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L’homme multidimensionnel a tiré sa révérence vendredi : Hommage à un « Seigneur » nommé Cheikh Ousmane Diagne


L’homme multidimensionnel a tiré sa révérence vendredi : Hommage à un « Seigneur » nommé Cheikh Ousmane Diagne
Il  était assurément de la race des Seigneurs. Un aristocrate mais aussi un dandy, du temps de sa splendeur. Elégant dans le port, élégant dans le geste, élégant dans le propos. Un gentleman. 
Cheikh Ousmane Diagne, qui nous a quittés vendredi dernier, était tout cela à la fois mais bien autre chose encore. C’était un être multidimensionnel, un homme de son temps, un grand connaisseur non seulement de la société sénégalaise, mais aussi de l’histoire française et de la civilisation arabo-islamique. Industriel — il fut l’un des premiers si ce n’est le premier président du patronat sénégalais —, chef spirituel, politique au sens noble du terme, médiateur social, mécène… 
Cheikh Ousmane Diagne a eu plusieurs casquettes dans sa vie. 
Bien évidemment, il peut paraître présomptueux  de vouloir cerner le Grand homme qu’il était dans l’espace étroit d’un article de journal. Car, si le livre que lui a consacré le journaliste Saër Ndiaye n’a pas suffi à le restituer tout entier, ce n’est pas un papier d’hommage qui va prétendre réussir cet exercice. Je me contenterai donc de parler de quelques aspects de la vie du Monument — sans exagération aucune — qui vient de tirer sa révérence. 
Au lendemain de l’indépendance, il fut le premier à avoir osé —  parce qu’il fallait le faire à l’époque ! — importer des voitures américaines dont il était le concessionnaire à Dakar. Ses multiples voyages aux Etats-Unis alors que le Sénégal commençait à peine de s’émanciper de la plus que pesante tutelle française, l’avaient fait accuser d’être un espion des Américains ! Dans les années 90, il racontait cela avec le sourire mais au lendemain des indépendances, évidemment, une telle accusation ne faisait pas rire. Ceux qui l’ont connu au cours de ces années flamboyantes racontent qu’il roulait en Rolls Royce à Paris avec un chauffeur blanc en livrée qui lui ouvrait les portes ! A l’époque, il brassait les millions — qui peuvent être l’équivalent de nos milliards aujourd’hui — et il croquait la vie à belles dents. 
En ces temps-là, tout le monde l’appelait « Ousmane Diagne Soseci », la Soseci (Société sénégalaise de commerce et d’industrie) étant le conglomérat qu’il avait fondé et qui alimentait notre pays en toutes sortes de denrées, notamment celles dites de première nécessité. Ne l’ayant pas connu en ces temps bénis où j’étais encore écolier au primaire, je ne puis trop m’étendre là-dessus. Ce qui était sûr, c’est que Cheikh Ousmane Diagne avait gardé de ces années fastes sa générosité légendaire, son grand altruisme, ses gestes de seigneur. Véritable encyclopédie vivante, « Le Cheikh », comme je l’ai toujours appelé, connaissait  comme nul autre l’histoire du Sénégal de ces 55 dernières années. En particulier toutes les péripéties, les anecdotes, les grands et les moins grands pour ne pas dire les plus sordides épisodes du règne du président Senghor et même de son successeur Abdou Diouf. Ne parlons pas des années Wade… Pendant des soirées entières, dans le secret de son bureau à la zone industrielle, ou dans son domicile situé en face de l’Assemblée nationale, il me déroulait le fil et me donnait les coulisses du pouvoir senghorien, en particulier, et de l’histoire du Sénégal contemporain en général. Il a survolé — oui, survolé en taisant énormément de choses — quelques épisodes de cette histoire dans son livre d’entretiens avec Saër Ndiaye. Bien évidemment, il n’y avait pas là le 1/1000ème de ce que cet homme extraordinairement réseauté connaissait. Moi, il m’adorait, comme si j’étais son propre fils, et comme il a aussi eu beaucoup d’affection pour d’autres hommes de presse, et me faisait une confiance aveugle. Ce qui fait qu’il me racontait beaucoup de choses dont il savait qu’il ne les lirait jamais dans un journal. Dans cet article, je me contenterais de rappeler quelques hauts faits à l’actif du défunt « Président Supranational du Conseil Supérieur Khadre pour l’Afrique » — un titre auquel il tenait particulièrement — qu’il fut. 
