
La première loi d’amnistie en faveur des acteurs politiques remonte à plus de cinquante ans. Condamné à une peine de “déportation perpétuelle dans une enceinte fortifiée” à l'issue d'un procès où il fut défendu par Robert Badinter et Abdoulaye Wade, Dia est libéré en 1974 et amnistié en 1976. Un élargissement auquel ses compagnons d’infortune comme Valdiodio Ndiaye ont dû bénéficier. “Le procès, autant qu’il me souvienne, a duré cinq jours. Je dois dire, aussi, à la décharge du magistrat sénégalais (Ousmane Goudiam) qui présidait le procès qu’il a respecté les droits de la défense.
D'après le Journal Point Actu, les avocats ont pu librement parlé; et les accusés que nous étions ont pu, également, s’exprimer librement. Sauf sur un point qui a été soulevé d’entrée de jeu, quand nos avocats ont déposé une motion récusant les députés qui ont voté l’acte d’accusation contre nous, et que nous retrouvions comme juges”, écrit Mamadou Dia dans ses “Vicissitudes de la vie d’un militant du Tiers monde”.
Mamadou Dia poursuit dans son ouvrage : “J’étais accusé : ‘d’avoir porté atteinte à la sûreté de l’Etat, d’avoir procédé à des arrestations arbitraires, d’avoir requis la force publique pour m’opposer à l'exécution des lois et des dispositions légales’. Ibrahima Sarr, Valdiodio Ndiaye, Joseph Mbaye et Alioune Tall étaient accusés de complicité à des degrés divers”. Le verdict sera sans appel. “Mamadou Dia : déportation perpétuelle, dans une enceinte fortifiée. Ibrahima Sarr, Joseph Mbaye et Valdiodio Ndiaye, vingt ans de détention criminelle, Alioune Tall : cinq ans d’emprisonnement et dix ans d’interdiction de droits politiques”, raconte l’ancien Président du Conseil.
Douze après, Dia et compagnie sont libérés à la suite d’une forte pression nationale et internationale. La loi d’amnistie en leur faveur sera votée deux ans plus tard, soit en 1976. En dépit de la gravité des faits, il n'y a pas d’affrontements armés, ni de mort.
DIOUF ET LA CRISE EN CASAMANCE
La seconde loi a été initiée par le président Abdou Diouf. En tant que gestionnaire de la crise en Casamance, Diouf a, en 1991, après le cessez-le-feu et la signature d’accords, fait adopter une loi d’amnistie. Cette loi stipule : « Sont amnistiées de plein droit toutes les infractions criminelles ou correctionnelles commises entre le 1er août 1987 et le 1er juin 1991, tant au Sénégal qu’à l’étranger, en lien avec les événements dits de “Casamance” ».
WADE ET SA LOI EZZAN
La loi d’amnistie sous Wade, portée par la proposition du député feu Ibrahima Isidore Ezzan est partie de l’affaire Me Babacar Sèye. Ce dernier était le viceprésident du Conseil constitutionnel. Samedi 15 mai 1993, dans l’angoissante attente des résultats des Législatives, la voiture du juge Sèye est prise en filature sur la corniche par une Peugeot 505 à partir de laquelle les occupants ouvrent le feu et atteignent mortellement Me Sèye. Le 7 octobre 1994, la Cour d’Assises condamne Assane Diop et Pape Ibrahima Diakhaté à dix-huit ans de prison, Clédor Sène écope de vingt-deux ans de réclusion criminelle. Wade arrive au pouvoir en 2000.
Les tractations sont engagées pour libérer les trois détenus. Une première idée d'amnistie générale qui engloberait les crimes économiques, les crimes de sang, ceux de nature politique au Sénégal et à l’étranger est avancée. Elle est vite réprouvée par l’opinion. Le Président Abdoulaye Wade promulgué jeudi 17 février 2005 la loi Ezzan relative à l’amnistie politique. Ce texte offre l’impunité à tous les crimes politiques commis entre 1993 et 2004 en relation avec les élections. Cette loi, qui fut adoptée par l’Assemblée nationale le 7 janvier 2005 par 70 voix contre 20, avait fait par la suite l’objet d’un recours devant le Conseil constitutionnel. Assane Diop, Pape Ibrahima Diakhaté et Clédor Sène sont alors amnistiés.
MACKY SALL RÉCIDIVE EN 2024
Le 6 mars 2024, à quelque deux semaines de la Présidentielle de la même année, l'Assemblée nationale du Sénégal adopte le projet de loi d'amnistie portant sur les faits liés aux manifestations politiques ayant secoué le pays entre février 2021 et février 2024. Au terme d’une journée marathon de vifs débats et d’échanges parfois houleux, le texte controversé a été approuvé par la majorité des députés. Sur les 165 parlementaires, 94 députés ont voté pour son adoption, 49 contre et 3 abstentions.
