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Le Conseil constitutionnel, le Droit, Le Président, le Peuple et le Référendum


Le Conseil constitutionnel, le Droit, Le Président, le Peuple et le Référendum
Saisi selon la procédure de l’article 51 de la constitution sénégalaise sur le projet de loi référendaire initié par le Président Macky Sall, le Conseil Constitutionnel a rendu un acte que certains qualifient de décision et d’autres de simple avis. Mais est ce que le fond du problème est de savoir si le CC a rendu un avis ou une décision ? N’y a-t-il pas d’autres problématiques soulevées par l’acte rendu par la Haute Cour ? Nous allons essayer de répondre à cette question de fond avant de nous positionner par rapport au référendum indépendamment des autres sujets de forme liés à l’opportunité de cette consultation populaire ou de requérir l’avis du Conseil constitutionnel.
 
 
I – LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET LE DROIT
 
Avant d’analyser l’acte rendu par le CC sénégalais, rappelons comparativement le droit positif français sur le même sujet car quoiqu’on dise, les textes sénégalais sont largement inspirés de ceux français.
 
I.1 - De la compétence du Conseil constitutionnel français
 
En France, il existe à côté du Conseil constitutionnel le Conseil d’Etat qui est la juridiction suprême en matière administrative.
 
Le Conseil d’Etat français est qualifié de Conseil juridique du gouvernement. Il rend des avis.
Lorsqu’il est saisi par le gouvernement sur les matières relevant de sa compétence, les avis rendus par le Conseil d’Etat s’imposent à l’autorité administrative (on parle d’avis conformes).
 
En France, le Conseil constitutionnel rend, de façon générale, des « décisions » qui s’imposent en tous malgré quelques discussions doctrinales de fond qu’il n’est pas utile de rappeler ici. Le CC français ne rend d’avis consultatifs que dans des circonstances et des matières bien déterminées.
 
Le CC français remplit trois rôles :
-      Il est essentiellement juge et contrôle a priori et a posteriori la constitutionnalité des normes juridiques
-      Il est juge des consultations électorales (élection du Président de la République, des députés et des Sénateurs et du référendum)
-      Il peut à titre exceptionnel rendre des avis lorsqu’il est consulté par le Président français sur l’opportunité de recourir à l’Etat d’urgence comme cela s’est récemment passé suite aux attentats de novembre conformément à l’article 16 de la constitution française
 
Il est important de noter que le Conseil constitutionnel français se déclare incompétent pour statuer sur une révision constitutionnelle (1). En effet, saisi en 2003 par des Sénateurs sur une loi de révision constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République, le Conseil constitutionnel a jugé qu’il ne tenait d'aucune disposition de la Constitution le pouvoir de statuer sur une révision constitutionnelle. Selon les sages français, l'article 61 de la Constitution française ne permet au Conseil constitutionnel d'apprécier la conformité à la Constitution que des lois organiques et, lorsqu'elles lui sont déférées dans les conditions fixées par cet article, des lois ordinaires. Par conséquent, le CC français « ne saurait être appelé à se prononcer dans d'autres cas que ceux qui sont expressément prévus par ces textes ».
 
 
 
Le CC français ne contrôle donc la constitutionnalité ni des lois constitutionnelles, ni des lois référendaires car le référendum étant l’expression de la volonté du peuple seul souverain, il ne viendrait à l’idée d’aucun juge d’aller à l’encontre de la volonté populaire. Une loi votée par référendum s’impose donc à tous, quelque que soient ses imperfections.
 
 
I.2 - De la compétence et de la portée des avis du Conseil constitutionnel sénégalais
 
Au Sénégal, le Conseil d’Etat, qui était juge de l’excès de pouvoir des autorités administratives en même temps qu’il était leur conseiller juridique, a été supprimé en 2008. Ce rôle est désormais dévolu à la Cour Suprême.
 
Les attributions du Conseil constitutionnel en matière de contrôle de constitutionnalité sont limitativement fixées par la constitution sénégalaise et par la loi organique modifiée n° 92-23 du 30 mai 1992.
 
Ce contrôle s’applique au règlement intérieur de l’assemblée nationale, aux lois organiques, et aux (exceptions (2)) de constitutionnalité soulevées devant le Conseil d’Etat et la Cour de cassation, devenus Cour Suprême (art. 1er de la loi organique 2007-03 du 12 février modifiant la loi de 1992).
 