Crise sénégalo-mauritanienne – Au lendemain des événements sénégalo-mauritaniens de 1989, qui s’étaient traduits par des massacres de part et d’autre de la frontière, le Sénégal et la Mauritanie avaient décidé de rompre leurs relations diplomatiques et de fermer leurs frontières. Pendant presque trois ans, il n’y eut aucun contact entre les deux gouvernements  mais aussi entre les deux peuples siamois qui souffraient dans leur chair de cette séparation. Les présidents Abdou Diouf et Maouiya Ould Sid Ahmed Taya étaient intraitables et orgueilleux, aucun d’eux ne voulant de la réconciliation. A tout le moins, aucun ne voulait faire le premier pas. Le hasard a fait que le khalife général des Khadres à l’époque était tombé gravement malade à Nimzatt, en Mauritanie. « Le Cheikh » fit des pieds et des mains pour le faire transférer à l’hôpital Principal de Dakar où, malgré le dévouement des médecins qui s’étaient mobilisés à son chevet, le vieil homme a rendu l’âme.  Le président Abdou Diouf mit à la disposition de Cheikh Ousmane Diagne un avion pour ramener son corps en Mauritanie. Ould Taya, touché par ce geste de son homologue sénégalais, tint à recevoir en audience le Cheikh Ousmane Diagne pour lui exprimer sa gratitude et lui remettre un message pour le président Diouf. C’était le premier vrai dégel entre Dakar et Nouakchott. Quelques mois plus tard, le Sénégal et la Mauritanie rétablissaient leurs relations diplomatiques. Assurément, le Cheikh Ousmane Diagne avait joué un grand rôle dans ces retrouvailles entre deux pays voisins et frères. 
Saddam Hussein – A la veille de la première guerre d’Irak, alors que les Américains s’apprêtaient à déclencher l’opération « Tempête du désert » et que les médiateurs du monde entier se pressaient à Bagdad pour tenter de convaincre le président Saddam Hussein de faire un geste d’apaisement de manière à éviter la guerre, Cheikh Ousmane Diagne avait fait le déplacement en Irak pour tenter de sauver ce qui pouvait encore l’être. Il faisait partie des dernières personnes à avoir rencontré l’alors homme fort de Bagdad pour tenter de le ramener à la raison. En vain. Malgré tous les arguments qu’il avait développés, la fibre religieuse qu’il avait convoquée, les exemples tirés de l’Histoire qu’il avait donnés, son interlocuteur, convaincu d’avoir une mission messianique, était resté inflexible. Or, ce qui avait surtout motivé le déplacement du « Cheikh », c’était pour éviter que les lieux saints des  Khadres soient bombardés. Il en avait d’ailleurs profité, lui le Président Supranational du Conseil supérieur Khadre pour aller se recueillir au mausolée du fondateur Abdoul Khadre Dieylani mais aussi dans les autres lieux saints de la Khadrya. L’avion d’Air France à bord duquel il embarqua pour quitter Bagdad était d’ailleurs le dernier vol de la compagnie aérienne française à quitter la capitale irakienne avant le déclenchement du conflit. 
