Da Silva, qui vote à Grand Yoff, un faubourg poussiéreux de Dakar aux rues sablonneuses, fait partie de ces jeunes Sénégalais qui veulent en finir avec les douze années de pouvoir de leur président octogénaire.
"Les dirigeants africains aiment la politique, khaliss", dit-il en frottant l'un contre l'autre son pouce et son index et en employant le terme wolof qui désigne l'argent comme pour mieux souligner qu'à ses yeux, l'enrichissement personnel est la première, voire l'unique préoccupation de la classe dirigeante.
Les revendications en faveur du changement et du renouvellement des élites dans l'un des pays les plus stables de l'Afrique se heurtent à la volonté d'Abdoulaye Wade de décrocher, à 85 ans, un troisième mandat.
Le premier tour, le 26 février, s'est passé dans un calme inattendu après les violentes manifestations contre Abdoulaye Wade qui avaient émaillé la campagne électorale, faisant au moins six morts.
Le travail des représentants de chaque candidat dans les bureaux de vote a été salué. Ce "marquage à la culotte", ainsi que le dit un militant, a évité les fraudes. La présence de nombreux journalistes de radio, annonçant à l'antenne les résultats bureau de vote par bureau de vote, a pareillement réduit les risques de manipulations.
UN FRONT ANTI-WADE
Wade est arrivé en tête, avec 34,8% des suffrages exprimés. Dimanche, il affrontera dans les urnes son ex-Premier ministre Macky Sall, 50 ans, qui a réalisé un score de 26,6%.
Dans l'entre-deux tours, Sall a su rallier autour de sa candidature l'ensemble des opposants et obtenu le soutien du chanteur Youssou N'Dour, écarté du scrutin par le Conseil constitutionnel. Cette alliance anti-Wade a fait naître pour une partie de l'opinion sénégalaise l'idée que le président sortant ne pouvait pas remporter le second tour.
"Nous devons rester vigilants", souligne le père Alphonse Seck, secrétaire général de la Commission épiscopale pour la justice et la paix au sein de l'Eglise catholique. "On a parfois l'impression, particulièrement lors d'élections, que l'Afrique avance d'un pas et recule de deux."
En Afrique comme hors d'Afrique, ce second tour sera observé de près, alors qu'un coup d'Etat militaire en cours au Mali voisin vient rappeler la fragilité des institutions de nombreux Etats africains.
Son déroulement et son issue permettront de savoir si le Sénégal préserve son statut d'avant-garde du pluralisme politique ou si au contraire il s'apprête à accentuer ce que nombre d'observateurs qualifient de "récession démocratique".
"Ce sera un signal pour toute l'Afrique", explique Abdoul Tejan-Cole, directeur régional pour l'Afrique de l'Open Society, la fondation créée par le milliardaire George Soros.
"A une époque, dans les années 1960 et 1970, nous parlions de coups d'Etat, puis, dans les années 1980 et 1990, nous avons parlé de 'présidents à vie'. Aujourd'hui, nous en sommes arrivés à une phase où nous avons des élections. Et le débat porte réellement sur la qualité de ces élections", poursuit-il.
Au cours de la décennie écoulée, un certain nombre de dirigeants africains ont réussi à modifier la constitution de leurs pays pour supprimer toute limitation du nombre de mandats présidentiels.
DE L'ENTHOUSIASME À LA LASSITUDE
"A mon sens, plusieurs pays africains ont été le théâtre de tentatives visant à créer une démocratie sans démocrates", note Babacar Gueye, qui préside un collectif issu de la société civile fournissant des volontaires pour observer le déroulement des élections sénégalaises.
Au Sénégal même, la candidature d'Abdoulaye Wade a été vivement contestée: le président sortant, élu une première fois en mars 2000, a fait adopter l'année suivante le principe constitutionnel limitant à deux le nombre de mandats consécutifs.
Mais cette réforme ayant été introduite au cours de son premier mandat, il a argué que celui-ci ne devait par conséquent pas entrer en ligne de compte, et le Conseil constitutionnel lui a donné raison, suscitant la colère de l'opposition.
La France et les Etats-Unis ont exprimé leurs doutes sur la validité de sa candidature, Washington redoutant qu'elle déstabilise le pays tandis que Paris prônait l'avènement d'une nouvelle génération de dirigeants politiques.
Pour de nombreux électeurs sénégalais, Abdoulaye Wade est loin désormais du candidat pour lequel ils avaient voté avec enthousiasme en 2000 lorsqu'il avait battu Abdou Diouf et mis un terme à quatre décennies de présidence socialiste ininterrompue depuis l'indépendance et Léopold Sédar Senghor, en 1960.
Ils le rangent dans la liste de ces ex-démocrates qui finissent par s'accrocher au pouvoir. "Il n'y a pas de démocratie en Afrique. Des gens veulent juste arriver au pouvoir pour s'enrichir", dénonce Awa Faye Ndoye, femme au foyer à Dakar.
L'opposition politique, qui a largement contribué à sa réélection en 2007, l'accuse même de préparer sa succession pour remettre le pouvoir à son fils Karim, 43 ans, un projet que le président sortant et son fils ont tous deux démenti.
Mais Abdoulaye Wade, qui devait aussi faire face dans les urnes à la colère née de l'inflation des produits de première nécessité (aliments, carburants), a aussi ses partisans, notamment à Dakar où il a réalisé de bons scores au premier tour.
"Oui, il est vieux, mais dans un foyer, vous avez besoin de sagesse. Si le vieux s'en va, quel que soit son successeur, il aura beaucoup de problèmes", plaide Ousmane Cissé, 72 ans.