Ses compétences ne s’étendent donc pas au contrôle a priori de la constitutionnalité d’un projet de loi constitutionnel comme le reconnaît d’ailleurs le CC lui-même dans sa décision tant décriée (cf point II.4 de la décision). Ce faisant le CC sénégalais rejoint sur le fond son homologue français qui refuse de se prononcer sur un projet de révision constitutionnelle car cette prérogative ne lui est pas accordée par la Constitution française.
 
N’ayant pu rendre une décision juridictionnelle dans un domaine ne relevant pas de sa compétence, le CC n’a pu qu’émettre un avis comme le lui permet la constitution (article 51). En raison de la hiérarchie des normes, c’est le terme « avis » utilisé par la Constitution qui doit d’ailleurs prévaloir malgré le fait que l’article 13 de la loi organique de 1992 traitant de « la procédure devant le conseil constitutionnel » qualifie les actes rendus par le CC de « décision ». Au demeurant, ce débat sémantique n’a pas trop d’utilité puisqu’une décision contient nécessairement l’avis rendu par une juridiction.
 
Ceci préalablement précisé, on peut noter que le caractère obligatoire ou simplement consultatif des avis que peut rendre le CC sénégalais n’est indiqué ni par la constitution de 2001 ni par les différentes lois organiques sur le CC. Pour notre part, nous pensons qu’aucun des avis requis par la constitution préalablement à telle ou telle action ou tel ou tel acte qu’elle prévoit ne revêt un caractère obligatoire sinon, le qualificatif « conforme » aurait suivi le terme « avis ». Dans le cas contraire, il faudrait admettre que notre constitution est mal rédigée. Nous en voulons pour preuve par l’exemple l’article 90 de la Constitution qui permet au Président de la république de nommer les magistrats (autres que les membres du Conseil constitutionnel et de la Cour des Comptes) après avis du Conseil supérieur de la magistrature. On peut sans risque de se tromper affirmer que l’avis du CSM ne lie nullement le Président qui nomme qui il veut. Donc cet avis, comme les « autres », est purement consultatif.
 
Seule la disposition relative à la promulgation du règlement intérieur de l’assemblée nationale prévoit un « avis » préalable et conforme du CC (3) pour ce faire.
 
Profitant sans doute de ces imperfections et de ce qui semble être un flou juridique pour contourner l’obstacle, le CC sénégalais a considéré qu’il pouvait néanmoins, dans le cadre de la procédure prévue par l’article 51 (4) de la constitution (NDLR : qui parle d’avis), exercer un « contrôle minimum » du projet de révision qui lui a été soumis. Son contrôle a donc porté selon ses propres termes sur « le respect des principes et des valeurs sur lesquels repose la Constitution » (Point II.7 de la décision/avis du CC).
 
Ce faisant, le CC a fait un contrôle de constitutionnalité (« minimum », mais contrôle quand même) qui ne dit pas son nom d’une loi de révision constitutionnelle. Un contrôle non prévu par les textes. Or, en droit, il ne doit pas y avoir en principe de contrôle sans texte.
 
Allant même plus loin, le CC a contrôlé et la forme du projet (l’architecture des articles) et le fond (qualifiant certaines dispositions de contraires aux « principes et aux valeurs sur lesquels repose la Constitution » – sans citer ces principes et valeurs !) et allant même jusqu’à proposer une réécriture complète du projet s’érigeant presque en co-rédacteur du texte.
 
La question qu’il faut se poser dès lors est celle-ci : le conseil constitutionnel sénégalais n’a t-il pas outrepassé ses fonctions et prérogatives en distinguant là où ni la constitution ni la loi organique organisant ses compétences ne distingue (un « contrôle minimum » n’est prévu par aucun texte) et en s’attribuant un pouvoir qu’il ne possède pas (« toute latitude pour exercer un contrôle minimum sur le texte qui lui est soumis ») ?
 
Même si en logique juridique pure, les arguments du CC pour refuser l’application de la réduction du mandat en cours sont défendables, nous pensons que le CC aurait dû se déclarer incompétent pour contrôler la constitutionnalité d’un projet de loi référendaire.
 
Cela dit, qu’il soit de bonne ou de mauvaise foi, le Président n’a-t-il pas subi lui aussi les imperfections du droit positif sénégalais et de la Constitution qui l’obligent à saisir, pour avis préalable, le CC ? Surtout si l’on considère que par « courtoisie et morale républicaine », il eut été, par la suite, désobligeant d’ignorer royalement cet avis.
 
