La BRVM, un champion en mal de supporteurs locaux


La valeur globale des entreprises cotées à la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM), basée à Abdidjan (Côte d'Ivoire), a franchi la barre des 5000 milliards de francs CFA, mais ce record masque le déficit de culture boursière du grand public et des investisseurs potentiels de l'Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA).

En début de semaine, la capitalisation boursière du marché des actions de la BRVM a atteint les 5000,72 milliards. Fin décembre 2012, elle se chiffrait à 4031,38 milliards, soit une progression de 24,04% en cinq mois représentant un montant de 969,34 milliards.

"Cette bonne performance de la BRVM traduit l'attrait de notre marché boursier pour les investisseurs régionaux et internationaux, en raison du fort potentiel de croissance des sociétés cotées et du niveau de rentabilité attendu des placements en valeurs mobilières au sein de notre Union", explique, dans un communiqué, la bourse des huit pays de l'UEMOA.

Elle s'honore de ce niveau de capitalisation, estimant que ce succès confirme le rôle que cette bourse régionale compte jouer dans l'accélération de la croissance économique au sein de l'Union. Cette fulgurance fait toutefois perdre de vue le chemin qui reste à faire pour tirer profit du gisement financier des pays membres.

"Les titres les plus illustratifs de ce regain de croissance reviennent notamment à la SONATEL qui totalise à elle seule plus de 1600 milliards de nos francs de capitalisation à la BRVM", expliquait Edoh Kossi Amenounve, Directeur général de la bourse, en février passé. La capitalisation était à 4415 milliards.

"En 2012, les indices de notre marché ont bien progressé avec une performance notable des entreprises ivoiriennes qui bénéficient de la reprise de la croissance en Côte d'Ivoire", relevait-il lors du lancement à Dakar du Teranga Investment Club (TIC). Lancée par des responsables d'institutions financières, des chefs d'entreprises, des experts et divers autres acteurs, cette initiative sénégalaise vise à vulgariser la pratique boursière et la rendre plus accessibles aux populations.

Au total 37 sociétés de l'UEMOA sont inscrites à la cote de cette bourse régionale. Elles sont ivoiriennes en majorité, mais la SONATEL du Sénégal est au top des 20 premières capitalisations boursières de la place. Au demeurant, l'UEMOA s'attendait à une soixantaine d'entreprises cotées à la BRVM. Un tiers manque au rendez-vous et les présents font le succès du moment.

A la différence du Nigéria, qui capitalise 52 ans de culture boursière, l'UEMOA est à la traîne, même si la BVRM est relativement jeune. Basée à Abidjan, cette bourse a lancé le 16 septembre 1998 ses indices (BRVM10 et BRVM Composite) sur le marché boursier francophone de l'Afrique de l'Ouest. Outre les titres en capital, elle propose des obligations, au nombre de 34.

+++La pression de la demande financière+++

Cependant, la BRVM est très loin de faire le plein d'intervenants. Le grand public marque le pas, à la cadence des investisseurs potentiels, identifiés parmi les professions libérales, les entreprises privées et le secteur parapublic. Les uns et les autres peuvent intervenir sur le marché, en épargnants ou en demandeurs de capitaux. Ce mode de financement donne aussi les coudées franches aux Etats, aux organismes et aux sociétés de l'Union.

Pour tenir ce pari, divers défis incombent à la BRVM malgré l'enthousiasme de ses dirigeants: mobiliser davantage l'épargne, fournir la liquidité notamment en capitaux longs, donner l'information financière, faciliter la restructuration des entreprises et, d'une certaine manière, contrôler les sociétés entrées en bourse par titre ou par créance.

La demande en capitaux met la pression sur les Etats et les organisations régionales d'intégration. Leurs besoins en financements des projets et programmes de développement de l'UEMOA nécessitent des ressources longues pour arriver à leur but et à coût soutenable. Les entreprises publiques ou privées éprouvent le même besoin d'investissements lourds.

Dans cette position, l'adage s'impose: on a toujours besoin de plus petit que soi. Tout intervenant du marché boursier en convient, surtout les pays membres de la Banque centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO). Chacun d'eux fonde le secret espoir de voir les petits ruisseaux d'épargne former les grands fleuves d'investissement dans la zone.