Avec David Lewis, Diadie Ba et Mark John; Henri-Pierre André pour le service français
"Les dirigeants africains aiment la politique, khaliss", dit-il en frottant l'un contre l'autre son pouce et son index et en employant le terme wolof qui désigne l'argent comme pour mieux souligner qu'à ses yeux, l'enrichissement personnel est la première, voire l'unique préoccupation de la classe dirigeante.
Les revendications en faveur du changement et du renouvellement des élites dans l'un des pays les plus stables de l'Afrique se heurtent à la volonté d'Abdoulaye Wade de décrocher, à 85 ans, un troisième mandat.
Le premier tour, le 26 février, s'est passé dans un calme inattendu après les violentes manifestations contre Abdoulaye Wade qui avaient émaillé la campagne électorale, faisant au moins six morts.
Le travail des représentants de chaque candidat dans les bureaux de vote a été salué. Ce "marquage à la culotte", ainsi que le dit un militant, a évité les fraudes. La présence de nombreux journalistes de radio, annonçant à l'antenne les résultats bureau de vote par bureau de vote, a pareillement réduit les risques de manipulations.
UN FRONT ANTI-WADE
Wade est arrivé en tête, avec 34,8% des suffrages exprimés. Dimanche, il affrontera dans les urnes son ex-Premier ministre Macky Sall, 50 ans, qui a réalisé un score de 26,6%.
Dans l'entre-deux tours, Sall a su rallier autour de sa candidature l'ensemble des opposants et obtenu le soutien du chanteur Youssou N'Dour, écarté du scrutin par le Conseil constitutionnel. Cette alliance anti-Wade a fait naître pour une partie de l'opinion sénégalaise l'idée que le président sortant ne pouvait pas remporter le second tour.
"Nous devons rester vigilants", souligne le père Alphonse Seck, secrétaire général de la Commission épiscopale pour la justice et la paix au sein de l'Eglise catholique. "On a parfois l'impression, particulièrement lors d'élections, que l'Afrique avance d'un pas et recule de deux."
En Afrique comme hors d'Afrique, ce second tour sera observé de près, alors qu'un coup d'Etat militaire en cours au Mali voisin vient rappeler la fragilité des institutions de nombreux Etats africains.
Son déroulement et son issue permettront de savoir si le Sénégal préserve son statut d'avant-garde du pluralisme politique ou si au contraire il s'apprête à accentuer ce que nombre d'observateurs qualifient de "récession démocratique".
"Ce sera un signal pour toute l'Afrique", explique Abdoul Tejan-Cole, directeur régional pour l'Afrique de l'Open Society, la fondation créée par le milliardaire George Soros.
"A une époque, dans les années 1960 et 1970, nous parlions de coups d'Etat, puis, dans les années 1980 et 1990, nous avons parlé de 'présidents à vie'. Aujourd'hui, nous en sommes arrivés à une phase où nous avons des élections. Et le débat porte réellement sur la qualité de ces élections", poursuit-il.
Au cours de la décennie écoulée, un certain nombre de dirigeants africains ont réussi à modifier la constitution de leurs pays pour supprimer toute limitation du nombre de mandats présidentiels.
DE L'ENTHOUSIASME À LA LASSITUDE
"A mon sens, plusieurs pays africains ont été le théâtre de tentatives visant à créer une démocratie sans démocrates", note Babacar Gueye, qui préside un collectif issu de la société civile fournissant des volontaires pour observer le déroulement des élections sénégalaises.
Au Sénégal même, la candidature d'Abdoulaye Wade a été vivement contestée: le président sortant, élu une première fois en mars 2000, a fait adopter l'année suivante le principe constitutionnel limitant à deux le nombre de mandats consécutifs.
Mais cette réforme ayant été introduite au cours de son premier mandat, il a argué que celui-ci ne devait par conséquent pas entrer en ligne de compte, et le Conseil constitutionnel lui a donné raison, suscitant la colère de l'opposition.
La France et les Etats-Unis ont exprimé leurs doutes sur la validité de sa candidature, Washington redoutant qu'elle déstabilise le pays tandis que Paris prônait l'avènement d'une nouvelle génération de dirigeants politiques.
Pour de nombreux électeurs sénégalais, Abdoulaye Wade est loin désormais du candidat pour lequel ils avaient voté avec enthousiasme en 2000 lorsqu'il avait battu Abdou Diouf et mis un terme à quatre décennies de présidence socialiste ininterrompue depuis l'indépendance et Léopold Sédar Senghor, en 1960.
Ils le rangent dans la liste de ces ex-démocrates qui finissent par s'accrocher au pouvoir. "Il n'y a pas de démocratie en Afrique. Des gens veulent juste arriver au pouvoir pour s'enrichir", dénonce Awa Faye Ndoye, femme au foyer à Dakar.
L'opposition politique, qui a largement contribué à sa réélection en 2007, l'accuse même de préparer sa succession pour remettre le pouvoir à son fils Karim, 43 ans, un projet que le président sortant et son fils ont tous deux démenti.
Mais Abdoulaye Wade, qui devait aussi faire face dans les urnes à la colère née de l'inflation des produits de première nécessité (aliments, carburants), a aussi ses partisans, notamment à Dakar où il a réalisé de bons scores au premier tour.
"Oui, il est vieux, mais dans un foyer, vous avez besoin de sagesse. Si le vieux s'en va, quel que soit son successeur, il aura beaucoup de problèmes", plaide Ousmane Cissé, 72 ans.
Avec David Lewis, Diadie Ba et Mark John; Henri-Pierre André pour le service français