Au final, au lieu de s’en prendre au Président Macky Sall qui est, au vu de son statut, tenu moralement de suivre l’avis/décision rendu par le CC quel qu’il soit, ne faudrait-il pas s’en prendre au système juridique sénégalais et « brûler » le CC (au sens figuré) sinon le réformer afin de revoir les conditions de nomination de ses membres, délimiter précisément son champ de compétence, ses pouvoirs ainsi que la portée juridique (contrôle de conformité ou non) des avis qu’il rend ?
 
 
I.3 - De la nécessité de réviser la Constitution et de préciser les compétences du CC
 
Nous disposons d’une constitution qui dit qu’en matière de révision constitutionnelle, le PR doit recueillir l’avis préalable du CC alors qu’aucun texte (dans la constitution comme dans les textes régissant le CC) ne précise la force obligatoire qui s’attache à cet avis. A force d’avoir été tripatouillée pour servir les desseins d’un homme, la constitution actuelle est-elle bien écrite et cohérente avec les différentes lois organiques ? Nous pensons que non.
 
Il est donc nécessaire de réviser la constitution et par ricochet les lois organiques régissant le CC. Mais le projet de réforme constitutionnelle par voie référendaire s’attaque-t-il à cette impérieuse nécessité ?
 
Un des objectifs du projet de loi de révision constitutionnelle tend à attribuer au CC le pouvoir d’exercer un contrôle de constitutionnalité des lois. Toutefois, il ne nous semble pas que l’introduction laconique de la possibilité pour le CC de se prononcer sur des exceptions d’inconstitutionnalité des lois soulevées devant la Cour d’appel résolve le problème de la portée des avis rendus par le CC dans le processus référendaire valant à Macky Sall la contestation que l’on vit.
 
Pour des raisons politiciennes sans doute, il n’a pas été décidé d’apporter la précision attendue, laissant le soin à la pratique constitutionnelle la responsabilité de vider les contentieux et débats qui ne manqueront pas de se répéter. Pourtant, quand il s’est agi de traiter de l’avis rendu par le CC avant promulgation des lois organiques, le projet de texte de révision requiert bien un « avis conforme » préalable du Conseil constitutionnel (article 78 du projet de loi référendaire)... Nous espérons que ce n’est que partie remise et qu’il sera peut-être possible d’apporter les précisions opportunes à travers les lois organiques qui suivront la révision constitutionnelle.
 
 
II –LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET LE PRESIDENT
 
A l’origine du référendum, il y a bien eu donc un avis préalable du Conseil constitutionnel qui a abouti à un texte définitif qui a tenu compte des remarques de la Haute Juridiction.
 
Nous l’avions écrit dans une récente contribution (http://www.socialisme-republiquesn.org/social/mandat-referendum/68-mandat-referendum/1611-avis-ou-décision-du-conseil-constitutionnel-mais-quelle-est-la-question), quelques soient les imperfections du droit positif sénégalais et les motivations du CC, il est heureux que le Président de la république se soit conformé à l’avis/décision rendu par le CC.
 
La doctrine peut critiquer un acte rendu par le CC et c’est son rôle. Cela participe du débat doctrinal normalement annonciateur de corrections et d’évolutions du droit positif. Mais les institutions de la République, à commencer par le Président, se doivent d’appliquer la décision/avis, si imparfaite ou critiquable qu’elle soit. Il y va du respect et de l’indépendance du pouvoir judiciaire ainsi que de l’équilibre des pouvoirs.
 
Maintenant, en perspective du référendum, la question de la qualification de l’acte du CC ou du reniement de Macky Sall doit être derrière nous. Pourquoi ?
 
D’abord pour les raisons ci-avant évoquées, nous pensons que la qualification et le contenu de l’acte rendu par le CC importaient moins que sa portée symbolique et ses conséquences pratiques sur le jeu institutionnel.
 
Ensuite le prétendu reniement de Macky Sall sur son engagement de diminuer le mandat en cours, même s’il était juridiquement avéré et sociologiquement condamnable, ne saurait vider le projet de texte de son utilité. En effet, il ne faudrait pas ramener le référendum à la personne de Macky Sall comme le font l’opposition et une partie de la société civile et inconsciemment ou maladroitement le régime en place.
 