Les gouvernements sont pris dans l'inconfort de la disparition des avances statutaires de la BCEAO --la fameuse planche à billets qui a été arrêtée. Pour cause de crise financière internationale, l'UEMOA subit malgré elle une triple raréfaction de l'aide publique au développement, des investissements directs étrangers et des envois des migrants.

En effet, les opérateurs de la BRVM et les agents des 21 sociétés de gestion et d'intermédiation (SGI) sonne la mobilisation, en battant le rappel des détenteurs de capitaux qui dorment sur des matelas financiers afin de les convaincre d'entrer en bourse, de faciliter la levée de fonds et, au bout du compte, fructifier leurs affaires.

"Nous voulons inciter divers agents économiques à se décider pour s'enrichir en bourse. Il est bon d'investir de petits sous sur les marchés financiers pour gagner de l'argent", conseille Ndèye Khady Diack Bah, Directrice des opérations boursières de la CGF Bourse, une SGI basée à Dakar.

S'adressant au Collectif des journalistes économiques du Sénégal (COJES), et par ricochet au public investisseur du Sénégal et de sa diaspora, Mme Bah soutient la rentabilité du placement, si petit soit-il, à la BRVM. Elle en vante les succès avec le titre SONATEL et ses plus-values et dividendes, tout en relevant les limites sur d'autres aspects moins reluisants de la bourse régionale.

Avec de bons conseils en placements, le déposant tient entre ses mains un portefeuille de titres "à valorisation latente". Selon des boursicoteurs sénégalais, dont un journaliste, les rendements boursiers dans l'Union sont de l'ordre de 5 à 10%, contre la moitié obtenue en banque. "A la bourse, le principe c'est la patience. On ne perd pas tant qu'on n'aura pas vendu", précise Mme Bah.

+++Les médias spécialisés à la rescousse+++

Son collègue Oumar Dème (marketing & communication) confirme la tendance. "Après les investisseurs institutionnels et les émetteurs potentiels, confie-t-il, les médias de masse sont les partenaires de premier plan pour informer le grand public sur les opportunités de rendement offertes par les placements faits sur les marchés financiers."

Au Sénégal comme en Côte d'Ivoire ou au Bénin, les intermédiaires gardent l'affichette : bourse cherche adeptes. Les médias spécialisés sont appelés à la rescousse pour présenter les opportunités et profits sur les rendements de la place de l'UEMOA, afin d'entraîner les particuliers à améliorer leurs connaissances en la matière et leur culture boursière.

A la faveur de la remontée de ses indices, la BRVM bat campagne également auprès des écoles de commerce (de futurs cadres), des professions libérales et des acteurs du secteur informel de l'UEMOA. "Aidons le public à mieux comprendre la valeur de la bourse et à s'intéresser au marché financier qui a des potentialités de développement pour nos pays", plaidait un ancien responsable boursier à Abidjan.

Outre le taux rémunérateur d'un placement --s'il marche, les opérateurs en bourse font prévaloir des garanties de sécurité au niveau de la BRVM. Pour brider la spéculation déstabilisatrice, l'UEMOA a mis en place le Dépositaire central/Banque de règlement (DC-BR) pour veiller sur les dépôts des épargnants et la solvabilité des intermédiaires et demandeurs de capitaux. Elle s'est dotée d'une instance de régulation avec le Conseil régional de l'épargne publique et des marchés financiers (CREPMF).

En plus de la présence de ce "gendarme de la bourse", les décideurs ont posé des garde-fous, dans le but d'éviter le piège de l'emballement à la BRVM. Aucun cours ne peut évoluer au-delà de 7,5% de sa valeur d'une séance à l'autre. Les séances sont quotidiennes. Sans ce seuil, explique un analyste, le risque de sombrer guette les titres les plus attractifs du marché des valeurs mobilières.

Ces balises orientent, mais font déjouer également toutes formations de bulles fondées sur des comportements spéculatifs et des anticipations optimistes exagérées sur certains cours. Ailleurs, cette tentation a produit le malheur. "Nous avons une chance à la BRVM, le marché financier local est à cash et à un fixing par jour", indique Ndèye Ndèye Khady Diack Bah.

