Dans ce visage malmené par le poids de l’âge, on sent la peur de la défaite, mais surtout l'angoisse d'une mort hors d’un pouvoir derrière lequel, il aura couru pendant 26 ans, avant d’en user largement avec tous les avantages pendant une bonne douzaine d'année. Il ne se voyait plus vivre sans pouvoir, il n'est pas préparé - sa famille et son entourage non plus - à vivre hors du pouvoir. Ces hommes se sont trompés de périodes et de peuples se croyant encore à l’ère de ces monarchies où une famille seule pouvait user à sa guise de l’exercice du pouvoir et le transmettre à sa descendance en piétinant, au nom du principe de « l’exo-intransmissibilité », les règles élémentaires régissant la commune volonté de vivre ensemble et le pacte social. Ces Royaumes de type médiévale où le concept wolof de « Nguur » avait une charge symbolique qui excluait systématiquement le principe de redevabilité du pouvoir et permettait de diluer le pouvoir dans la parenté ou la parenté dans le pouvoir.
Pour toutes ces considérations mais surtout, pour tout ce que ce régime aura fait dans la précarisation des conditions de vie des sénégalais, aujourd’hui plus que jamais, le nécessaire et vital départ de Wade doit rester une position de principe fondamentale sur laquelle personne ne doit revenir. Pour ceux qui, comme moi (et je l’assume en toute responsabilité) n'avaient pas voté Macky au premier tour, ils doivent se résoudre à l’idée que le premier combat à mener c’est de montrer à qui veut voir, que le vrai conseil constitutionnel légitime reste le peuple. C’est dire que par le second tour, on doit invalider cette candidature que nous avons tentée de combattre pacifiquement par la rue, mais que la barbarie policière avait réussi à sauver. Alors sensibilisons nos proches, parents, amis, voisins et connaissances et allons voter massivement au second tour pour en finir définitivement et irrémédiablement avec Wade et son.
Cependant, au seuil de ce second tour ô combien déterminant pour l’avenir du Sénégal, nous osons espérer qu’au lieu de négocier sur la base de postes, sinécures et autres strapontins, les partis d’opposition qui vont soutenir Macky, exigeront essentiellement de lui certaines réformes allant dans le sens de renforcer les acquis démocratiques et les conditions de vie des sénégalais. Ces partis devront ensuite s’atteler à travailler pour les législatives et œuvrer à équilibrer les différents pouvoirs, surtout si l’on sait que le temps qui reste d’ici les législatives ne permettra pas à Macky d’asseoir une machine politique susceptible de lui donner une majorité absolue.
A ceux qui ont voté contre Wade au premier tour et qui, aujourd’hui disent ne pas accorder une confiance à Macky, je dis ceci : Je n’ai confiance ni en Macky, ni en aucun autre homme politique, d’autant que je n’ai jamais cru à l’existence d’hommes providentiels. Le seul et unique acteur en qui j’ai véritablement confiance et qui me redonne espoir pour notre cher Sénégal, reste et demeure le peuple Sénégalais avec cette conscience citoyenne collectivement construite par les acteurs politiques et la société civile. Cette conscience libératrice de notre énergie créatrice est en construction certes, mais elle a commencé lentement mais sûrement et agréablement à faire ses effets.
Par ailleurs, le plus important dans ce qui est en train de se passer aujourd’hui dans notre pays, c’est qu’on va forcément assister à une recomposition de l’espace politique favorable à l’expression de la démocratie et l’instauration d’un jeu démocratique constructif. Ce qui est sûr, c’est que rien ne sera plus comme avant car le peuple a pris résolument son destin en main, il commence à être exigeant et sait dire NON quand il le faut. Ceci d’autant que, contrairement à Wade qu’on avait élu avec une euphorie et une confiance sans limite, Macky sera élu avec des réserves et des doutes fondés et légitimes dans un contexte où les dispositifs de contrôle et les mécanismes de veille restent fonctionnels et efficaces. Ces honnêtes citoyens qui ont pris la décision de rester les sentinelles de la démocratie ne laisseront personne revenir sur les acquis démocratiques que le peuple a arrachés à travers sa trajectoire historique par une lutte intense qui a vu par moment du sang couler. L’idée qui veut que « tout peuple qui s’endort en liberté se réveillera en servitude » est une constante dans toute l'Histoire de l'Humanité et sous Wade, les Sénégalais l’ont très bien compris!
