En asile politique, Hissène Habré passe, aujourd’hui, pour un Sénégalais parmi tant d’autres. Après son passage à la résidence de la Médina, il s’est offert deux belles villas à Ouakam et au quartier résidentiel des Almadies. Mariée à une Sénégalaise comme seconde épouse, il passe ses nuits entre ses deux résidences. Une sorte de polygamie géographique. Reportage…
Dimanche 16 septembre, il est 18 heures dans le quartier résidentiel des Almadies de Dakar. Un endroit réputé calme. La circulation est au ralenti en ce jour férié. Un début de soirée tranquille. Il est difficile de déceler les vendeurs de cartes de crédit qui, pendant les jours ordinaires, peuplent le carrefour sis entre deux banques de la place, à 500 mètres du Monument de la Renaissance africaine. Les trottoirs de la route sont transformés en une piste d’athlétisme par les adeptes de sport. En cette période de chaleur estivale, l’air oxygéné provenant de la plage de la corniche ouest rafraîchit le quartier des Almadies. C’est la brise de mer... De jeunes gens amoureux s’agglutinent sur les côtes de l’océan, une bonne partie de la journée. Ce coin paisible et chic de Dakar est le lieu de fréquentation et d’habitation des hommes riches, des touristes et de certaines autorités sénégalaises. C’est là que l’ex-président tchadien a élu domicile.
La population en bouclier
Sa maison est nichée au cœur des habitations bâties derrière une grande banque implantée juste au bord de la route, à l’arrêt dit "Dioulécaye" (lieu de prière). Après le rond-point situé entre les deux banques, une route bitumée, délabrée conduit au cœur de cette cité. A quelques mètres, une ruelle débouche sur ce lieu où règne un calme olympien. Les chants mélodieux d’oiseaux mêlés aux bruits des vagues de la mer animent le podium éclatant de la nature. Dans cette grande villa de couleur jaunâtre, construite loin des yeux indiscrets, Hissène Habré mène sa vie de bohème. La maison est clôturée par un mur d’une hauteur d’environ 2,5 m, surplombé de barbelés et de fleurs. A l’intérieur, on aperçoit des cocotiers trônant majestueusement devant un grand bâtiment R+1.
Devant la grande porte en fer lourd, un homme qui monte la garde à l’intérieur du poste de sécurité, porte son attention sur le moindre geste suspect. Ici, parler de Habré est un tabou. Aujourd’hui, une partie de cette population sénégalaise semble être un bouclier pour l’ex-chef d’Etat tchadien. Pour des raisons de sécurité, certains affichent un mutisme total sur des questions relatives au dictateur exilé. Quand vous recherchez l’adresse exacte de sa maison, certaines personnes qui rôdent aux alentours n’hésitent pas à donner une fausse adresse. Lorsque nous avons demandé des indications à un jeune vendeur de cartes de crédit téléphonique, le jeune homme nous a répondu: «Vous apercevez cet étage ? C’est juste à côté. Si vous demandez à quelqu’un, il vous indiquera sa maison». Des informations des plus erronées, car la maison de l’ancien rebelle tchadien était à 20 m de nous deux.
C’est une dame, gérante d’une boutique, la quarantaine révolue, qui nous a montré la voie. Face au domicile de Habré, une jeune fille, assise sur une chaise, vêtue d’un tee-shirt blanc assorti d’un pagne de couleur bleu-clair, nous donne quelques informations supplémentaires. «C’est ici sa maison. Il s’y est installé depuis des années et vit de façon discrète. Ces sorties sont rares. Souvent, il quitte son domicile, de façon anonyme, pour aller à la mosquée à l’occasion des prières du vendredi et les jours fêtes musulmanes. Il y a des agents de la Brigade d’Intervention polyvalente (Bip), en civil, qui rôdent ici. C’est pourquoi on ne veut pas parler de lui», informe-t-elle, avant de prendre sa chaise pour rentrer dans la maison.
Après bientôt 22 ans au pays de la Teranga, Hissène Habré se sent chez lui. Il a même convolé en secondes noces avec une Sénégalaise. «Ce pays nous a accueillis. Ce peuple magnifique nous a traités comme ses propres fils. Nous nous sentons chez nous, ici. Nous sommes vraiment chez nous, ici. C’est donc l’occasion pour moi de dire merci au valeureux peuple sénégalais, merci au Sénégal. Et en toutes circonstances, le peuple sénégalais nous a témoigné son amitié, son soutien durant toutes les péripéties que nous avons connues, face à tous les problèmes, que je pense profondément injustes, qui nous ont été causés. Le peuple sénégalais a été à nos côtés. Cela fait vingt ans je suis au Sénégal», disait-il dans un entretien paru, le 25 juillet 2011, dans l’hebdomadaire sénégalais "La Gazette".