"Même si nous allons maintenant à une séance continue, ce n'est toujours pas du virtuel. Ici (à la BRVM), on y vient avec du cash et on en ressort avec du cash et ceci fait qu'on ne peut pas s'enrichir sans bourse délier", poursuit-elle. La cotation en continu est nouvelle orientation stratégique pour un meilleur financement des économies de l'UEMOA.

Aussi la saison des fleurs s'annonce-t-elle dans l'Union avec l’ère du fractionnement des actions. Pour la première fois depuis son introduction à la BRVM en octobre 1998, l’opérateur sénégalais de télécoms a fractionné, le 24 novembre 2012, ses 10.000 souscriptions à raison d’un ratio de 10 actions nouvelles pour une ancienne action SONATEL.

+++La fortune, mais pas à tous les coups+++

Son cours qui était de 140.000 FCFA, trop cher alors pour les petits épargnants, revenait à 14.000 francs, sans porter préjudice à la valeur globale du portefeuille des anciens porteurs de ce titre. Pour l’entreprise, le souci était d’accroître la liquidité de son titre. Pari gagné. Six mois plus tard, l’action SONATEL vaut 19.000 francs à son cours du 31 mai 2013.

Cependant, une opération similaire dans la région s’était déroulée avec moins de bonheur. Le fractionnement de titre de la société Ecobank Transnational lncorporated (ETIT) s'opérait il y a cinq ans à raison de cinq actions nouvelles pour une action ancienne. A la clôture à la BRVM, le 6 juin 2008, la valeur théorique de l'action fractionnée était de 170 FCFA. Aujourd’hui, elle est à 67 francs à Abidjan.

Contrairement à leurs voisins du Ghana et Nigeria qui sont habitués de ces opérations, les petits porteurs de ce titre dans l’UEMOA racontent leur infortune. Ils s’impatientaient pour des rendements à la taille du groupe bancaire panafricain. Par contre, ceux de la SONATEL se frottent les mains. Le fractionnement des actions s’avère un double tranchant, mais la culture boursière aidant, l'opération peut se révéler une réussite.

‘’Nos titres coûtent cher (à la BRVM) alors qu’au Nigeria, un titre vaut pas plus de trois dollars américains. C’est pourquoi dans les loumas [grands marchés] de Lagos, on peut retrouver des portefaix qui sont pourtant de petits porteurs de titres en bourse’’, souligne un analyste financier sénégalais.

A cet effet, l’intermédiation financière propose diverses offres notamment les paniers des titres de capital (actions) et/ou d’obligations émises (créances). Parmi les produits, il y a ceux appelés fonds commun de placement (FCP). Ce mode de copropriété et de partage de risques est jugé comme un investissement "plus simple, accessible et moins coûteux pour rentabiliser son épargne".

Elle est jeune et frêle, mais la BRVM suscite de l’intérêt. La crise financière fait rage sur les marchés développés et émergents et leurs bourses sont frappées du seuil de saturation. Ainsi des fonds de pension des pays développés se dirigent-ils vers l’Afrique de l’Ouest, y espérant meilleur profit. Là où, les détenteurs de capitaux et les emprunteurs de l’UEMOA dorment sur leurs lauriers.

Selon le Directeur général de la BRVM, les indicateurs placent la bourse régionale d’Abidjan au sixième rang en Afrique, derrière Johannesburg (Afrique du sud), Le Caire (Égypte), Lagos (Nigeria), Casablanca (Maroc) et Nairobi (Kenya). "Avec les derniers chiffres, a-t-il indiqué, nous avons dépassé la Tunisie." Les analystes financiers de l’UEMOA tirent la sonnette d’alarme.

En juin 2008, l’expert Khassim Diop lançait "un message à usage domestique" pour le compte de la BRVM, à l’endroit des investisseurs potentiels et des petits épargnants de l’Union en vue de les tirer de la torpeur. Le risque est de voir des opportunités leur passer sous le nez pour tomber entre les mains d’Asiatiques ou d'Américains. "Nous, signalait-il, sommes considérés comme l’eldorado par les investisseurs privés étrangers."


APS

Vendredi 31 Mai 2013 15:59

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