Au Sénégal, on lit autre chose que le livre. Lire et boire se confondent. Des centres de lecture même s’ils existent en petit nombre sont ouverts chaque jour : ils sont rarement pleins. Cette attitude n’est pas de nature à permettre de faire rêver, d’embarquer la jeunesse vers l’aventure, d’éradiquer complètement l’analphabétisme mais plutôt de permettre l’enracinement de la médiocrité.
Quelle serait la place d’un écrivain dans une société où le taux d’analphabètes est toujours élevé ? Comment pourrait-il tirer profit des œuvres qu’il a déjà produites ? La lecture c’est un loisir, dirait-on.
Dans les milieux ruraux, le livre n’est pas mieux considéré. Il ne préoccupe pas beaucoup de personnes. Même un élève sachant bien lire et écrire, il n’en fait pas une préoccupation, il manifeste peu d’intérêt à la lecture (sauf quelque exception). Car, le milieu dans lequel on vit n’est pas de nature à permettre de consacrer son temps à la lecture si ce n’est par obligation. Vivre loin des centres urbains éclairés ne permet pas de faire quoi que ce soit.
Par exemple un élève qui rentre de l’école doit faire une marche de plus d’une heure, les cahiers dans ses mains pour regagner la maison parentale perchée sur les collines couvertes d’épaisses plantations de bananeraies.
A la maison, il s’occupe d’abord des travaux de la famille : puiser de l’eau au marigot, cherché du bois de chauffe, prépare à manger. Il ne songera qu’à la préparation de ses cours après ces travaux.
De nombreux jeunes des milieux ruraux vivent dans des conditions pareilles. Le milieu dans lequel on fait ses études influe beaucoup sur l’attitude à adopter devant un livre.
Que faire quand un professeur de français n’incite pas ses élèves à aimer le livre ? Ainsi donc être ou avoir été au banc de l’école n’est pas synonyme d’éprouver un besoin de lire. Toutes ces difficultés handicapent les initiatives visant la promotion des jeunes écrivains, les rares qui puissent exister.
Construire une société, une jeunesse intéressée par le livre ; c’est imaginer les mécanismes à mettre en œuvre pour réussir le changement des mentalités qui doit d’abord être précédée par une amélioration des conditions de vie. La pauvreté ne permet pas de s’acheter un bon livre. Entre le livre et la ration journalière difficilement gagnée, on choisit de sauver la vie et de se passer aisément du livre.
Des sociétés qui ne connaissaient pas l’écriture avaient une façon à eux de sauver sa mémoire. Comment saurions-nous l’histoire de nos ancêtres, de nos royaumes etc si le griot n’existait pas ? Pourquoi se convaincre toujours que l’Afrique, berceau de l’Humanité, restera toujours le repaire de tous les maux ?
Les progrès de la scolarisation sont encore insuffisants.
Au Sénégal, deux tiers des enfants sont inscrits à l’école mais ce chiffre cache une sous-représentation des filles et une fréquentation irrégulière pour de nombreux élèves. Il faut dire que la gratuité, souhaitée par plusieurs dirigeants à l’indépendance n’est toujours pas réalisée.
Et bien que le coût de l’école soit modique, il est souvent excessif pour les familles pauvres, d’autant qu’il faut y ajouter le matériel scolaire, et parfois celui d’un uniforme. Quant à l’enseignement secondaire, il reste l’apanage des classes moyennes …»
Malgré les problèmes liés à l’analphabétisme, au manque d’intérêt à la lecture ou la créativité, il naît petit à petit au Sénégal une génération d’écrivains.