Le texte du projet de loi indique que l’amnistie couvrira “tous les faits susceptibles de revêtir la qualification d’infraction criminelle ou correctionnelle, commis entre le 1er février 2021 et le 25 février 2024, tant au Sénégal qu’à l’étranger, se rapportant à des manifestations ou ayant des motivations politiques, y compris celles faites par tous supports de communication, que leurs auteurs aient été jugés ou non”. “Cette loi d'amnistie permettra de pacifier l’espace politique et social, de raffermir davantage notre cohésion nationale et de maintenir le rayonnement démocratique de notre pays”, avait déclaré le président Macky Sall.
Cette loi bénéficie notamment aux responsables du parti dissous Pastef, Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye candidat à la présidentielle, tous deux en détention pour appel à l’insurrection, atteinte à la sûreté de l’Etat et troubles à l’ordre public entre autres charges. Selon la ministre de la Justice Aissata Tall Sall qui défendait le projet de loi devant le parlement, en vertu de l'article 1 de la loi “toutes les infractions criminelles sont comprises dans le champ d'application de la loi d’amnistie”, coupant court aux interpellation de députés de l'opposition notamment ceux de l'ex Pastef qui craignent que des "crimes de sang " ne soient concernés par l'amnistie.
Après s’être abstenus lors du passage du texte de loi devant la commission des lois de l'Assemblée nationale, les députés de l'ex-parti Pastef ont finalement voté contre la loi d'amnistie lors de la plénière. Les organisations de défense des droits humains craignent que la loi d'amnistie ne permette de couvrir les auteurs de tortures et les personnes soupçonnées d’être responsables de la répression meurtrière des manifestants entre 2021 et 2024. “Cette loi, si elle était adoptée, pourrait concrètement accorder l’impunité aux agents publics responsables de graves violations des droits humains”, a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur le Sahel à Human Rights Watch.
“Toute amnistie qui garantirait l’impunité en affranchissant les fonctionnaires gouvernementaux et les membres des forces de sécurité de leur responsabilité pour de graves violations des droits humains est incompatible avec les obligations nationales et internationales du Sénégal”, note Human Rights Watch dans un communiqué.
Selon Seydi Gassama, Directeur Exécutif d'Amnesty International Sénégal, le projet de loi d’amnistie est un “affront aux familles des victimes” et “un déni de justice qui vise à assurer l'impunité aux responsables de la mort de dizaines de Sénégalais”. Près de 1 000 personnes, dont des membres de l’opposition, des journalistes, des activistes et des manifestants avaient été arrêtés dans tout le pays entre 2021 et 2024. Aujourd’hui, des hauts responsables de Pastef parlent de 80 morts.
D'après le Journal Point Actu, les avocats ont pu librement parlé; et les accusés que nous étions ont pu, également, s’exprimer librement. Sauf sur un point qui a été soulevé d’entrée de jeu, quand nos avocats ont déposé une motion récusant les députés qui ont voté l’acte d’accusation contre nous, et que nous retrouvions comme juges”, écrit Mamadou Dia dans ses “Vicissitudes de la vie d’un militant du Tiers monde”.
Mamadou Dia poursuit dans son ouvrage : “J’étais accusé : ‘d’avoir porté atteinte à la sûreté de l’Etat, d’avoir procédé à des arrestations arbitraires, d’avoir requis la force publique pour m’opposer à l'exécution des lois et des dispositions légales’. Ibrahima Sarr, Valdiodio Ndiaye, Joseph Mbaye et Alioune Tall étaient accusés de complicité à des degrés divers”. Le verdict sera sans appel. “Mamadou Dia : déportation perpétuelle, dans une enceinte fortifiée. Ibrahima Sarr, Joseph Mbaye et Valdiodio Ndiaye, vingt ans de détention criminelle, Alioune Tall : cinq ans d’emprisonnement et dix ans d’interdiction de droits politiques”, raconte l’ancien Président du Conseil.
Douze après, Dia et compagnie sont libérés à la suite d’une forte pression nationale et internationale. La loi d’amnistie en leur faveur sera votée deux ans plus tard, soit en 1976. En dépit de la gravité des faits, il n'y a pas d’affrontements armés, ni de mort.
DIOUF ET LA CRISE EN CASAMANCE
La seconde loi a été initiée par le président Abdou Diouf. En tant que gestionnaire de la crise en Casamance, Diouf a, en 1991, après le cessez-le-feu et la signature d’accords, fait adopter une loi d’amnistie. Cette loi stipule : « Sont amnistiées de plein droit toutes les infractions criminelles ou correctionnelles commises entre le 1er août 1987 et le 1er juin 1991, tant au Sénégal qu’à l’étranger, en lien avec les événements dits de “Casamance” ».