Ouakam, citée Air France, c’est dans ce coin que la deuxième épouse de Hissène Habré est installée. Après le restaurant "le Régal" (rendu célèbre par l’agression contre l’homme politique Talla Sylla), en face de la station service, une venelle passe devant la maison et débouche sur la corniche. La demeure, peinte en couleur marron, est la troisième de la rangée de gauche des habitations. A l’intérieur, de longs arbres et un douar en bâche plantent le décor. La maison est calme. Aucun bruit ne provient de l’intérieur. Dehors, quelques hommes se rassemblent autour du thé, sous les arbres de la zone. La ruelle est animée par le bruit des pas des sportifs en direction ou en provenance de la corniche. Trouvé à quelques mètres de la maison de sa deuxième épouse, assis sur une chaise, un homme d’une quarantaine d’années reste stupéfait devant nos questions sur l’adresse de l’homme fort de Ndjamena. «C’est ….». Il s’interrompt avant de lancer: «Qu’est-ce que vous lui voulez ?», Et le sieur d’ajouter : «Demandez à quelqu’un d’autre, je ne connais pas sa maison.»
Habré débarque à Dakar
C’est le 11 décembre 1990, aux environs de 11 heures, que l’ancien président du Tchad, à bord d’un avion Hercule C130, foulait le tarmac de l’aéroport Léopold Sédar Senghor en provenance de Yaoundé (Cameroun). Deux avions transportant 25 personnes, essentiellement composées des membres de sa famille, suivront son arrivée. Le même jour, au Palais de la République, le président Abdou Diouf préside un Conseil des ministres élargi. Dans le communiqué du conseil, repris par le quotidien national "Le Soleil", le président Diouf informe avoir accédé et accepté à la demande d’asile politique du président du Tchad.
Temporairement hébergé à la Résidence de la Médina (ex-résidence du Président du Conseil -Mamadou Dia - devenue maison des Arts Douta Seck), il a d’abord voulu louer une résidence discrète, avant de disposer d’une maison pour chacune de ses deux femmes à Ouakam et aux Almadies. Après une promiscuité de plus de 20 ans, il finit par être «adopté» par la population de Ouakam. Quatre de ses six enfants issus du mariage avec sa première épouse, Fatima Reymond Habré, sont nés à Dakar.
Bienfaiteur
Habré est impliqué dans de nombreuses actions sociales dans le village de Ouakam. Youssou Ndoye, Jaraaf de Ouakam, renseigne sur les actions de Habré. «Hissène aide beaucoup de gens de ce village, renseigne-t-il. Certains sont des cas sociaux, des personnes très diminuées. Certaines personnes atteintes du cancer ont été sauvées grâce à l’action de Habré.» Les actes de générosité de l’ancien président du Tchad ne se limitent pas seulement à ces faits. «Habré a mis des moyens dans beaucoup d’activités à Ouakam. Il aide des Associations Sportives et Culturelles, il s’intéresse à beaucoup de domaines. Mais, du fait de son statut de réfugié politique, il fait dans la discrétion», lance Cheikh Fall, un jeune Ouakamois.
Ses rares sorties pour les prières du vendredi et fêtes religieuses (Tabaski ou Korité) à la grande mosquée de Dakar sont très remarquées. Habré est souvent montré à la télévision nationale, en compagnie des autorités sénégalaises. La plupart du temps, il est habillé en blanc, un bonnet, également blanc, sur la tête. Sa présence à ce lieu de culte fait aussi l’affaire des mendiants de la place. Mamadou Fadime, amputé des jambes, a eu l’occasion de le croiser. Avec l’accent le plus accusé des Mandingues, ce mendiant raconte cette journée. «Un jour de vendredi, il est venu prier et il donnait des billets de 10.000 FCFA, comme aumône à tous les mendiants qui étaient présents. A chaque fois qu’il venait à la mosquée, il faisait ce geste de grande générosité. Je ne savais pas qui était cet homme aussi bon. C’est par la suite que j’ai compris...»
