Des acteurs en "costumes d'époque" grossièrement incrustés sur des paysages du désert rejouent, dans un studio bas de gamme, la vie du prophète Mahomet : ce film amateur de mauvaise facture, nommé Innocence of Muslims ("l'innocence des musulmans"), avait tout, techniquement, pour passer aux oubliettes de l'histoire du cinéma. Et pourtant, en vingt-quatre heures, il a fait le tour de la Toile et enflammé l'Egypte puis la Libye, provoquant la mort de l'ambassadeur et de trois autres membres de l'ambassade américaine en Libye.
Loin de s'arrêter à la médiocre qualité du film, des milliers de personnes dans le monde arabe se sont offusquées de ce brûlot anti-islam. La bande-annonce de 13 minutes en anglais diffusée sur YouTube s'ouvre sur une scène où les forces de sécurité égyptiennes restent stoïques, alors que des musulmans pillent et brûlent les maisons de coptes égyptiens. L'histoire nous emmène alors à l'époque du prophète Mahomet, où celui-ci apparaît tour-à-tour comme un enfant bâtard, un coureur de jupons irresponsable, un homosexuel, un pédophile et un voleur assoiffé et cupide. Avec pour disciples des musulmans égyptiens au fort accent new-yorkais, qui se montrent particulièrement amoraux et violents à l'encontre des coptes.
5 MILLIONS DE DOLLARS, TROIS MOIS DE TOURNAGE
Ce pamphlet a été réalisé et produit par un illustre inconnu : Sam Bacile, un promoteur immobilier israélo-américain de 54 ans originaire du sud de la Californie. Le film, dont la version intégrale dure deux heures, a été produit avec 5 millions de dollars levés auprès d'une centaine de donateurs juifs, que Sam Bacile s'est refusé à identifier. Pendant trois mois, à l'été 2011, 59 acteurs et une équipe de 45 personnes ont travaillé en Californie sur Innocence of Muslims. Mais Sam Bacile a de plus grandes ambitions : "Je projette de faire une série de 200 heures" sur le sujet, a-t-il annoncé.
Dans un entretien au Wall Street Journal, le réalisateur justifie sa démarche d'un laconique : "L'islam est un cancer." Sam Bacile dit avoir voulu aider Israël, son pays d'origine, en montrant au monde les défauts de l'islam. "Le film est politique. Pas religieux, se défend-il pourtant. Le principal problème est que je suis le premier à mettre à l'écran quelqu'un qui représente le prophète Mahomet. Ça les rend fou, s'est défendu Sam Bacile. Mais nous devons ouvrir les vannes. Après le 11-Septembre, tout le monde doit être jugé, même Jésus, même Mahomet, a-t-il ajouté. Les Etats-Unis ont perdu beaucoup d'argent et de personnes dans leurs guerres en Irak et en Afghanistan, mais nous nous battons avec des idées ", a-t-il déclaré au Sacramento Bee.
LE SOUTIEN DE TERRY JONES
L'œuvre de Sam Bacile a également reçu le soutien aux Etats-Unis de membres conservateurs de la communauté copte, à l'instar de Morris Sadek, à la tête d'un petit groupe appelé "L'Assemblée nationale copte américaine" . Cet Egyptien copte, lui-même très connu aux Etats-Unis pour ses positions anti-islam, a indiqué qu'il faisait également la promotion de ce film sur son site Internet et devant certaines chaînes de télévisions. "Les violences engendrées en Egypte sont une preuve supplémentaire de combien la religion et les gens sont violents en Egypte, et une preuve que le film ne montre que des faits réels", s'est-il borné à commenter après les incidents du 11-Septembre. Selon Terry Jones et Morris Sadek, le film montre en effet la répression à laquelle les coptes font face en Egypte.
Morris Sadek manifestant en septembre 2010 devant le siège national de la presse, aux Etats-Unis :
UNE TRAINÉE DE POUDRE SUR LA TOILE ARABE
Ignoré aux Etats-Unis, le film a finalement trouvé son public dans le monde arabe. Traduit en dialecte égyptien par des anonymes, cette version en arabe a circulé ces derniers jours sur le site de micro-blogging Twitter, puis sur les chaînes d'information arabes, et égyptiennes notamment. Pendant plusieurs jours, les médias égyptiens ont diffusé des extraits du film et invité des représentants musulmans ultraconservateurs, qui l'ont dénoncé. Morris Sadek a été accusé d'en être l'instigateur.
