C'est un terrain vague sans âme. Un parterre de pierres tombales sans noms, sans fleurs, sans photos et sans mots. Hormis une pancarte à l'entrée (« Cimetière du naufrage du Joola »), rien n'indique que cet arpent de terre qui borde la route menant à Rufisque, la banlieue la plus éloignée de Dakar, est le principal lieu de recueillement des familles des victimes du Joola. Sur les quelque 140 naufragés qui reposent sous ces pierres blanches, seuls six ont été identifiés.
Dix ans après le naufrage le plus meurtrier de l'histoire de la marine marchande, voilà ce qu'il en reste au Sénégal : quelques lieux de recueillement dispersés à Dakar et à Ziguinchor, peu entretenus, où règne l'anonymat. Il n'existe toujours pas de liste arrêtée des disparus, de vingt-deux nationalités différentes (beaucoup de Sénégalais, des Ouest-Africains, et une trentaine d'Européens). Même leur nombre est flou et varie selon les sources : 1 863 pour les autorités, plus de 1 900 pour les associations... Bien plus que le Titanic, dont le bilan tourne autour de 1 500 disparus.
Tourné vers l'océan En début d'année, quelques semaines avant la fin de son second mandat, Abdoulaye Wade a bien posé la première pierre d'un mémorial sur la corniche de Dakar, mais, depuis, le chantier est en suspens. Sur les lieux, une affiche dévoile ce à quoi aurait dû ressembler ce monument tourné vers l'océan, mais il a tous les traits d'une supercherie. « Ce n'était qu'une promesse de campagne », déplore Nassardine Aïdara, le coordinateur du Comité d'initiative pour l'érection d'un mémorial-musée le Joola.
Quant au navire, qui pourrait justement servir de musée, il gît toujours dans les profondeurs, là où sa route s'est arrêtée, une nuit d'orage, au large de la Gambie. L'Union européenne a proposé de financer l'opération, mais c'est peu dire que Wade a fait obstruction. « Il a toujours été braqué sur cette question, dénonce M. Aïdara. Voir ce bateau hors de l'eau aurait été, pour lui, comme un symbole de son échec. Il a tout fait pour qu'on oublie ce naufrage. » Le ciel était couvert ce 26 septembre 2002, et le ferry surchargé au départ de Ziguinchor, le chef-lieu de la Casamance, région séparée du reste du Sénégal par la Gambie. Il y avait là comme d'habitude des femmes qui partaient vendre des fruits et légumes à Dakar, des militaires en permission et de nombreux étudiants qui s'apprêtaient à reprendre les cours. Parmi eux, quatre des cinq enfants de Nassardine Aïdara. Ingénieur en génie civil, ce Casamançais de 59 ans était rentré plus tôt à Dakar. Ses enfants et sa femme, avec lesquels il avait passé les vacances à Ziguinchor, devaient le rejoindre par la route, mais, au téléphone, les quatre grands l'avaient supplié. Tous leurs copains prenaient le Joola... « Ils ont insisté. J'ai dit oui. Ma femme et le cadet ont pris la route ; les grands, la mer... Je ne pouvais pas savoir. J'avais confiance. Après tout, c'était un moyen de transport géré par l'État. »
Dix ans après le naufrage le plus meurtrier de l'histoire de la marine marchande, voilà ce qu'il en reste au Sénégal : quelques lieux de recueillement dispersés à Dakar et à Ziguinchor, peu entretenus, où règne l'anonymat. Il n'existe toujours pas de liste arrêtée des disparus, de vingt-deux nationalités différentes (beaucoup de Sénégalais, des Ouest-Africains, et une trentaine d'Européens). Même leur nombre est flou et varie selon les sources : 1 863 pour les autorités, plus de 1 900 pour les associations... Bien plus que le Titanic, dont le bilan tourne autour de 1 500 disparus.
Tourné vers l'océan En début d'année, quelques semaines avant la fin de son second mandat, Abdoulaye Wade a bien posé la première pierre d'un mémorial sur la corniche de Dakar, mais, depuis, le chantier est en suspens. Sur les lieux, une affiche dévoile ce à quoi aurait dû ressembler ce monument tourné vers l'océan, mais il a tous les traits d'une supercherie. « Ce n'était qu'une promesse de campagne », déplore Nassardine Aïdara, le coordinateur du Comité d'initiative pour l'érection d'un mémorial-musée le Joola.
Quant au navire, qui pourrait justement servir de musée, il gît toujours dans les profondeurs, là où sa route s'est arrêtée, une nuit d'orage, au large de la Gambie. L'Union européenne a proposé de financer l'opération, mais c'est peu dire que Wade a fait obstruction. « Il a toujours été braqué sur cette question, dénonce M. Aïdara. Voir ce bateau hors de l'eau aurait été, pour lui, comme un symbole de son échec. Il a tout fait pour qu'on oublie ce naufrage. » Le ciel était couvert ce 26 septembre 2002, et le ferry surchargé au départ de Ziguinchor, le chef-lieu de la Casamance, région séparée du reste du Sénégal par la Gambie. Il y avait là comme d'habitude des femmes qui partaient vendre des fruits et légumes à Dakar, des militaires en permission et de nombreux étudiants qui s'apprêtaient à reprendre les cours. Parmi eux, quatre des cinq enfants de Nassardine Aïdara. Ingénieur en génie civil, ce Casamançais de 59 ans était rentré plus tôt à Dakar. Ses enfants et sa femme, avec lesquels il avait passé les vacances à Ziguinchor, devaient le rejoindre par la route, mais, au téléphone, les quatre grands l'avaient supplié. Tous leurs copains prenaient le Joola... « Ils ont insisté. J'ai dit oui. Ma femme et le cadet ont pris la route ; les grands, la mer... Je ne pouvais pas savoir. J'avais confiance. Après tout, c'était un moyen de transport géré par l'État. »