Kalidou Kassé : L’évolution de cet évènement est positive. Pourquoi positive parce qu’aujourd’hui, les artistes se sont appropriés la biennale. Au début, ils se sentaient un peu mis à l’écart. On semblait privilégier le côté In. Mais finalement, les artistes ont compris que la biennale est un plateau qui permet de s’exprimer, nouer des partenariats et créer des réseaux. Je pense que c’est véritablement l’objectif de la biennale. Je pense qu’après la biennale, c’est-à-dire l’entre les deux biennales, il y a toujours des gens qui voyagent beaucoup à partir des partenariats scellés pendant la biennale.
Quelles sont les perceptives qui se dessinent ?
Les perspectives qui se dessinent simplement, c’est de travailler encore davantage pour consolider cette biennale-là parce qu’elle est très importante et très intéressante par rapport au monde entier. On retrouve beaucoup d’étrangers qui viennent. Hier (Ndlr : le 15 mai), j’ai rencontré beaucoup d’Européens, beaucoup de nationalités qui sont à Dakar dans le cadre de cette biennale. Mais je pense que souvent, il faut une certaine évaluation pour comprendre qui était venu ? Qu’est-ce qu’il est venu faire ? Quelles sont les perspectives par rapport à ces partenaires ?
Maintenant, c’est de dire aussi aux artistes de continuer à travailler pour davantage professionnaliser ce que nous sommes en train de faire. Parce que nous recevons beaucoup de monde et ces gens sont des professionnels, des galeristes. Ils viennent pour véritablement voir ce qu’on fait, partager avec nous notre travail. Mais il y a un aspect important qui me semble très, très important d’ailleurs. C’est le côté culturel de notre patrimoine. Il n’est pas bien mis en évidence pendant ces biennales. Moi, j’en ai profité pendant l’exposition de Pape Ibra Tall, non seulement, pour amener des chevaux, mais les présenter dans l’espace parce que, quand on rend hommage à quelqu’un, on doit retourner à ses racines.
Papa Ibra Tall qui aujourd’hui est un monument du Sénégal sur le plan culturel, a une tradition de chevaux dans sa famille. On amenait des chevaux pour l’accueillir. Je pense que les Européens, les Occidentaux qui étaient là, étaient séduits par la qualité de cette prestation qui, une fois encore, était quelque chose de plus dans leur démarche. Parce que souvent quand ils venaient, ils se rendaient dans les galeries. C’était pour les initiés, ils regardaient, ils parlaient entre eux, puis ils paraient. Et ça fait plusieurs années que la population ne pouvait pas se connecter par rapport à ce qui est fait.
Aujourd’hui si simplement je prends un exemple, Mbaye Pekh qui ne se connait pas en art plastique était là en train d’expliquer un tableau, c’est parce qu’il était arrivé à faire la relation entre la tapisserie de Pape Ibra Tall qui parlait de chevaux et des chevaux qui étaient en place. Il a posé des questions à Pape Ibra Tall qui lui a expliqué. Et c’est de là qu’il est parti pour comprendre ce que Pape Ibra Tall faisait à travers ses tapisseries. Moi, j’étais séduit et j’ai capté ce moment parce que c’était important pour moi. C’était en ce moment que les populations ont commencé à s’approprier des œuvres.
Peut-on faire une corrélation entre l’art et la dynamique sociale, voire entre l’artiste et sa société ?
Justement c’est ce qui s’est passé dans la rue chez nous au Sénégal avant les élections. Les populations se sont connectés à cette dynamique, les acteurs culturels, et autres. Et finalement, on s’est rendu compte que la population a adhéré par rapport à cette démarche. Quand on parle de dynamique sociale, de mouvement, c’est exactement le thème de la biennale qui est en train d’être vécu sur le terrain. Je pense qu’il est important aujourd’hui de voir que tout le monde avait ouvert ses portes, les artistes ont proposé et que la population a commencé maintenant à comprendre.
Le mot «espoir» revient dans presque tous les titres de vos tableaux. Pourquoi ?
Oui, c’est parce qu’effectivement, le thème de cette exposition porte sur la lumière et qui parle de lumière parle d’espoir. Parce que l’Afrique aujourd’hui est un peu à la mode quand on parle d’espoir. L’Africain, souvent vit d’espoir : «Yalla bakhna », c’est de l’espoir «yalla dna degg», c’est de l’espoir. On est souvent dans une situation d’attentisme, en disant que ça va aller mais souvent, je pense qu’il faut mettre la main à la pâte pour pouvoir avoir un résultat. On dit souvent, l’être humain, par essence, vit d’espoir. Et cet espoir est partagé par le monde entier.
Dans tous les milieux, dans toutes les sensibilités, les gens ont toujours l’espoir de réussir quelque chose. Il y a simplement trois sources de lumière qui sont : la source de notre esprit, la lumière de notre esprit et de notre cœur. Ce sont les trois lumières qui nous viennent dans la vie. Et c’est elles qui nous donnent véritablement envie de vivre, nous donnent envie d’voir espoir et de continuer ce qu’on fait. Mais si on perd espoir, je pense que c’est fini. Et c’est une continuité de l’exposition que je viens de finir à la galerie nationale le mois de juillet dernier (…). Et là, je suis revenu sur l’espoir mais à travers la lumière. C’est un thème que je parage avec Abderrahmane Ouardane qui est venu du Maroc spécialement pour l’exposition. Je l’ai rencontré il y a quelques années, on a pu discuter. J’ai vu que nos deux travaux se recoupaient sur le plan de la lumière et on a décidé de travailler sur le thème de la lumière et je l’ai fait invité d’honneur de cette exposition.
