Après avoir longtemps vécu en Normandie, il est retourné s’installer à Conakry en 2012, à 65 ans. Le romancier peul témoigne des violences des derniers jours, qui ont vu les forces de l’ordre réprimer une grande manifestation, le 27 février, faisant 150 blessés et un mort selon les chiffres de l’opposition.
Tierno Monénembo reste indépendant et ne fait partie d’aucune formation politique, mais il critique avec virulence le régime d’Alpha Condé. Opposant historique ayant longtemps vécu en France, lui aussi, Alpha Condé a été élu président en novembre 2010 à l’issue d’un scrutin contesté.
Deux ans et demi plus tard, il n’a toujours pas organisé des élections législatives qui devaient se tenir dans les six mois, après la présidentielle. Des élections que le pouvoir sait pouvoir perdre, alors que l’opposition piaffe d’impatience.
Rue89. Quelle a été la situation à Conakry ces derniers jours ?
Tierno Monénembo La circulation a été bloquée et des bagarres ont signalées entre des jeunes et des forces de l’ordre dans plusieurs quartiers, Hamdallaye, Bambéto, etc. Le pays est dans la fournaise. L’opposition réclame que le pouvoir renonce à confier la révision du fichier électoral à une société sud-africaine, Waymark, sollicitée sans appel d’offre et qui aurait mis au point un logiciel qui permettrait de tricher. L’opposition réclame aussi que les Guinéens de l’extérieur, entre 2 et 3 millions de personnes, aient le droit de vote lors des prochaines législatives. Il faut savoir que c’est un électorat acquis à l’opposant Cellou Dalein Diallo.»
Quels sont les dangers ?
Le pouvoir est buté, comme tous les pouvoirs autocratiques, il est arrogant et sans imagination. Alpha Condé pense qu’on peut encore diriger comme Sékou Touré, Eyadéma ou Mobutu, mais c’est fini ! La démocratie devient indispensable partout, sur toute la planète ! Alpha Condé est largement minoritaire : ses alliés de la coalition arc-en-ciel ont rejoint l’opposition, et il y avait mercredi une foule impressionnante dans les rues de Conakry. J’ai participé à la marche et assisté à des violences. L’armée, avec les nervis du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG, au pouvoir), a arrosé la population de pierres et de grenades lacrymogènes.
Y a-t-il un risque de coup d’Etat ?
Je ne le souhaite pas, mais en cas de crise, il est presque physiologique que l’armée reprenne le pouvoir pour contrôler l’ordre public.
La Guinée est-elle éclipsée par la situation au Mali ?
La presse évidemment braque ses projecteurs sur le Mali, mais ce pays ne doit pas occulter tous les autres problèmes de l’Afrique ! Mais c’est vrai, deux éléments de la crise malienne sont extraordinairement inquiétants : la sécession et l’islamisme. Par chance, la Guinée n’a pas connu de mouvement sécessionniste, malgré tous ses problèmes. Les mosquées wahhabites existent chez nous, mais elles restent marginales. L’islamisme n’en est pas moins une menace potentielle dans tous les pays musulmans, où les islamistes disposent de mouvements structurés dans les populations les plus pauvres, qui peuvent basculer.
Que pensez-vous de l’intervention militaire de la France au Mali ?
Pour une fois, je ne suis pas contre une intervention militaire en Afrique. Face à l’islamisme tel qu’il était pratiqué à Gao, Kidal et Tombouctou, c’était la seule solution. Mais cette intervention témoigne largement de l’échec des élites politiques et militaires du continent africain depuis l’indépendance !
Cette présence de la France au Mali ouvre-t-elle une ère plus vertueuse pour la « Françafrique » ?
C’est très difficile de réformer des systèmes monolithiques, faits de copinage, d’intérêts particuliers, de magouilles, de privatisation des ressources au profit de groupes de copains. Depuis Pompidou, Giscard et Mitterrand, il est question de réformer le système. C’est un peu comme vouloir réformer le communisme ! D’une certaine manière, Alpha Condé, qui a pour ami de lycée un certain Bernard Kouchner, est le fils naturel de la Françafrique. Il n’y a en France aucun état d’âme sur les actions d’Alpha Condé en Guinée. Ce président ne sera jamais sanctionné, alors qu’il est véritablement critiquable…