WADE ET SA LOI EZZAN
La loi d’amnistie sous Wade, portée par la proposition du député feu Ibrahima Isidore Ezzan est partie de l’affaire Me Babacar Sèye. Ce dernier était le viceprésident du Conseil constitutionnel. Samedi 15 mai 1993, dans l’angoissante attente des résultats des Législatives, la voiture du juge Sèye est prise en filature sur la corniche par une Peugeot 505 à partir de laquelle les occupants ouvrent le feu et atteignent mortellement Me Sèye. Le 7 octobre 1994, la Cour d’Assises condamne Assane Diop et Pape Ibrahima Diakhaté à dix-huit ans de prison, Clédor Sène écope de vingt-deux ans de réclusion criminelle. Wade arrive au pouvoir en 2000.
Les tractations sont engagées pour libérer les trois détenus. Une première idée d'amnistie générale qui engloberait les crimes économiques, les crimes de sang, ceux de nature politique au Sénégal et à l’étranger est avancée. Elle est vite réprouvée par l’opinion. Le Président Abdoulaye Wade promulgué jeudi 17 février 2005 la loi Ezzan relative à l’amnistie politique. Ce texte offre l’impunité à tous les crimes politiques commis entre 1993 et 2004 en relation avec les élections. Cette loi, qui fut adoptée par l’Assemblée nationale le 7 janvier 2005 par 70 voix contre 20, avait fait par la suite l’objet d’un recours devant le Conseil constitutionnel. Assane Diop, Pape Ibrahima Diakhaté et Clédor Sène sont alors amnistiés.
MACKY SALL RÉCIDIVE EN 2024
Le 6 mars 2024, à quelque deux semaines de la Présidentielle de la même année, l'Assemblée nationale du Sénégal adopte le projet de loi d'amnistie portant sur les faits liés aux manifestations politiques ayant secoué le pays entre février 2021 et février 2024. Au terme d’une journée marathon de vifs débats et d’échanges parfois houleux, le texte controversé a été approuvé par la majorité des députés. Sur les 165 parlementaires, 94 députés ont voté pour son adoption, 49 contre et 3 abstentions.
Le texte du projet de loi indique que l’amnistie couvrira “tous les faits susceptibles de revêtir la qualification d’infraction criminelle ou correctionnelle, commis entre le 1er février 2021 et le 25 février 2024, tant au Sénégal qu’à l’étranger, se rapportant à des manifestations ou ayant des motivations politiques, y compris celles faites par tous supports de communication, que leurs auteurs aient été jugés ou non”. “Cette loi d'amnistie permettra de pacifier l’espace politique et social, de raffermir davantage notre cohésion nationale et de maintenir le rayonnement démocratique de notre pays”, avait déclaré le président Macky Sall.
Cette loi bénéficie notamment aux responsables du parti dissous Pastef, Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye candidat à la présidentielle, tous deux en détention pour appel à l’insurrection, atteinte à la sûreté de l’Etat et troubles à l’ordre public entre autres charges. Selon la ministre de la Justice Aissata Tall Sall qui défendait le projet de loi devant le parlement, en vertu de l'article 1 de la loi “toutes les infractions criminelles sont comprises dans le champ d'application de la loi d’amnistie”, coupant court aux interpellation de députés de l'opposition notamment ceux de l'ex Pastef qui craignent que des "crimes de sang " ne soient concernés par l'amnistie.
Après s’être abstenus lors du passage du texte de loi devant la commission des lois de l'Assemblée nationale, les députés de l'ex-parti Pastef ont finalement voté contre la loi d'amnistie lors de la plénière. Les organisations de défense des droits humains craignent que la loi d'amnistie ne permette de couvrir les auteurs de tortures et les personnes soupçonnées d’être responsables de la répression meurtrière des manifestants entre 2021 et 2024. “Cette loi, si elle était adoptée, pourrait concrètement accorder l’impunité aux agents publics responsables de graves violations des droits humains”, a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur le Sahel à Human Rights Watch.
“Toute amnistie qui garantirait l’impunité en affranchissant les fonctionnaires gouvernementaux et les membres des forces de sécurité de leur responsabilité pour de graves violations des droits humains est incompatible avec les obligations nationales et internationales du Sénégal”, note Human Rights Watch dans un communiqué.
Selon Seydi Gassama, Directeur Exécutif d'Amnesty International Sénégal, le projet de loi d’amnistie est un “affront aux familles des victimes” et “un déni de justice qui vise à assurer l'impunité aux responsables de la mort de dizaines de Sénégalais”. Près de 1 000 personnes, dont des membres de l’opposition, des journalistes, des activistes et des manifestants avaient été arrêtés dans tout le pays entre 2021 et 2024. Aujourd’hui, des hauts responsables de Pastef parlent de 80 morts.