Pourquoi avez-vous choisi cet espace pour votre exposition ?
Le choix de cet espace n’est pas gratuit. Ça fait quatre ans que le complexe King Fahd Palace, (ex-Méridien Président) m’invitait pour exposer ici. Mais malheureusement avec mon programme, je n’avais pas eu le temps de venir. Cette fois ci quand j’ai vu que le complexe a été repris par les Sénégalais, par surtout un frère Racine Sy, je me suis dit : "C’est à nous maintenant de développer le côté culturel de cet espace". Parce que le complexe King Fahd qui appartient aux Sénégalais, qui est revenu aux mains des Sénégalais, depuis très longtemps, accompagné la promotion des artistes.
Et c’est une programmation annuelle pratiquement d’artistes qui est tenue et ils ne prennent aucun pourcentage sur les œuvres vendues. C’est le moment de consolider cela. Ceci pour dire que nous sommes ensemble et qu’il faut venir vers l’art. Le vendredi prochain à 17h, nous allons faire une cérémonie de remise de palette d’art ici. Le complexe King Fahd fait partie des espaces qui ont été primés pour cela.
Comprenez-vous qu’une œuvre d’art puisse servir de thérapie pour une personne, puisqu’on parle d’art thérapie ?
Moi, je pense qu’on devait quand même creuser davantage cet art thérapie parce qu’il ne suffit pas tout simplement de parler d’art thérapie. Tout le monde sait que l’art soigne, c’est normal. Mais, je pense qu’on devrait encore davantage creuser pour comprendre cette véritable signification de l’art thérapie. D’ailleurs quand on prend dans la globalité de l’art, ce qui s’est passé pendant la période de campagne et de pré-campagne, ce sont des expressions diverses, c’est une thérapie parce que les artistes ont pu ouvertement, à travers leur art, soigner les maux qui gangrènent notre société. Quand on parle d’art thérapie, ce sont les gens qui regardent. Vous savez, l’âme a besoin de certains éléments qui souvent nous échappent. On a besoin de certaines couleurs qui n’existent pas véritablement, qu’on n’a pas l’habitude de voir dans la nature.
L’artiste arrive à les recréer, mais à partir de la nature aussi. On a besoin certainement de certaines formes souvent qui nous interpellent dans notre conscience. On a envie de les avoir saines, complètes. C’est ce qu’on appelle la nourriture spirituelle culturelle. C’est de cela qu’il s’agit. Maintenant, à travers cette trajectoire de dynamique sociale, l’art thérapie, c’est nettement tout ce qui prend en compte les préoccupations de la société en termes de difficultés qu’on traverse. L’Afrique traverse beaucoup de difficultés et les artistes aujourd’hui se positionnent en termes d’artistes engagés pour résoudre les problèmes de cette société.
Lire et comprendre une œuvre d’art est quasiment une question d’initié. Comment un profane peut-il comprendre une œuvre ?
Personne ne comprend une œuvre d’art. Le jour où on comprendra une œuvre d’art, ce sera terminé pour les artistes. On ne comprendra jamais une œuvre d’art. On peut suggérer. L’artiste suggère, le visiteur ou le contemplateur a aussi un regard suggéré de l’artiste. Lui-même, il a ses propres sentiments. Mais on ne peut pas comprendre une œuvre d’art parce qu’une œuvre d’art fait pour l’éternité. Une œuvre d’art est faite pour ne pas être comprise. On peut l’expliquer en disant : «Oui je veux dire ceci». Mais, c’est simplement des suggestions».
L’œuvre c’est un sentiment tellement profond qu’on ne peut pas l’exprimer, on ne peut pas le toucher. L’artiste ne peut pas dire que je fais le thème du soleil, de la lumière … Chacun se voit à travers une œuvre. C’est simplement une chance que nous a donné le bon Dieu. Je crois qu’on doit lui rendre grâce de nous avoir dotés de cette capacité de créer l’émotion pour que l’autre personne aussi puisse la sentir.
Un mot sur le décès de Bocandé…
Je pense que l’Afrique a perdu un grand monument. Je profite de l’occasion pour présenter nos condoléances à toute sa famille au Sénégal et au monde entier. Bocandé a fait la fierté du Sénégal et de l’Afrique. Je me rappelle qu’en 1998 quand je suis arrivé au Caire, la première fois, où on avait une exposition internationale, tout de suite un Egyptien m’a dit : « Bocando !». J’ai dit : «Bocando»? Mais c’est extraordinaire. Il m’a dit oui. J’ai dit qu’est-ce que vous en savez ? Il me dit qu’ils connaissent Bocando. Donc Bocandé, c’était vraiment la star. J’ai dit : «c’est extraordinaire». Voilà un ambassadeur ! lesenegalais.net