opinion. L’ancienne opposition, aujourd’hui au pouvoir, renforcée par la Société civile, a entrepris de rallier le vote populaire à son assise sociale. L’ancien pouvoir s’est livré à des démonstrations de popularité sur la VDN, à l’Hôtel des Almadies, dans les régions, etc. L’horizon février-mars a été un rendez-vous où il fallait se rendre avec la certitude de « plaire » au maximum de ses compatriotes. Victorieux, les faiseurs d’opinion se plaisent dans le rôle de veilleurs de la bonne et belle image du pouvoir. Avec tous les lustres. Ils sont alors des communicants au pouvoir, fabricants de produits et d’emballages conceptuels.

Amadou Lamine NDIAYE

LeSenegalais.net

 



Jeudi 16 Août 2012 - 14:04





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