Amis de Chirac – A quelques mois de l’élection présidentielle française de 1995, tous les sondages donnaient vainqueur le Premier ministre de la cohabitation, M. Edouard Balladur. Conséquemment, la plupart des barons du RPR (Rassemblement Pour la République) lâchèrent le président de ce parti, Jacques Chirac, en rase campagne pour se rallier au panache d’Edouard Balladur. C’est pendant cette période de grande solitude pour Chirac, au moment où le vent avait tourné en sa défaveur et que tout le monde était convaincu que la cause était entendue pour lui, que Cheikh Ousmane Diagne a décidé de créer l’ « Association des amis de Jacques Chirac ». Un pari bien téméraire à l’époque ! En effet, nul n’aurait osé parier un franc CFA dévalué sur la victoire de l’ancien maire de Paris. Avec quelques amis hommes d’affaires, des membres de professions libérales, des étudiants et des universitaires, « Le Cheikh » créa son association qui organisa quelques manifestations à Dakar pour soutenir le candidat Chirac. Ce dernier, sensible, lui adressa une lettre de remerciements et le mit en rapport avec un de ses hommes de confiance, Bernard Pons si mes souvenirs sont exacts, pour qu’il suive les activités de l’association. Il me semble même qu’il fut invité en France pour rencontrer Chirac et qu’on lui demanda également d’exprimer ses besoins, mais « Le Cheikh » ne donna aucune suite à ces ouvertures, disant qu’il soutenait Chirac par amitié, sans rien attendre en retour. Parce que c’était un gaulliste convaincu, « Le Cheikh » ! Il ne pouvait pas prendre part au vote parce qu’étant Sénégalais mais il admirait beaucoup le chef de la France libre, le général De Gaulle,  dont il pouvait réciter des pages entières de la biographie. C’est donc sans surprise et en toute cohérence qu’il soutenait Chirac. Et si lui, le Cheikh, était un gaulliste convaincu, son vieux pote Amadou Sam Wagne, lui, était un socialiste pur jus et ami de Pierre Mauroy, pilier du Parti Socialiste français, ancien maire de Lille ! Dans ces conditions, je ne vous raconte pas les discussions homériques entre « Le Cheikh » et son ami Wagne… 
Pour terminer, je ne saurais taire deux marques d’affection dont m’a témoigné ce grand homme que le Sénégal n’a pas fini de pleurer. 
En 1994, le président Abdoulaye Wade avait porté plainte contre moi, en ma qualité de directeur de publication de l’hebdomadaire Le Témoin, à la suite d’un article que j’avais écrit et dans lequel je révélais qu’il avait bénéficié d’un quota de riz de la part du président Abdou Diouf. Un quota qu’il avait vendu pour se renflouer. A quelques jours du procès, notre avocat, qui défendait Le Témoin depuis sa création, m’a fait savoir qu’il ne pourrait pas me défendre cette fois-là. Cela se comprenait, c’était un militant de la LD/MPT et, à l’époque, ce parti était allié au PDS dans le cadre d’une coalition. Son parti s’était opposé à ce qu’il plaide pour moi contre l’allié Wade. C’est donc au pied levé que Me Cheikh Koureyssi Bâ, qui était pourtant un militant du PDS, avait accepté de me défendre. Le jour du procès, quand je me suis rendu au tribunal, il y avait une seule personne qui était venue me soutenir : Cheikh Ousmane Diagne. « Là où on te tueras, je mourrais avec toi ! » m’a-t-il simplement dit. 
Quelques années plus tard, une bombe artisanale a explosé dans ma maison, pulvérisant la moitié du salon. Parmi les premières personnes à arriver sur lieux, il y avait eu, là encore, Cheikh Ousmane Diagne, qui avait dit aux membres de sa famille qui tentaient de le retenir : « Je me rends chez Oumar Ndiaye, s’il y a une deuxième bombe qui doit y exploser, elle nous soufflera ensemble ! » 
Je m’arrête là en présentant mes condoléances attristées à sa veuve, la distinguée Tata Pénéré Niane, qui l’a accompagné avec autant de grâce, de distinction, de dévouement et de fidélité pendant toutes ces décennies et qui a toujours tenu table ouverte chez elle. Mes condoléances aussi à ma sœur, Me Dior Diagne, à Anta, à Souadou, à Abdou et à tous les autres ainsi qu’aux milliers de disciples khadres du Sénégal et de la Mauritanie pour qui « Le Cheikh » fut plus qu’un guide spirituel, un bailleur de fonds inlassable, un père, un ami, un frère. Sans oublier, bien sûr, ses compagnons El Hadj Mansour Mbaye et Ousmane Sène Blay de Rufisque qui doivent être inconsolables en ce moment, assurément. Repose en paix, « Le Cheikh », et que Dieu t’accueille dans Son Paradis ! 
Mamadou Oumar NDIAYE


Jeudi 20 Octobre 2016 - 06:23





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