Un comportement contraire de la part de l’ancien dictateur Tchadien, qui est accusé de «crime contre l’humanité, violation flagrante, arrestations arbitraires, détentions secrètes et exécutions sommaires», peu avant la chute de son pouvoir le premier décembre 1990.
Dimanche 16 septembre, il est 18 heures dans le quartier résidentiel des Almadies de Dakar. Un endroit réputé calme. La circulation est au ralenti en ce jour férié. Un début de soirée tranquille. Il est difficile de déceler les vendeurs de cartes de crédit qui, pendant les jours ordinaires, peuplent le carrefour sis entre deux banques de la place, à 500 mètres du Monument de la Renaissance africaine. Les trottoirs de la route sont transformés en une piste d’athlétisme par les adeptes de sport. En cette période de chaleur estivale, l’air oxygéné provenant de la plage de la corniche ouest rafraîchit le quartier des Almadies. C’est la brise de mer... De jeunes gens amoureux s’agglutinent sur les côtes de l’océan, une bonne partie de la journée. Ce coin paisible et chic de Dakar est le lieu de fréquentation et d’habitation des hommes riches, des touristes et de certaines autorités sénégalaises. C’est là que l’ex-président tchadien a élu domicile.
La population en bouclier
Sa maison est nichée au cœur des habitations bâties derrière une grande banque implantée juste au bord de la route, à l’arrêt dit "Dioulécaye" (lieu de prière). Après le rond-point situé entre les deux banques, une route bitumée, délabrée conduit au cœur de cette cité. A quelques mètres, une ruelle débouche sur ce lieu où règne un calme olympien. Les chants mélodieux d’oiseaux mêlés aux bruits des vagues de la mer animent le podium éclatant de la nature. Dans cette grande villa de couleur jaunâtre, construite loin des yeux indiscrets, Hissène Habré mène sa vie de bohème. La maison est clôturée par un mur d’une hauteur d’environ 2,5 m, surplombé de barbelés et de fleurs. A l’intérieur, on aperçoit des cocotiers trônant majestueusement devant un grand bâtiment R+1.
Devant la grande porte en fer lourd, un homme qui monte la garde à l’intérieur du poste de sécurité, porte son attention sur le moindre geste suspect. Ici, parler de Habré est un tabou. Aujourd’hui, une partie de cette population sénégalaise semble être un bouclier pour l’ex-chef d’Etat tchadien. Pour des raisons de sécurité, certains affichent un mutisme total sur des questions relatives au dictateur exilé. Quand vous recherchez l’adresse exacte de sa maison, certaines personnes qui rôdent aux alentours n’hésitent pas à donner une fausse adresse. Lorsque nous avons demandé des indications à un jeune vendeur de cartes de crédit téléphonique, le jeune homme nous a répondu: «Vous apercevez cet étage ? C’est juste à côté. Si vous demandez à quelqu’un, il vous indiquera sa maison». Des informations des plus erronées, car la maison de l’ancien rebelle tchadien était à 20 m de nous deux.
C’est une dame, gérante d’une boutique, la quarantaine révolue, qui nous a montré la voie. Face au domicile de Habré, une jeune fille, assise sur une chaise, vêtue d’un tee-shirt blanc assorti d’un pagne de couleur bleu-clair, nous donne quelques informations supplémentaires. «C’est ici sa maison. Il s’y est installé depuis des années et vit de façon discrète. Ces sorties sont rares. Souvent, il quitte son domicile, de façon anonyme, pour aller à la mosquée à l’occasion des prières du vendredi et les jours fêtes musulmanes. Il y a des agents de la Brigade d’Intervention polyvalente (Bip), en civil, qui rôdent ici. C’est pourquoi on ne veut pas parler de lui», informe-t-elle, avant de prendre sa chaise pour rentrer dans la maison.
Après bientôt 22 ans au pays de la Teranga, Hissène Habré se sent chez lui. Il a même convolé en secondes noces avec une Sénégalaise. «Ce pays nous a accueillis. Ce peuple magnifique nous a traités comme ses propres fils. Nous nous sentons chez nous, ici. Nous sommes vraiment chez nous, ici. C’est donc l’occasion pour moi de dire merci au valeureux peuple sénégalais, merci au Sénégal. Et en toutes circonstances, le peuple sénégalais nous a témoigné son amitié, son soutien durant toutes les péripéties que nous avons connues, face à tous les problèmes, que je pense profondément injustes, qui nous ont été causés. Le peuple sénégalais a été à nos côtés. Cela fait vingt ans je suis au Sénégal», disait-il dans un entretien paru, le 25 juillet 2011, dans l’hebdomadaire sénégalais "La Gazette".
