Nous ne lisons plus dans le pays du Coran , de la Bible, de El Hadj Oumar Foutiyou Tall, Cheikh Ahmadou Bamba MBacké, El Hadj Malick Sy, El Hadj Ibrahima Niass, David Diop, Cheikh Anta Diop, Léopold Sédar Senghor, Ousmane Sembène, Cheikh Hamidou Kane, Mariama Ba, etc. Quel paradoxe ! Il devient rare de voir un garçon ou une fille tenir un livre dans un bus, un car rapide, un Ndiaga Ndiaye. Ne me dites pas que c’est impossible parce que les moyens de transport sont surchargés ! Il y a quelques décennies ces moyens de transports étaient aussi bondés qu’aujourd’hui. Malgré cela, nous voyions quelques voyageurs prendre le risque d’agripper d’une main une barre transversale pour rester debout et de l’autre maintenir fermement un livre ouvert qu’ils essayaient de lire. Sur les bancs publics, à l’ombre d’un arbre, il y avait toujours une personne assise, un livre ouvert dans la main, penchée sur les pages ouvertes et concentrée, malgré le bruit des voitures et le vacarme des passants bavards, sur la trame de l’ouvrage qu’elle découvrait au fur et à mesure qu’elle ouvrait les pages. Ces scènes ont disparu de notre vie quotidienne. Même dans nos campagnes, il n’y a plus ces images pittoresques d’enfants assis sur les branches d’un arbre, cachés par les feuillages, lisant attentivement un livre qu’ils tenaient avec délicatesse des deux mains. Il y avait encore quelques bibliothèques municipales, quelques centres culturels français dans certaines grandes villes. Il y avait surtout la circulation informelle intense des livres d’une personne à une autre, tellement intense que le pauvre livre devenait méconnaissable. Il y avait aussi les célèbres séries de livres de dessins animés dont les adolescents raffolaient et qu’ils s’échangeaient. Ailleurs, dans d’autres pays, les liseuses remplacent, petit à petit, les livres. Les bibliothèques en ligne offrent de merveilleuses collections d’ouvrages. Le smartphone devient un support de lecture. Dans les bus, les tramways, les métros, les trains et les avions, la lecture demeure un moyen enrichissant de voir passer le temps. Le livre, la liseuse, l’ordinateur portable, le smartphone sont entre les mains de personnes assoiffées de connaissance, les yeux rivés sur les lettres et la tête dans les étoiles. Chez nous, c’est tout le contraire, à de rares exceptions près. Dans notre pays, nous sommes entrés dans l’ère d’un réel et gigantesque désert de la connaissance, d’une indigence intellectuelle, d’un manque généralisé de curiosité et d’appétit pour les nourritures de l’esprit. D’ailleurs à l’élégance et à l’agilité intellectuelle et oratoire tant vantées des Sénégalais, a succédé un certain nouveau type de Sénégalais fruste, sans élégance, impoli, abonné à Tik Tok et à Snapchat, l’injure à la bouche, singeant le comportement et le discours de la jeunesse en perdition des quartiers abandonnés des grandes métropoles occidentales. La lecture oblige à faire travailler son cerveau, à le soumettre à un rude effort de réflexion, de discernement et, en fin de compte, d’analyse et de synthèse des idées rencontrées. La paresse s’est emparée de la Cité. Le nouveau type de Sénégalais n’a pas de temps à perdre. Il ne peut souffrir de réfléchir. C’est trop dur pour lui de s’efforcer de comprendre. Il est arrogant. Il sait déjà tout alors qu’il n’a rien appris. Il veut tout consommer, tout de suite, sans effort. Il s’instruit au fast-food pseudo intellectuel fait de mélange de suppositoires d’idées toutes faites. construites à partir de raccourcis des pensées de Che Gevarra, Kwame Krumah, Marcus Garvey, Malcolm X, Thomas Sankara, Frantz Fanon et des nouveaux « prêtres » et « imams » de Tik Tok, YouTube, WhatsApp, Telegram, qui prêchent à partir d’allégories surréalistes des pseudo idées de ruptures. Les intellectuels, effrayés, repoussés à la lisière du débat public, se cachent par peur d’être assimilés au « système ». Concept sans fondement théorique qui permet à l’idéologie de l’ignorance de s’étendre en culpabilisant toute opposition. Les ignorants se sont emparés de l’espace public. Ils y règnent en maître, tournant en dérision les réussites par les études et la formation, glorifiant les réussites suspectes, les richards aux parcours mystérieusement atypiques et les connaît-tout qui, comme des punaises, surgissent de partout. Soyons sérieux ! Cette situation intellectuellement désastreuse, moralement inacceptable, qui défigure notre pays, ternit son image à travers le monde, ne peut pas durer. Il faut redonner à la connaissance toute sa place dans notre société. Comme les lamantins vont à la source, il faut faire revenir la jeunesse et toute la population sénégalaise à la source humanisante, vivifiante de la connaissance. Ce long chemin à travers les méandres de la connaissance passe par le retour à la lecture, peu en importe le support. Il faut redonner goût à la lecture. Il faut ramener l’amour du livre. Il faut patiemment réapprendre à apprendre. Il faut se réhabituer à prendre le temps, page après page, à lire, à apprendre, à réfléchir et à comprendre. Ce sont ces valeurs perdues par la civilisation de l’instantanéité, de la paresse, de la réussite facile, qu’il faut courageusement, obstinément, reconquérir grâce à la lecture. C’est pourquoi, il faut que fleurissent partout les médiathèques, dans les villes, les communes, les quartiers et les villages . Il faut que les rayons, les bibliothèques numériques, se remplissent de livres en langues nationales, en français, en arabe, en anglais et dans les autres langues internationales. Les conférences sur les bienfaits de la lecture doivent se multiplier comme les conférences sur tel livre ou tel auteur. Les auteurs d’ouvrages, eux-mêmes, doivent pouvoir sillonner le Sénégal, les villes, les quartiers, les établissements scolaires et universitaires, pour aller à la rencontre des populations. Le savoir doit être à portée de main, à portée de clic et à portée de travail. Le savoir ne peut souffrir l’ultime profanation d’être ravalé en fëg jaay. *NB : fëg jaay : « secoue et vend » littéralement ou pacotille. Dakar, mardi 22 août 2023