Enfin, il est bien trop tard car le texte est définitif et à défaut d’un report ou de coup de théâtre de dernière minute, il faudra s’en satisfaire et se résoudre à voter oui ou non.
 
 
III – OUI ou NON AU REFERENDUM DU 20 MARS
 
Assurément on peut critiquer le projet de texte, dire qu’il ne recouvre pas toutes les conclusions des assises nationales ou de la CNRI, qu’il est mal rédigé, qu’il est incomplet etc., Mais il a le mérite d’exister et Rome ne s’est pas fait en un seul jour.
 
Bien évidemment, nous n’accordons aucun crédit à certaines accusations farfelues et dénuées de tout fondement sérieux portées au texte et relatives à une prétendue volonté d’instauration de l’homosexualité ou d’atteinte à la laïcité. Elles relèvent plus, disons le tout net, de tentatives de manipulation de la part d’opposants revanchards, d’errements de citoyens mal informés et qui ne maîtrisent pas la matière juridique, de soubresauts de chefs religieux en mal de reconnaissance ou de membres de la société civile politiques encagoulés ou en mal d’existence.
 
Nul ne peut objectivement nier que le texte soumis au référendum constitue, en soi, indépendamment de toute lecture ou interprétation politicienne, une avancée indéniable sur le terrain démocratique. Pour cette seule, globale et principale raison nous voterons Oui.
 
Nous voterons Oui parce le référendum n’est pas l’outil par lequel sanctionner Macky Sall même s’il y a de fait confusion entre le référendum et sa personne. Si certains pensent devoir le sanctionner, ils devraient attendre les législatives ou la présidentielle pour ce faire. Voter contre le référendum ce n’est pas sanctionner Macky Sall mais c’est se sanctionner soi-même et sanctionner le peuple, principal bénéficiaire des réformes préconisées. Prétendre sanctionner Macky Sall pour un soi-disant Waakh Wakheet (reniement) en votant Non est contreproductif, car cela revient à empêcher une évolution positive au bénéfice de la République et non de Macky Sall
 
Nous voterons Oui parce que les principaux points de la réforme sont tirés des conclusions des assises nationales via la CNRI. On ne peut pas avoir participé aux travaux des Assises et refuser des points de réformes qui en seraient issus. Cela reviendrait à se renier soi-même. Il est vrai que l’on pouvait s’attendre à une révision plus complète. Mais « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras »…
 
Nous voterons Oui pour ne pas laisser perdurer les mandats de 7 ans et le statu quo actuel.
 
Nous voterons Oui parce qu’accessoirement, nos adversaires d’hier sont nos adversaires d’aujourd’hui. Nous ne pouvons renier les principes fondant notre action pour nous allier avec ceux que nous avons combattus hier, qui n’ont pas changé, qui n’ont pas fini de rendre compte au peuple de leurs errements récents et qui osent vouloir donner des leçons de vertu ou de probité morale. Nous n’avons pas la mémoire courte. Ces politiciens de métiers veulent se servir du Non pour obtenir un désaveu populaire de Macky Sall et satisfaire des intérêts personnels et un amour propre d’opposants et sans doute essayer d’installer le pays dans une zone de turbulences socio-politiques dont il n’a nullement besoin.
 
 
Donc nous voterons Oui pour le projet de révision, même incomplet et imparfait, car il permet dans l’ensemble une consolidation de nos institutions et un renforcement des droits des citoyens. Nous voterons Oui pour ne pas reporter à un lendemain incertain la réduction de la durée du mandat et pour empêcher la possible perpétuation des mandats présidentiels « à l’africaine ». Nous voterons Oui pour ne pas priver la République d’une réelle opportunité d’évolution démocratique.
 
Ibrahima NDIAYE
Mouvement pour le Socialisme et la République
http://www.socialisme-republiquesn.org/
 
Notes :
(1) - http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-depuis-1959/2003/2003-469-dc/decision-n-2003-469-dc-du-26-mars-2003.857.html
(2) - Le texte de 2007 figurant au JO a omis le terme « exceptions » qui figurait dans le texte de 92.
(3) - Art. 62 de la constitution qui n’utilise cependant pas le mot avis mais parle de « saisine ».
(4) - Art. 51 al. 1 : « Le Président de la République peut, après avoir recueilli l'avis du Président de l'Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel, soumettre tout projet de loi constitutionnelle au référendum. »


Lundi 14 Mars 2016 - 07:17





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