Dans l'extrait ci-dessus, la chaîne de télévision El-Mokhales reçoit le cheikh Khaled Abdallah — connu pour ses attaques véhémentes contre l'Iran, telles que "L'Iran est plus dangereux pour nous que les Juifs"— qui présente le film comme un complot américano-copte. Alors que la polémique enflait en Egypte, l'Eglise copte et l'ambassade américaine en Egypte ont formellement condamné le film, comme le rapporte le quotidien égyptien Al-Masry Al-Youm, avant même que n'éclate les violences.
Ces condamnations n'auront pas suffi à apaiser la rue arabe. De violentes manifestations ont éclaté au Caire dans la soirée, puis à Benghazi, en Libye, où l'ambassadeur américain et trois autres membres de l'ambassade ont été tués dans l'attaque du consulat. Bien que confus par cet épilogue meurtrier, Sam Bacile n'en a pas moins blâmé le manque de sécurité de l'ambassade américaine en Libye et les instigateurs de ces violences. "Je pense que le système de sécurité n'est pas bon", a-t-il dit au Sacramento Bee. "L'Amérique doit faire quelque chose pour améliorer cela."
Dépassé par les événements, le réalisateur se cache désormais. Sam Bacile, conscient des risques qu'il encourrait à faire ce film, a indiqué au Sacramento Bee avoir prévenu son consultant pour le film, Steve Klein : "Tu vas être le prochain Theo Van Gogh." Le réalisateur danois Theo Van Gogh avait été tué par un extrémiste musulman en 2004 après avoir réalisé un film vu comme insultant pour l'islam. "On s'est lancé dans ce film en sachant que ça pourrait arriver", a ajouté Steve Klein. Et avec certainement en tête également les violentes protestations qu'avait entraîné en 2005 la diffusion de caricatures de Mahomet au Danemark.
Loin de s'arrêter à la médiocre qualité du film, des milliers de personnes dans le monde arabe se sont offusquées de ce brûlot anti-islam. La bande-annonce de 13 minutes en anglais diffusée sur YouTube s'ouvre sur une scène où les forces de sécurité égyptiennes restent stoïques, alors que des musulmans pillent et brûlent les maisons de coptes égyptiens. L'histoire nous emmène alors à l'époque du prophète Mahomet, où celui-ci apparaît tour-à-tour comme un enfant bâtard, un coureur de jupons irresponsable, un homosexuel, un pédophile et un voleur assoiffé et cupide. Avec pour disciples des musulmans égyptiens au fort accent new-yorkais, qui se montrent particulièrement amoraux et violents à l'encontre des coptes.
5 MILLIONS DE DOLLARS, TROIS MOIS DE TOURNAGE
Ce pamphlet a été réalisé et produit par un illustre inconnu : Sam Bacile, un promoteur immobilier israélo-américain de 54 ans originaire du sud de la Californie. Le film, dont la version intégrale dure deux heures, a été produit avec 5 millions de dollars levés auprès d'une centaine de donateurs juifs, que Sam Bacile s'est refusé à identifier. Pendant trois mois, à l'été 2011, 59 acteurs et une équipe de 45 personnes ont travaillé en Californie sur Innocence of Muslims. Mais Sam Bacile a de plus grandes ambitions : "Je projette de faire une série de 200 heures" sur le sujet, a-t-il annoncé.
Dans un entretien au Wall Street Journal, le réalisateur justifie sa démarche d'un laconique : "L'islam est un cancer." Sam Bacile dit avoir voulu aider Israël, son pays d'origine, en montrant au monde les défauts de l'islam. "Le film est politique. Pas religieux, se défend-il pourtant. Le principal problème est que je suis le premier à mettre à l'écran quelqu'un qui représente le prophète Mahomet. Ça les rend fou, s'est défendu Sam Bacile. Mais nous devons ouvrir les vannes. Après le 11-Septembre, tout le monde doit être jugé, même Jésus, même Mahomet, a-t-il ajouté. Les Etats-Unis ont perdu beaucoup d'argent et de personnes dans leurs guerres en Irak et en Afghanistan, mais nous nous battons avec des idées ", a-t-il déclaré au Sacramento Bee.