Ouakam, citée Air France, c’est dans ce coin que la deuxième épouse de Hissène Habré est installée. Après le restaurant "le Régal" (rendu célèbre par l’agression contre l’homme politique Talla Sylla), en face de la station service, une venelle passe devant la maison et débouche sur la corniche. La demeure, peinte en couleur marron, est la troisième de la rangée de gauche des habitations. A l’intérieur, de longs arbres et un douar en bâche plantent le décor. La maison est calme. Aucun bruit ne provient de l’intérieur. Dehors, quelques hommes se rassemblent autour du thé, sous les arbres de la zone. La ruelle est animée par le bruit des pas des sportifs en direction ou en provenance de la corniche. Trouvé à quelques mètres de la maison de sa deuxième épouse, assis sur une chaise, un homme d’une quarantaine d’années reste stupéfait devant nos questions sur l’adresse de l’homme fort de Ndjamena. «C’est ….». Il s’interrompt avant de lancer: «Qu’est-ce que vous lui voulez ?», Et le sieur d’ajouter : «Demandez à quelqu’un d’autre, je ne connais pas sa maison.»
Habré débarque à Dakar
C’est le 11 décembre 1990, aux environs de 11 heures, que l’ancien président du Tchad, à bord d’un avion Hercule C130, foulait le tarmac de l’aéroport Léopold Sédar Senghor en provenance de Yaoundé (Cameroun). Deux avions transportant 25 personnes, essentiellement composées des membres de sa famille, suivront son arrivée. Le même jour, au Palais de la République, le président Abdou Diouf préside un Conseil des ministres élargi. Dans le communiqué du conseil, repris par le quotidien national "Le Soleil", le président Diouf informe avoir accédé et accepté à la demande d’asile politique du président du Tchad.
Temporairement hébergé à la Résidence de la Médina (ex-résidence du Président du Conseil -Mamadou Dia - devenue maison des Arts Douta Seck), il a d’abord voulu louer une résidence discrète, avant de disposer d’une maison pour chacune de ses deux femmes à Ouakam et aux Almadies. Après une promiscuité de plus de 20 ans, il finit par être «adopté» par la population de Ouakam. Quatre de ses six enfants issus du mariage avec sa première épouse, Fatima Reymond Habré, sont nés à Dakar.
Bienfaiteur
Habré est impliqué dans de nombreuses actions sociales dans le village de Ouakam. Youssou Ndoye, Jaraaf de Ouakam, renseigne sur les actions de Habré. «Hissène aide beaucoup de gens de ce village, renseigne-t-il. Certains sont des cas sociaux, des personnes très diminuées. Certaines personnes atteintes du cancer ont été sauvées grâce à l’action de Habré.» Les actes de générosité de l’ancien président du Tchad ne se limitent pas seulement à ces faits. «Habré a mis des moyens dans beaucoup d’activités à Ouakam. Il aide des Associations Sportives et Culturelles, il s’intéresse à beaucoup de domaines. Mais, du fait de son statut de réfugié politique, il fait dans la discrétion», lance Cheikh Fall, un jeune Ouakamois.
Ses rares sorties pour les prières du vendredi et fêtes religieuses (Tabaski ou Korité) à la grande mosquée de Dakar sont très remarquées. Habré est souvent montré à la télévision nationale, en compagnie des autorités sénégalaises. La plupart du temps, il est habillé en blanc, un bonnet, également blanc, sur la tête. Sa présence à ce lieu de culte fait aussi l’affaire des mendiants de la place. Mamadou Fadime, amputé des jambes, a eu l’occasion de le croiser. Avec l’accent le plus accusé des Mandingues, ce mendiant raconte cette journée. «Un jour de vendredi, il est venu prier et il donnait des billets de 10.000 FCFA, comme aumône à tous les mendiants qui étaient présents. A chaque fois qu’il venait à la mosquée, il faisait ce geste de grande générosité. Je ne savais pas qui était cet homme aussi bon. C’est par la suite que j’ai compris...»
Un comportement contraire de la part de l’ancien dictateur Tchadien, qui est accusé de «crime contre l’humanité, violation flagrante, arrestations arbitraires, détentions secrètes et exécutions sommaires», peu avant la chute de son pouvoir le premier décembre 1990.