Laurent Gbagbo devant les juges de la CPI, à La Haye


Rien, chez Laurent Gbagbo, ne semble avoir changé depuis les violences de Côte d'Ivoire consécutives à la présidentielle de décembre 2010. Rien, si ce n'est cette petite paire de lunettes rondes, déjà baptisées "lunettes free Gbagbo" par ses partisans présents à La Haye lors d'audiences tenues devant la Cour pénale internationale (CPI) du 19 au 28 février.


Le procureur devait démontrer qu'il détient un dossier suffisamment solide contre l'ex-président ivoirien pour l'accuser de crimes contre l'humanité et le juger. Les juges devraient rendre leur décision fin mai. Plaidant sa cause, Laurent Gbagbo (67 ans) a repris un discours interrompu par son arrestation par les partisans de son rival Alassane Ouattara et les forces françaises, le 11 avril 2011, onze ans après son arrivée au pouvoir. "Toute ma vie, j'ai lutté pour la démocratie", a-t-il déclaré. Souffrant de stress post-traumatique, selon les experts de la Cour, l'ex-chef d'Etat ivoirien n'accepte toujours pas le verdict de la communauté internationale qui a validé la victoire de son rival, Alassane Ouattara.

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En 2010, "des centaines d'Ivoiriens sont passés du statut d'électeur à celui de victime. Il ne s'agit pas de décider qui a perdu ou gagné les élections", avait pourtant déclaré la procureure Fatou Bensouda. Mais pour Laurent Gbagbo, c'est le cœur du débat : "On ne peut pas parler de la crise postélectorale et ne pas voir comment les élections se sont passées. Qui a gagné les élections ?"

PLUS DE 3 000 MORTS LORS DES VIOLENCES POSTÉLECTORALES

Selon l'ONU, plus de 3 000 personnes sont mortes lors des violences postélectorales. La procureure n'évoque, dans son dossier contre M. Gbagbo, que 200 morts, environ. Elle se concentre sur quatre sites de crimes, tous à Abidjan : des répressions de manifestations pacifiques et le bombardement d'un marché, représentatifs, selon l'accusation, de la politique criminelle mise en œuvre par Laurent Gbagbo afin de rester au pouvoir. A cette fin, il aurait mobilisé les Forces de défense et de sécurité ivoiriennes (FDS), la milice des Jeunes Patriotes et des mercenaires libériens.

Avocat de Laurent Gbagbo, Me Emmanuel Altit reproche au procureur un "récit biaisé" et dresse l'inventaire des crimes commis, selon lui, par les partisans d'Alassane Ouattara depuis la tentative de coup d'Etat de septembre 2002 qui avait abouti à la division, de fait, du pays.

Pour la défense, les rebelles se seraient organisés au fil des ans, avec le concours des troupes françaises, répondant à une "volonté de la France d'offrir un siège présidentiel à Alassane Ouattara", selon Me Natacha Ivanovic-Fauveau. En 2010, la rébellion est devenue une véritable armée. Et c'est contre cette armée, assure la défense, que combattait Laurent Gbagbo en 2010 et 2011. Pas contre les civils.

LA CÔTE D'IVOIRE REFUSE LE TRANSFERT DE SIMONE GBAGBO

Depuis longtemps, les juges ont invité le procureur à élargir son enquête, considérant eux-mêmes que les violences de 2010 découlent d'une crise enclenchée en 2002. Aujourd'hui, le procureur assure qu'il poursuit ses enquêtes, visant tous les camps. Mais il n'a délivré aucun mandat d'arrêt contre les proches du nouveau président. Selon plusieurs sources, le procureur craint qu'Abidjan n'interrompe sa coopération.

Depuis un an, la Côte d'Ivoire refuse de transférer Simone Gbagbo à La Haye. La CPI n'intervient qu'en dernier ressort, lorsqu'un Etat n'est pas en mesure de juger des suspects. En saisissant la CPI, en mai 2011, puis en livrant Laurent Gbagbo, les autorités ivoiriennes précisaient qu'elles seraient en mesure de conduire elles-mêmes les procès lorsque les institutions seront de nouveau sur pied. En livrant Simone Gbagbo, la nouvelle administration admettrait l'échec de sa réforme de la justice et prendrait le risque de devoir transférer des personnes de son propre camp.

LAURENT GBAGBO N'A PAS EU UN MOT POUR LES VICTIMES

L'accusation dispose d'un dossier consistant mais qu'elle a du mal à articuler. Le substitut Eric MacDonald a ainsi présenté des pièces : des courriers saisis à la résidence présidentielle (dont une demande d'armes adressée au président congolais, Joseph Kabila), l'agenda de l'ex-première dame Simone Gbagbo, dans lequel elle aurait noté : "nettoyer nos forêts et nettoyer nos champs". Des mots qui pour le procureur résonnent comme des "appels à éliminer les partisans d'Alassane Ouattara". Enfin, d'ex-membres des forces armées ont, semble-t-il, déposé à charge.

"Vous auriez pu m'appeler", lance Laurent Gbagbo d'un ton bonhomme aux magistrats, "cela nous aurait permis de fluidifier le raisonnement". "Quand on dit "il a signé un papier pour déployer l'armée", je vous aurais dit que j'ai pris un décret pour que tous les FDS soient mobilisés. Le chef de l'Etat peut, en cas de troubles, signer un décret !" La défense avait déjà balisé le terrain. Il conférait avec son épouse ? Rien de bien étonnant dans un couple. Il donnait des ordres aux troupes ivoiriennes ? Rien de plus normal pour un chef d'Etat. Et puis, le procureur a glissé dans ses preuves la vidéo... d'un massacre commis au Kenya ! Laurent Gbagbo, quant à lui, n'a pas eu un mot pour les victimes de la crise ivoirienne
Libération d'un proche de Laurent Gbagbo

Laurent Akoun, numéro deux du parti de l'ancien président ivoirien Laurent Gbagbo, est sorti de prison, jeudi 28 février, après avoir purgé une peine de six mois de détention pour trouble à l'ordre public, a-t-on appris auprès de son parti, le Front populaire ivoirien. Ce dernier réclame une amnistie générale pour les crimes commis durant la crise post-électorale de 2010-2011. – (AFP.)

Abdou Khadre Cissé

Samedi 2 Mars 2013 12:38

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