LE SOUTIEN DE TERRY JONES
Sam Bacile s'attendait-il à recevoir autant d'attention autour de ce film ? Le film n'a été projeté qu'une seule fois au début de l'année dans un cinéma de Hollywood, aux Etats-Unis, devant un public clairsemé, a précisé le réalisateur. Jusqu'à présent, le trailer en anglais, disponible depuis juillet sur YouTube, n'avait pas vraiment fait le buzz.
C'était sans compter le soutien de personnalités américaines connues pour leur position anti-islam, comme le très controversé pasteur Terry Jones. Ce dernier s'est attiré de nombreuses critiques par le passé, notamment pour avoir brûlé un exemplaire du Coran et s'être résolument opposé à la construction d'une mosquée près de Ground Zero à New York. A l'occasion de la Journée internationale du jugement de Mahomet, qu'il organise chaque 11 septembre, le pasteur a annoncé qu'il diffuserait cet extrait du film dans son église de Gainesville, en Floride. "C'est une production américaine, qui n'a pas pour objectif d'attaquer les musulmans, mais de montrer l'idéologie destructive de l'islam", a expliqué le pasteur dans un communiqué publié par le Wall Street Journal. Le film était aussi diffusé en direct sur le site Internet du mouvement du pasteur américain. .L'œuvre de Sam Bacile a également reçu le soutien aux Etats-Unis de membres conservateurs de la communauté copte, à l'instar de Morris Sadek, à la tête d'un petit groupe appelé "L'Assemblée nationale copte américaine" . Cet Egyptien copte, lui-même très connu aux Etats-Unis pour ses positions anti-islam, a indiqué qu'il faisait également la promotion de ce film sur son site Internet et devant certaines chaînes de télévisions. "Les violences engendrées en Egypte sont une preuve supplémentaire de combien la religion et les gens sont violents en Egypte, et une preuve que le film ne montre que des faits réels", s'est-il borné à commenter après les incidents du 11-Septembre. Selon Terry Jones et Morris Sadek, le film montre en effet la répression à laquelle les coptes font face en Egypte.
Morris Sadek manifestant en septembre 2010 devant le siège national de la presse, aux Etats-Unis :
UNE TRAINÉE DE POUDRE SUR LA TOILE ARABE
Ignoré aux Etats-Unis, le film a finalement trouvé son public dans le monde arabe. Traduit en dialecte égyptien par des anonymes, cette version en arabe a circulé ces derniers jours sur le site de micro-blogging Twitter, puis sur les chaînes d'information arabes, et égyptiennes notamment. Pendant plusieurs jours, les médias égyptiens ont diffusé des extraits du film et invité des représentants musulmans ultraconservateurs, qui l'ont dénoncé. Morris Sadek a été accusé d'en être l'instigateur.
Dans l'extrait ci-dessus, la chaîne de télévision El-Mokhales reçoit le cheikh Khaled Abdallah — connu pour ses attaques véhémentes contre l'Iran, telles que "L'Iran est plus dangereux pour nous que les Juifs"— qui présente le film comme un complot américano-copte. Alors que la polémique enflait en Egypte, l'Eglise copte et l'ambassade américaine en Egypte ont formellement condamné le film, comme le rapporte le quotidien égyptien Al-Masry Al-Youm, avant même que n'éclate les violences.
Ces condamnations n'auront pas suffi à apaiser la rue arabe. De violentes manifestations ont éclaté au Caire dans la soirée, puis à Benghazi, en Libye, où l'ambassadeur américain et trois autres membres de l'ambassade ont été tués dans l'attaque du consulat. Bien que confus par cet épilogue meurtrier, Sam Bacile n'en a pas moins blâmé le manque de sécurité de l'ambassade américaine en Libye et les instigateurs de ces violences. "Je pense que le système de sécurité n'est pas bon", a-t-il dit au Sacramento Bee. "L'Amérique doit faire quelque chose pour améliorer cela."
Dépassé par les événements, le réalisateur se cache désormais. Sam Bacile, conscient des risques qu'il encourrait à faire ce film, a indiqué au Sacramento Bee avoir prévenu son consultant pour le film, Steve Klein : "Tu vas être le prochain Theo Van Gogh." Le réalisateur danois Theo Van Gogh avait été tué par un extrémiste musulman en 2004 après avoir réalisé un film vu comme insultant pour l'islam. "On s'est lancé dans ce film en sachant que ça pourrait arriver", a ajouté Steve Klein. Et avec certainement en tête également les violentes protestations qu'avait entraîné en 2005 la diffusion de caricatures de Mahomet au Danemark.
Hélène Sallon
Le Monde