Le combat est long et périlleux, des batailles ont été gagnées certes, d’autres perdues peut être mais le plus important reste l’extirpation de wade et des « wadolâtres » du pouvoir d’abord, puis l’exigence de nouveaux modes de gouvernance en rupture totale avec ce qu’on a connu de l’administration coloniale à Wade en passant par Senghor et Diouf.
Ne soyons pas naïf, il est clair que le régime en place fera feu de tout bois pour rester au pouvoir, mais il ne pourra rien contre la détermination du peuple à en finir avec lui. Le triste constat cependant c’est que Wade et son clan partiront certes, mais en nous laissant des plaies béantes parce que dans leurs ultimes stratégies de survie dictées par leurs instincts de conservation, ils auront activé les leviers sensibles et « patricides » de l’ethnie, de la religion et même du terroir donnant ainsi un sacré coup à l’unité nationale et l’intégrité territoriale. Ce débat manipulateur sur l’ethnie, soutenu par certains intellectuels qui, finalement ne cherchent qu’à se particulariser dans leur sport favori, n’est qu’un aveu de faiblesse et l’expression manifeste d’une impuissance face à une défaite cuisante. Cet intrus aux élections qui surfe sur l’ethnicisation du débat politique ou la politisation du débat ethnique, n’a pas de leçons à donner sur ce plan. Le 05Janvier 2012, c’est lui-même qui au CICES, s’adressant à la communauté maure du Sénégal leur disait ceci :" Je vais réparer une injustice. Vous aurez beaucoup de députés à l'Assemblée et aussi des sénateurs parmi les quels des femmes (...) Chaque communauté doit être représentée dans les institutions de la République (...) Vous serez fortement représentés à l'Assemblée, au Sénat et dans d'autres institutions". Le 08 Janvier, cette même personne avait organisé une rencontre avec les haalpulaar à Namarél et tout cela est très récent même si l’on nous fait tout le temps croire que, les sénégalais ont la mémoire courte.
N’en déplaise à ses défenseurs, le devenir du Sénégal se construira forcément sans Wade qui appartient désormais au passé.
A tous ces Sénégalais (les jeunes surtouts) engagés dans ce noble élan nous disons ceci : Si tant est que notre combat dépasse de loin l’élection d’un président de la République, soyons exigeants d’abord avec nous-mêmes et restons patients devant la grandeur des changements que nous souhaitons. Sachons que le monde ne se change pas en un mouvement ; une démocratie respectueuse et audacieuse (en Afrique surtout) et une citoyenneté responsable et agissante se construisent avec douleur dans le temps et l’espace. Même si elle reste importante, la volonté de changer l’existant n’est rien face à des réalités structurelles qui ont par fois l’âge de nos sociétés. Soyons conscients qu’il nous faut du temps, de l’abnégation, beaucoup de courage et d’humilité surtout pour arriver à avoir une population avertie qui fonde ses choix sur des considérations objectives et des logiques de vote déconnectées de certaines réalités socioculturelles ou existentielles. Tous ces changements ou transformations que nous voulons de nous mêmes, des citoyens, de nos partis politiques et de leur fonctionnement, de nos institutions, de nos autorités politiques et religieuses, bref de toute la société et ses différentes composantes, demandent un investissement à long terme, un sacrifice sans précédant, une détermination sans faille, et une constance inébranlable par rapport aux principes. Dés lors, aux impatients nous disons: abstenez-vous car avec l'impatience comme qualité, vous n’avez pas de place dans ce combat qui n’est en réalité qu’à ses préliminaires!
Demain fera jour et demain sera un autre jour, le futur s'impose mais l'avenir se construit. Celui du Sénégal ne sera radieux que si d'abord les sénégalais que nous sommes décidons qu'il le soit. Les politiques, leurs projets de société et la mise en œuvre de leurs programmes ne seront qu'en harmonie avec nos aspirations et exigences légitimes. Alors, l’avenir appartenant au peuple et au peuple seulement, quelque soit le candidat issu de l’opposition qui sera élu, il suffit que le peuple soit exigeant avec lui-même d’abord et ensuite avec ses gouvernants pour que le progrès puisse être envisageable et envisagé.
Vive le Sénégal ! Vive ceux qui disent NON quand il le faut ! Unis, nous vaincrons !
Iba Mar Faye (ibamarfaye@gmail.com)